Chapitre 7

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Nous venions de manger, mes parents, Mamé, Ben et moi dans une ambiance plutôt légère, ce qui avait eu le mérite d’estomper quelque peu ma colère. Mon cousin s’était montré avenant à table, en faisant semblant de s’intéresser à ma mère. J’exagérais. Il s’intéressait sincèrement à ma mère. Elle et Mamé avaient toujours eu droit à un traitement de faveur. Il ne les malmenait pas, ne riait jamais d’elles et leur offrait toujours ce sourire de tombeur qui me donnait la nausée. « Ce sont des femmes elles aussi, tu sais ? » lui avais-je dit à la suite d’une de ses répliques assassines sur la condition féminine. « Ben, tu devrais en prendre de la graine. » m’avait-il rétorqué. Je n’avais pas cherché à analyser le message qu’il voulait me faire passer derrière cette remarque, mais j’avais compris qu’elles avaient toutes deux une place particulière dans son cœur. Si tant est qu’il en eut un ! Je songeais qu’il devait souffrir de l’absence de sa mère et qu’il reportait son amour sur les deux figures maternelles les plus proches de lui. Pour les autres, toutes dans le même panier que Tante Lucie ! Moi, y compris.

J’envisageai difficilement la cohabitation avec lui. Il était clair qu’on ne se supportait pas. Je n’aimais ni son arrogance ni son inconstance et lui détestait mon caractère entêté et mon franc-parler. Il me suffirait de l’éviter le plus possible. Comme il passait visiblement tout son temps, le nez collé à son ordi, ça ne devrait pas être trop compliqué.

Il faisait doux, malgré le temps légèrement voilé qu’un timide rayon de soleil tentait de percer. Ma grand-mère somnolait dans son fauteuil de jardin, un châle sur les épaules, tandis que Maman et moi nous laissions bercer par le mouvement de la balancelle. Ben était retourné à son écran et mon père s’était installé dans le salon devant une chaine sportive, après nous avoir aidées à débarrasser. « Prends-en de la graine, toi aussi.» m’étais-je entendue dire pour moi-même, les yeux braqués sur le dos de mon cousin.

Le crissement des graviers chassa la silhouette de Ben de mon esprit et me fit tourner la tête. Une femme s’approcha de nous. Ma mère se leva pour aller la saluer et me la présenta.

— Voici Martine.

— Enchantée, lui répondis-je en lui serrant la main qu’elle me tendait. Je fus autant surprise de la douceur de sa paume que de la chaleur de son sourire. Il éclipsait, à lui seul, toutes les nuées.

Je la regardai ensuite, s’éloigner avec la grâce d’une ballerine, pour rejoindre ma grand-mère à l’oreille de laquelle elle souffla quelque chose que je n’entendis pas. Mamé se mit à rire puis Martine rentra à l’intérieur de la maison. Je m’étais attendue à voir débarquer une femme plus âgée mais elle ne devait pas être beaucoup plus vieille que moi. Mais qu’est-ce qu’elle foutait là ?

— Martine vient deux fois deux heures, m’expliqua Maman. Le lundi, elle fait les poussières et lave les sols, le jeudi, elle change les draps et fait du repassage.

Je ne l’enviais pas. J’avais les tâches ménagères en horreur. Petite, j’usais de stratégies en tous genres pour éviter les corvées qui m’étaient attribuées. À présent adulte, je ne pouvais plus m’y soustraire mais je ne consacrais que quelques minutes par jour au strict nécessaire. Lancer un lave-vaisselle ou une machine, passer un coup d’aspirateur et plier consciencieusement le linge pour ne pas avoir à la repasser, me suffisait largement. Cela dit, j’étais très admirative des femmes dont la maison était toujours impeccablement rangée et nettoyée. Je me demandais d’ailleurs comment elles s’y prenaient pour avoir le temps de travailler, de s’occuper de leurs progénitures et de briquer leur baraque. Leur restait-il un peu de temps pour elles ? Et cette Martine, pourquoi était-elle contrainte de venir faire le ménage chez les autres ? Je ne pouvais concevoir que ce soit par simple passion. Comme si ma mère lisait dans mes pensées, elle ajouta :

— Martine a perdu son mari l’année dernière. Elle vit seule avec ses deux enfants. Ils ont cinq et trois ans. Elle était assistante commerciale, tu sais ? Mais son travail lui prenait trop de temps. On ne l’a pas virée… Tu comprends dans le contexte dans lequel elle était, ça aurait été mal vu. Alors on lui a suggéré de trouver autre chose. Faute de mieux, pour le moment, ce sont les ménages qu’elle fait, qui lui permettent de payer son loyer. J’espère qu’elle trouvera autre chose. C’est une fille courageuse !

— Et son boss, c’était un homme j’imagine ?

— Non ! Une femme…

J’en étais consternée ! Cette injustice ranima la colère que j’avais réussi à endormir au fond de moi. Je repensai à mes rêves de petite fille, bercés par mes lectures, par ces moments de l’Histoire que mes grands-parents me contaient, que mes professeurs m’enseignaient, où les gens faisaient front commun pour mener des causes justes. Il me semblait qu’il n’y avait plus aucune solidarité de nos jours, et que ce qui comptait le plus, qu’on soit un homme ou une femme, c’était de se placer au sommet de la société. À n’importe quel prix. Chacun pour sa tronche !

Mon père nous rejoignit, mettant fin à mes révoltes intérieures.

— On ne va pas tarder chérie ? dit-il à l'adresse de ma mère.

Maman acquiesça puis me prit les mains.

— Ça va aller ?

— Si tu dois te faire du souci pour quelqu’un c’est pour ton neveu. Je risque de l’étriper dans les deux prochains jours.

Maman renversa la tête en arrière et rit de bon cœur.

— Il n’est pas si mauvais que tu le crois.

— On parle bien de Ben ?

— Tu sais, parfois, l’image qu’on renvoie aux autres n’est pas du tout celle qui nous correspond.

— Il ferait mieux de réviser sa copie alors.

Elle rit encore.

— Allez, mets de ton côté ton amertume. Au moins, pour Mamé. Elle est si heureuse de vous avoir auprès d’elle tous les deux.

— Je ferai de mon mieux.

Elle me prit dans ses bras. Elle sentait bon le chèvrefeuille. En sentant mon cœur cogner si fort, je mesurai combien elle m’avait manquée. 

— Vous revenez dès que vous pouvez, hein ?

— Oui, au moins pour vérifier que Ben est toujours vivant.

C’est moi qui ris cette fois.

— Prends soin de toi, Mamoune !

— Ne t’inquiète pas pour moi. Je t’appelle en rentrant.

Elle alla embrasser ma grand-mère pendant que mon père mettait les sacs dans le coffre puis après de nouvelles embrassades, je regardai la voiture s’éloigner. Ça me faisait toujours le même effet que lorsque j’étais petite. Une partie de moi avait envie de pleurer et l’autre de me lover dans les bras de ma tendre Mamé.

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