Ange gardien
Mercredi 21 mars est le jour où j’ai su. Où j’ai compris que tu étais partie trop loin pour que je ne puisse te rattrapper. Et que je ne te verrais plus que sur ma table de nuit, en photo dans un cadre rose…
Je regarde la grande horloge du salon, qui indique 14 heures. Maman et papa doivent arriver vers 17 heures, j’ai donc trois heures devant moi. Je suis affalée dans le canapé, avec Toffy posée sur mes genoux, ronronnante. Je la caresse lentement, ma main sur son dos, en sentant son petit cœur battre. Tandis que Toffy s’endort, je commence à somnoler à mon tour. La chaleur du corps de mon chat sur mes cuisses me réconforte, et je m’enfonce dans un sommeil profond. Mon esprit m’emporte vers des rêves agréables. Je suis allongée sous une cascade d’eau chaude de couleur violette, sous un ciel orange agrémenté de nuances rosées. C’est un monde que je ne connais pas mais que j’ai l’impression bizarre de connaître. Il y plane comme une odeur douce et agréable de gâteaux. Mais pas n’importe quels gâteaux : ce sont ceux que je faisais pour Toffy, au saumon et aux croquettes ! Dit comme ça, ce n’est pas très apétissant mais elle les dévorait avec une telle avidité que c’en était impressionnant. Je me souviens de cet après-midi où j’avais eu l’idée d’élaborer cette recette… Je m’ennuyais et j’avais fini mes devoirs. Alors que je commençais à avoir faim, Toffy aussi avait un petit creux. Et j’ai commencé à me dire “ pourquoi est-ce que les humains ont un goûter et pas les chats ?”. Il fallait que je leur en crée un ! Je m’étais précipitée dans la cuisine, et avais improvisé des friandises pour Toffy. Celle-ci avait senti l’odeur du saumon et avait accouru comme une dingue vers moi. Elle sautillait partout ! Je riais aux éclats, et Toffy semblait se plaire au jeu. Plus je lui filais des morceaux de saumon entre quelques fournées, plus elle s’excitait… Lorsque Toffy fut rassasiée des friandises, nous étions allées nous coucher dans mon lit. Quand maman était rentrée de ses courses et nous avait vu Toffy et moi, roupillant l’une contre l’autre, elle nous avait prises en photo ( j’ai d’ailleurs cette photo en fond d’écran de téléphone ). Malheureusement, Toffy, qui était déjà assez dodue, devait éviter de manger des choses trop grasses. J’ai donc dû arrêter les goûters pour chats et mettre Toffy au régime. Toffy n’aimait pas les courgettes mais elle les acceptait quand même sans broncher, je pense que c'était pour me faire plaisir. Malgré ça, elle ne maigrit pas. Moi je l’aime bien ma grosse Toffy, mais sa santé en dépend et il faut qu’elle perde du poid. Mais, pour en revenir à cet étrange monde aux couleurs excentriques, je me demande pourquoi l’odeur des gourmandises de Toffy est présente dans mon rêve… J’effleure de ma main la cascade violette, mais, sans m’y attendre, elle m’électrocute. La douleur est vive et me transperce le corps. Je commence à paniquer, cet endroit est extrêmement dangereux ! Le ciel se déchire alors et devient marron. Des éclairs émeraudes tombent du ciel sans arrêt, avec un bruit assourdissant. Ma tête commence à me faire atrocement mal et mon corps se réduit lentement en poussières. J’ai froid et je tremble, tandis que je vois mon corps se dissoudre sous mes yeux. Soudain, la cascade violette déborde et lorsque je me penche vers l’eau colorée, j’y vois mon reflet, et j’en reste abasourdie : mes yeux ont pris une teinte blanche et argenté, et mes cheveux aussi. Comme si les éclairs avaient pris l’émeraude de mes yeux ! Je redresse la tête et j’aperçois au loin une tornade monumentale, qui doit bien mesurer 150 fois ma taille ! J’équarquille mes yeux à tel point que ça me fait mal et que ma vue se brouille. Mais alors que la tornade est à moins de dix mètres de moi, je me demande : “ pourquoi ce rêve ? ”. C’est vrai, après tout, les rêves sont basés sur des faits réels. Donc, ce rêve n’est pas juste là pr hasard. D’un coup, la tornade m’emporte, et la seule chose à laquelle je pense est… Toffy.
Retour à la réalité. Je rouvre les yeux, et ils se posent automatiquement sur Toffy. Elle est encore endormie la coquine ! Je lui tapote la tête gentiment pour qu’elle se réveille et que je puisse me lever. Mais… pas de réaction. Elle reste immobile, les yeux clos. D’un coup mon cœur s’emballe et je peine à respirer. Lui serait-il arrivé quelque chose ? Je la caresse contre le sens du poil, ce qui, normalement, est très désagréable pour elle. Toujours pas de réaction. Aucun mouvement de sa part. Rien. Les yeux aux bord des larmes, je presse ma main contre son cœur et… je ne sens aucun battement. Juste le silence. J’ai envie de hurler, de crier de toutes mes forces jusqu’à me détruire la gorge. Pourquoi elle ne se réveille pas ? Il faut qu’elle se réveille, il faut qu’elle se réveille ! Je ne veux pas ça ! Qu’est-ce qu’elle a fait pour mériter un sort pareil… Pourquoi ça n’arrive qu’à moi les choses comme ça ? Pourquoi ! Je sanglotte, me lamente et gémis à n’en plus finir. Finalement, je décide de saisir mon téléphone et d’envoyer un message à ma mère et à mon père :
Venez vite à la maison, il est arrivé
quelque chose à Toffy, je n’en peux
plus d’attendre votre arrivée !
Maman me répond quelques minutes plus tard :
D’accord ma chérie on arrive.
J’espère que ce n’est pas trop grave…
Sa dernière phrase reste gravée dans ma tête. “ J’espère que ce n’est pas trop grave…”. Cette phrase me fait vraiment mal. La vérité est que, si, c’est grave. Soudainement, une idée me vient, qui pourrait m’apaiser. J’approche ma tête de la sienne et lui dépose un tendre baiser sur le haut de la tête. J’aimerais la voir me regarder avec ses beaux yeux bleus, qu’elle me réchauffe de son petit corps de chat. Mais elle ne peut plus. Tout ça c’est fini, c’est derrière moi. Je détourne les yeux de sa dépouille, les yeux humides. J’aimerais que tout cela ne soit qu’un cauchemar. Oui, juste un affreux cauchemar.
Quand maman et papa arrivent enfin, je me jette dans leurs bras, en larmes. Ma mère porte sa main à la bouche, en lâchant d’un coup les sacs de course qu’elle portait. Mon père me prend dans ses bras pour me réconforter, triste lui aussi. Après tout, c’est grâce à lui que Toffy faisait partie de notre famille. Je me souviens du jour où nous l’avions adoptée, comme si c’était hier. Mon père était arrivé à la maison avec une boîte pleine de trous. C’était mon anniversaire, et il me l’avait donné en me disant : – Voilà ton cadeau d’anniversaire Emy ! Allez, ouvre-le vite ! J’avais soulevé le couvercle de la boîte et une boule de poils m’avait sauté dessus en me léchant le visage, et j’étais tombée en arrière. Par la suite, je l’avais nommée “ Toffy ” parce qu’elle était très touffue.
Je ne peux pas croire qu’elle soit morte à seulement cinq ans… Je sûre que si elle était encore vivante, elle aurait eu une bonne vie. Non, il ne faut pas que je pense à ça. Toffy n’aurait sans doutes pas aimé me voir triste. Donc, j’essuie mes larmes d’un revers de main, et m’enfuie dans ma chambre. Je ferme la porte et me réfugie dans mon lit, sous ma couette. Je remarque alors le petit cadre rose, sur une des étagères de mon lit. Il y a une photo de Toffy dedans. Je ne peux m’empêcher de me remettre à pleurer… Je prend le cadre et le serre contre ma poitrine et murmure:
– Désolé Toffy… de ne pas avoir pu veiller sur toi et te protéger. J’espère que tu vas bien, là haut. Que… tu manges bien, que tu t’amuses bien.
À partir de ce jour, je regarde fréquement le ciel, en me disant que tu es peut-être quelque part en train de me regarder, et de jouer le rôle de mon ange gardien.
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