Alan respira l’air marin de sa cachette favorite à pleins poumons. Le lieu était silencieux, seulement atténué par le clapotis des vagues. Le garçon alluma sa torche et la disposa entre deux rochers pour plonger les lieux dans une lueur tamisée.

Il observa avec plaisir les longs murs lisses et aptes à servir de toiles naturelles pour son art. Sortant de son barda de la peinture et des pinceaux, il commença à peindre, complétant une grande œuvre qu’il avait débuté il y a de cela plusieurs semaines.

Alan était doué et possédait un don naturel pour la perspective, le choix des couleurs, le réalisme des formes. C’était un génie incompris, qui n’avait étudié son art que dans la discrétion, alors qu’il terminait ses études destinées à le faire devenir gérant d’une flotte de pêche. Un métier qui ne l’intéressait aucunement.

Il peignait dans sa chambre, au grand dam de son père. C’est lorsque ce dernier pesta que c’était là une « occupation futile qui ne rapportait rien » qu’Alan chercha des lieux propices à la tranquillité.

La grotte sous-marine où il se trouvait n’était pas n’importe laquelle. On l’appelait la grotte aux Sirènes. C’était un lieu craint dans toute la ville, car on y avait retrouvé il y a 20 ans plusieurs marins noyés et à moitié dévorés par des créatures de la mer. Si c’était là sans doute l’œuvre des requins ou d’autres prédateurs des océans, rien ne venait alimenter la possible existence de créatures fantastiques si ce n’est la superstition des pêcheurs locaux.

Alan n’avait jamais eu peur de ce lieu. Au contraire, il était pour lui comme un ultime refuge coupé du monde, où il était enfin maître de son destin. Si Alan répugnait à partir pêcher avec son père, il était attaché à sa terre et aux grands paysages marins. L’infinité des eaux lui inspirait ses meilleures œuvres. Il se surprenait à parfois exposer ses toiles sur des rochers, face à la mer, comme s’il les offrait à la Nature.

Peut-être était-ce le vent ou les vagues, mais ses œuvres disparaissaient souvent dès le lendemain lorsqu’il revenait sur les lieux, peu importe la hauteur où se trouvait les peintures. Alan avait finit par croire que la Mer était vivante et pensante. Et que ce qu’il faisait était une offrande à sa grandeur, sa générosité et sa mansuétude lorsqu’il naviguait.

Son pinceau s’agitait frénétiquement sur la paroi calcaire. Alan était plongé dans une transe artistique. Il se laissait porter par sa passion, son inspiration sans fin, nourrie par les vagues. Ses longs cheveux noirs frisés et son corps fin, délicat et gracile lui donnaient l’air d’un artiste de la période romantique.

Son œuvre lui semblait éternellement inachevée. Il passait un temps infini sur chaque détail comme si la moindre négligence allait ternir sa magie.

Ce n’est que lorsqu’un clapotis étrange derrière lui raisonna dans la pièce, qu’il s’arrêta. Sortant de ses pensées, il se retourna brusquement. Au loin, dans le noir, il entendit quelque chose nager puis brusquement s’immobiliser lorsque le jeune homme pivota. Sans pouvoir expliquer comment, il sentit un regard posé sur lui. Cette sensation n’était pas nouvelle, mais cette fois-ci, les bruits étaient bien réels et il douta que ce fût là uniquement son imagination.

• Il y a quelqu’un ? demanda Alan, se sentant un peu ridicule.

Il connaissait suffisamment les lieux pour être certain qu’il n’y avait qu’une entrée, celle qu’il empruntait.

Aucune réponse. Il aurait pourtant juré entendre comme un petit cri surpris. Il s’avança pour saisir sa torche et la braquer vers les ténèbres du fond de la grotte.

Et c’est là qu’il la vit.

Au loin, la lueur des flammes lécha le corps dénudé d’une femme l’espace d’un bref instant, avant que ce corps d’albâtre ne se disparaisse dans l’eau dans un dernier clapotis.