Chapitre 16

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Je n’avais cessé de penser à Jenny durant tout le repas. À présent que Mamé se reposait dans sa chambre, je tournai en rond dans le salon. Je regrettais de ne pas m’être approchée d’elle, de ne pas avoir lancé la conversation, ne fusse que pour échanger quelques banalités. L’envie de retourner au Café de la plage m’assaillait de toutes parts mais je ne pouvais laisser ma grand-mère seule. Pourquoi Ben n’était-il toujours pas rentré ? Travaillait-il tout le samedi ? J’en doutais. Je le soupçonnais de déserter la maison le temps de faire le tri dans ses pensées.

J’attrapai mon téléphone et passai un coup de fil à ma mère. L’entendre calmerait mes nerfs. Elle décrocha au bout de deux sonneries.

Lili, comment tu vas ?

C’est à toi qu’il faut demander ça.

Je vais bien, le médecin a été très rassurant. Une petite opération suffira certainement à endiguer le mal.

Je levai les yeux au ciel. Pourquoi minimisait-elle toujours ce qui lui arrivait ? Elle dût sentir ma réserve car elle argumenta encore. Puis, comprenant qu’elle ne parviendrait pas à me convaincre, elle décida de changer de sujet.

Et Mamé comment va-t-elle ?

Ça va… Elle est plutôt en bonne forme. Je crois qu’elle prend beaucoup sur elle.

Ça ! Elle luttera jusqu’au bout pour ne pas nous montrer ses faiblesses et ses angoisses.

J’acquiesçai et après quelques secondes d’hésitation, je lui demandai :

As-tu déjà entendu parler de son amie Augustine ?

Non, qui est-ce ?

Je tournai autour du pot :

Une fille qu’elle a rencontré lorsqu’elle était adolescente. J’ai trouvé quelques lettres alors elle m’en a un peu parlé...

C’est bien, ça entretient sa mémoire.

J’acquiesçai encore en masquant ma déception. J’avais espéré que ma mère aurait pu m’apprendre quelques informations supplémentaires. Avoir vu Mamé si confuse après qu’elle m’ait raconté ce début d’histoire m’empêchait de relancer le sujet. Je n’osai pas dire à Maman la nature réelle de leur relation et les émotions que son souvenir avaient suscitées. Finalement, je me retrouvais comme lorsque j’étais petite, en proie à la culpabilité dont je devais faire face à la suite de mes bêtises.

Et Ben ? relança ma mère.

Il va, il vient. Un vrai courant d’air.

Bon au moins, vous ne vous chamaillez pas trop. Tant mieux.

Sa voix était rieuse. Malgré mon inquiétude, je me sentis rassurée. Maman avait toujours eu ce pouvoir d’alléger mon cœur. Après quelques échanges encore, je raccrochai. L’agitation dans ma tête m’empêcha de me plonger dans mes bouquins, aussi fis-je ce que je n’aurais jamais imaginé faire de mon plein gré : je cuisinai. Lorsque Mamé se réveilla de sa sieste, une tarte aux pommes sortait du four, embaumant la cuisine d’une délicieuse odeur de cannelle.

Et ben Bibine, heureusement que j’ai encore toute ma tête, sinon je jurerai ne pas te connaître.

Contente de sa petite blague, elle s’approcha de moi et m’embrassa la joue. Elle remplit ensuite la bouilloire et mit quelques feuilles de thé dans l’infuseur. Puis elle s’assit et m’observa.

La petite t’a chamboulée n’est-ce pas ?

Je mis quelques secondes avant de comprendre qu’elle parlait de Jenny.

C’est vrai. Elle est si différente de mes souvenirs. Jenny, c’était le soleil…

Mamé sourit. Jenny c’était le soleil et Augustine c’était l’Aurore. On avait de drôles de comparaisons dans la famille.

Quelque chose m’échappe, dis-je. Pourquoi ne pas quitter Étretat et refaire sa vie ailleurs ? Pourquoi rester ici ? Au nom de quoi ?

De l’amour ?

Tu parles !

De l’attachement… Ou de la culpabilité. Va savoir ce que contient le cœur de Jenny.

Je repensai à cette remarque que Mamé avait faite sur le fait que l’amour était bien plus complexe qu’il n’y paraissait. N’avait-elle pas elle-même sacrifié ce qu’elle ressentait pour Augustine au profit d’un parent qui ne le méritait pas. Je secouai la tête pour chasser mes pensées. Qui étais-je pour juger ainsi ?

Le sifflement de la bouilloire coupa court à mes questionnements et je versai l’eau bouillante dans la théière.

Tu as ce courage toi d’envoyer valser les hommes qui ne te correspondent pas. Tu as bien raison !

Je ne sais pas si l’on peut qualifier cela de courageux...

Tu sais ce que tu veux !

Je sais surtout ce que je ne veux pas.

Et que ne veux-tu pas ?

Je ne veux pas me réveiller un matin en me disant que j’ai sacrifié les rêves que j’avais pour quelqu’un. Je ne veux pas être emprisonnée. Je suis sans doute très égoïste.

Mamé me sourit tendrement. Ma réponse sembla réveiller l’éclat bleuté de ses yeux.

Tu n’as pas tort ma Lili Divine. La liberté et l’amour sont difficiles à apprivoiser alors les deux ensemble… Si j’avais suivi Augustine, elle n’aurait plus jamais été libre.

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