2002-2007

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Premier jour de classe dans une nouvelle école. L’adolescence n’est pas loin, sans être encore tout à fait là. Il n’est pas facile, à cet âge ingrat, de se présenter, de remplacer ses amis de toujours. J’ai apporté quelques cartes Pokémon, mais sans Gaël et Lorick pour m’épauler, je n’ose pas les sortir. Les garçons d’ici n’ont l’air de ne rien savoir faire d’autre que de jouer au football. Ça ne m’intéresse pas, et je suis particulièrement mauvais en la matière. Les filles ont l’air plus faciles d’accès. Laura, en particulier. La maîtresse, observatrice, le remarque, et nous fait asseoir l’un à côté de l’autre. C’est aujourd’hui ma plus ancienne amie. D’autres rejoindront notre groupe. Mélanie, Estelle et Marielle.

Un matin d’octobre, jour de la photo de classe. La cinquième B, forte de ses dix-huit élèves, prend la pose dans la salle un peu sombre du CDI. Les jours sont déjà courts, et la pièce à demi enterrée. Depuis la rentrée, j’affirme mon individualité naissante en arborant une tignasse de cheveux châtains qui m’arrive jusqu’aux épaules, comme le font les garçons de la ville. Je suis le seul à me permettre une telle excentricité. Le photographe postillonne, bave un peu. Il est en léger surpoids. Il demande à la « demoiselle de devant » de « se mettre bien au centre ». Je ne bronche pas. Il insiste. Me montre du doigt. Je proteste en bafouillant. « Je ne suis pas une fille ! ». Quelques éclats de rire, brefs mais déchirants. Je prends une teinte écarlate qu’on remarquera sur la photo. Au sortir de la salle, je suis au bord des larmes. Mais tout le monde est d’accord pour dire que le photographe a été bête et aveugle, et cet élan de solidarité inattendu me réconforte autant qu’il me surprend.

J’ai cassé mes lunettes en jouant avec pendant le cours d’histoire. Je rentre à la maison dépité. Ma mère me demande ce qu’il s’est passé. J’ai un peu honte, alors je refuse de répondre. « Tu me le dirais, si quelqu’un t’avait frappé au visage ? », insiste-t-elle, pensant bien faire. Je l’assure que non. Elle ne me croit pas. Je dois avoir une tête de victime. Ou peut-être qu’il se chuchote parmi les parents d’élèves que je dois être la cible de moqueries. Pourtant, ce n’est pas le cas. Je suis quand même blessé dans mon orgueil.

Guillaume m’a dit que j’étais « un gay », aujourd’hui. Dans sa bouche, ça n’avait pas vraiment l’air d’une insulte. Il a dit ça sur le même ton que s’il m’avait dit « tu es blond » ou « tu es gros ». J’ai rétorqué que non, il n’a pas insisté plus. L’incident est clos.

J’ai quand même des doutes. Je suis vaguement sorti avec Sabine, pour me faire bien voir – et je la trouve jolie, en plus – mais je n’ai décidément pas le même rapport aux filles que le reste des garçons de la classe. Et vice-versa ! En effet, Laura et Mélanie se montrent de plus en plus excitées à l’idée de trainer avec Flavien ou Gaëtan. Je me surprends à être un peu jaloux. Je leur rappelle que je suis le seul à vraiment m’intéresser à elles. Elles ne disent pas le contraire mais continuent de glousser.

Jaloux, mais de qui au juste ? Je ne suis pas sûr. J’ai quand même l’impression que, le plus agaçant, dans tout ça, c’est que Flavien ne semble pas me remarquer, moi. Il n’y en a que pour Laura et Mélanie. Peut-être que ça vaut mieux comme ça, pour l’instant en tout cas... Il ne faudrait pas qu’il me prenne comme tête de turc. Faute de mieux, je fais profil bas.

Guillaume et Gaëtan sortent en même temps du vestiaire des garçons, après le sport. Pensant faire rire la classe, d’ordinaire sensible à ce genre de plaisanterie, j’insinue qu’il s’est peut-être passé quelque chose entre eux. Guillaume me fait comprendre d’un signe de tête que je ferais mieux de ne pas la ramener. Son regard semble dire « jusque-là, tout le monde est gentil avec toi, tu t’en sors bien, alors ne viens pas tout gâcher en essayant de parfaire ta popularité ». Du moins, c’est ce que j’y lit. Je me tais, et ne m’aventurerai plus jamais sur ce terrain en public.

Je me surprends à fantasmer sur le couple formé par Pierre et mon amie Marielle. Etrange. Ça doit sûrement être que je suis un peu amoureux de Marielle, et que j’aimerais que Pierre soit mon ami. Ça ne peut être que ça...

Ou peut-être pas ! On vient de m’offrir mon premier ordinateur portable, et, au détour d’une recherche Google ingénue, je tombe sur un blog qui publie des photos d’hommes en sous-vêtements. L’effet sur mon entrejambe est tout simplement impossible à ignorer. Je ne sais pas vraiment ce que j’en pense, pas encore. En tout cas, il devient beaucoup plus facile d’atteindre l’orgasme, lorsque je me masturbe, ce qui procure un gain de temps non-négligeable dans la vie quotidienne d’un adolescent.

J’ai un peu pleuré, l’autre soir, parce que j’ai réalisé que je n’aurais pas d’enfant. Du moins, pas d’enfant naturel. Pas comme l’enfant que je suis pour mes parents. J’ai essayé de me convaincre d’aimer Marielle, mais rien n’y fait, je ne pense pas à elle comme je pense à ces hommes nus dont j’admire les photos sur internet.

Pendant les vacances d’été, mes parents nous emmènent en Italie. Le propriétaire de l’appartement que nous louons a quelques revues pornographiques vintage dans sa bibliothèque. Le corps velu de ces messieurs tout droit sortis des années 1970 me plonge dans un émoi insoupçonnable, sans doute parce que je suis privé des photos d’hommes en sous-vêtements depuis plusieurs jours, ‘digital détox’ imposé par l’autorité parentale oblige.

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