Chapitre 3
Le téléphone en main, j’hésitai encore. Est-ce que j’envoyais un dernier message à Simon pour le prévenir que je partais et qu’il pouvait rentrer ? Et bien non ! J’avais plutôt envie de le faire mariner... Il trouverait ses clés avec ma lettre de démission dans sa boite aux lettres. Quand ? Ça m’était égal ! Il pouvait bien loger où il voulait en attendant de retrouver sa maison, ça lui ferait les pieds ! Amusée par ma petite vengeance, je poussai même plus loin ma mesquinerie et décidai de bloquer son numéro plutôt que l’effacer. Ainsi, je ne saurai même pas s’il tentait de m’appeler.
Le train entra en gare Saint-Lazarre. Fière de moi, je montai à bord et regagnai ma place dans le wagon. La tête appuyée contre le carreau, je fermai les yeux et laissai Paris s’effacer pour redécouvrir Étretat.
Un peu moins de trois heures plus tard, je débarquais au Havre. Mon père m’attendait sur le quai, une rose blanche dans les mains.
— Tiens, c’est pour que tu oublies au plus vite Simon et Black Rose.
Je m’esclaffai. Mon père était le plus attentionné des hommes, mais aussi le plus drôle !
— Tu as fait bon voyage ?
— Oui, merci. Comment va Mamé ?
— Elle vieillit…
Mon père attrapa mes sacs et les fourra dans le coffre de sa Volvo. Sur le trajet, il me questionna sur ma rupture avec Simon.
— C’est un con ! Qu’il ne veuille plus de moi, OK ! Mais qu’il mette en doute mon professionnalisme et dénigre mon boulot, ça non !
— Tu as raison Lili, ce n’est qu’un con.
Ça faisait du bien de se sentir soutenue. Moi qui m’attendais à ce que mes parents me rappellent que trouver du boulot n’était pas aussi simple, et qu’il valait parfois mieux tourner sa langue sept fois dans sa bouche avant de parler…
L’air frais s’engouffrait dans l’habitacle par mon carreau entrouvert, et le soleil jetait de timides rayons sur la mer, la faisant miroiter sous la ligne d’horizon. J’étais heureuse qu’il se soit enfin décidé à se lever, lui qui se cachait depuis des mois derrière de sombres nuées. Peut-être que, fidèle à ma peine, il attendait de me voir sortir de ma brume et rayonner à nouveau pour en faire de même. Peut-être était-il de mon côté finalement.
La voiture avança sur l’allée de graviers qui menait à la maison de Mamé et mon cœur cogna soudain plus fort. Je vouais une adoration sans bornes à cette propriété. Elle était plus ou moins fidèle à mes souvenirs : une large bâtisse mêlée de pierres et de briques rouges, un toit pointu en ardoises sous lequel trônait un balcon en fer forgé et une succession de marches menant à un porche en bois. Cette villa, finalement plus petite en réalité qu’elle ne l’était dans mon esprit, restait malgré tout le fabuleux château de Mamé Fanette.
À peine, avions-nous passé la porte d’entrée que des éclats de voix nous parvinrent depuis la cuisine.
— C’est ça, vous n’avez qu’à m’interner !
Sur les talons de mon père, j’entrai dans la pièce au moment où ma grand-mère la quittait en pestant. Une forte odeur de brûlé envahit nos narines tandis qu’une nappe de fumée s’échappait de la vieille cuisinière.
— Que se passe-t-il ? demanda Papa en ouvrant les fenêtres.
— Elle a voulu faire à manger elle-même.
Mon père ne commenta pas mais ne comprenant pas le problème, je rétorquai :
— Et alors ?
Mes parents échangèrent un regard avant que ma mère ne réponde.
— Et bien, les pommes de terre sont cramées…
— On s’en fout, on a qu’à commander un plateau de fruits de mer, Mamé adore ça !
— Oui, faisons ça.
Pendant que j’appelais le traiteur, Maman partit convaincre ma grand-mère de revenir parmi nous. Lorsque je la vis réapparaître dans le salon, je manquai de faire tomber la planche qui venait de m’être livrée. Mamé avait troqué son tablier contre un vieux gilet mal boutonné, ses boucles argentées étaient défrisées et pendaient comme de vieux fils dénudés. Mais c’est son regard qui me bouleversa le plus. D’aussi loin que je me souvienne, ses grands yeux débordaient d’eau de mer. Aujourd’hui, ils me semblaient voilés, comme délavés.
— Oh Lili Divine !
Je retins in extremis les larmes que je sentais poindre au bord de mes paupières lorsque Mamé s’approcha de moi, et m’entoura de ses bras en répétant à haute voix mon surnom. Pétrifiée sur place, la plateau d’huîtres au bout de mes doigts, je continuai de lutter contre mon envie de pleurer.
Le repas s’éternisa, rythmé par la joie de ma grand-mère qui, si heureuse de nous retrouver, semblait avoir oublié l’incident qu’elle avait provoqué. Silencieuse, je ne parvenais pas à détacher mes yeux de son visage, cherchant à retrouver les traits familiers de ma Fanette tant aimée.
Je ne bougeai toujours pas lorsque ma mère se leva pour accompagner Mamé jusqu’à sa chambre et que mon père me versa du café. J’interceptai un nouveau regard entre mes parents au moment où Maman regagnait sa place à table.
— Qu’est-ce qui se passe ? lui demandai-je.
— Elle ne peut plus rester seule.
— On lui a trouvé une maison avec des gens de son âge, ajouta mon père.
— Vous voulez la foutre chez les vieux ?
— Elle… elle est âgée Lili.
Je serrai les dents. J’avais froid au cœur. Je voulais courir dans le verger et revenir avec des cerises aux oreilles en tapant des pieds pour que Mamé Fanette se retourne vers moi et me réchauffe de ses yeux remplis de ciel bleu. Mes parents m’imploraient du regard mais je les ignorai, croisant les bras et fronçant les sourcils comme une enfant capricieuse.
— C’est une belle structure. Les chambres sont spacieuses et lumineuses. On a même une vue imprenable sur les falaises.
Je me levai brusquement.
— Rappelez-moi de vous sortir ce même baratin quand il sera question de vous foutre en maison de retraite vous aussi !
Sur ces mots, je quittai la pièce et sortis de la maison en claquant la porte.
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