Chapitre 16

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 Je restai figée sur place, penaude. La tristesse avait remplacé la colère. « Il y a la vie dont on rêve et les choix qu’on fait. » La remarque de Jenny tourbillonnait dans ma tête et me ramena à ce petit groupe que nous formions Ben, Jenny, Marceau et moi. Un soir, à la fin de l’été, nous nous étions retrouvés près du Bunker. Marceau avait ramené quelques bières, Jenny des chips. La fin des vacances approchait et avec cela, notre entrée en études supérieures. Nous avions parlé des écoles que nous avions choisi et de la vie qui s’offrait à nous. Jenny avait alors eu une idée. « On va tous écrire ce qu’on pense devenir plus tard. » Marceau s’était enthousiasmé. « Oh ouais ! Et aussi ce qu’on pense que les autres deviendront. On enterre nos réponses et on viendra les relire, genre quand on aura quarante ans ! » J’avais souri tandis que Ben avait levé les yeux au ciel.

Ce souvenir me conduisit au bunker et, mue par une sorte de frénésie, je creusai le sable de mes mains jusqu’à tomber sur la petite boite en fer dans laquelle Mamé conservait les miettes de pain pour les mouettes. Je trouvais fou que ce trésor soit toujours là une bonne dizaine d’années plus tard. J’hésitai à l’ouvrir… Avais-je le droit de faire ça seule ? C’était un « trésor » commun après tout. Mais qui, à part moi, se soucier encore de cette chose ? Jenny n’était vraisemblablement plus mon amie, Ben me détestait, quant à Marceau… Je ravalai mes larmes et ouvris la boite dans laquelle se trouvait nos bouts de papier encore intacts. Nous avions eu la présence d’esprit de les insérer dans une pochette isotherme que nous étions allés piquer chez Mamé. Je reconnus sans peine les différentes écritures. La graphie ronde de Jenny et les cœurs qu’elle inscrivait sur les « i », les fautes d’orthographe de Ben et l’horrible « Coco » qu’il avait mentionné puis, l’écriture majuscule de Marceau qui ressemblait à un joli tag. Les avis étaient unanimes :

Jenny : mannequin ou comédienne. Mariée à Ben.

Ben : sportif de haut niveau. Marié à Jenny.

Marceau : médecin ou chirurgien. Marié à Fiona.

J’émis un bref sourire en pensant à cette fille qu’il n’avait jamais eu le courage d’aborder et une vague de tristesse m’envahit. Jenny croupissait dans un café moisi, Ben avait laissé tomber le sport après une mauvaise fracture et Marceau avait bien sauvé des vies mais personne ne l’avait sauvé, lui.

Je lus enfin les prédictions me concernant, un sac de nœuds compressant mon œsophage.

Lili/Coco : écrivain. Mariée à son chat/à son chien. Célibataire.

Je ne savais pas ce qui me fit le plus mal. Que personne ne s’imagine que je puisse faire ma vie avec quelqu’un ou que tous aient été unanimes pour m’imaginer l’auteure que je n’avais jamais eu l’ambition moi-même d’être.

Mamé était assise dans le canapé, une page de mots croisés sur les genoux, quand je rentrai. Le soleil jetait ses rayons à travers les fenêtres, plongeant le salon dans une chaude lumière estivale. Je m’assis aux côtés de ma grand-mère et posai ma tête sur son épaule.

Bah alors ma Bibine, qu’est-ce qui t’arrive ?

C’est dur d’être adulte.

Ah ça !

Je voudrais encore être une enfant. C’était plus facile.

Tu n’as pas toujours dit ça. C’est parce que tu ne te rappelles pas !

Mes problèmes de l’époque me semblent bien dérisoires maintenant.

Tu sais ce que j’en dis, Lili Divine, il n’y a pas de problèmes…

— … rien que des solutions.

Je ne vais plus t’embêter avec cette histoire de librairie mais s’il te plaît, réfléchis-y…

Promis !

Je restai là, un moment, bien au chaud contre ma grand-mère. J’inspirais son odeur de Nivéa, et caressais sa main toujours aussi douce que dans mes souvenirs, si ce n’est que les veines saillaient davantage qu’autrefois. Sa peau était désormais si fine, qu’il aurait suffi d’un coup d’ongle sur ces veines pour que celles-ci se rompent. Ce constat raviva la boule coincée au creux de ma gorge. La vie avait filé à une vitesse folle. Je repensais aux lettres adressées à « A » et me rendis compte que je ne savais rien de la vie de ma grand-mère avant qu’elle ne soit...Mamé.

Contrariée à l’idée de me mêler une fois de plus de ce qui ne me regardait pas, je pris néanmoins mon courage à deux mains et demandai :

Dis Mamé, et si tu me racontais une histoire ?

D’accord. Laquelle tu veux ? Oliver Twist ? Rémi sans famille ?

Non, pas celles-là. Je voudrais entendre TON histoire. Raconte-moi l’histoire de Mamé Fanette, s’il te plaît.

Raconte-moi, Mamé, et je me souviendrai à tout jamais, pour toi.

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