En arrivant dans le wagon restaurant, j'aperçus sur le comptoir une tasse de café fumant et un sandwich à moitié entamé. Les voyageurs avaient-ils sauté en marche où bien s'étaient-ils cachés pour me faire une blague, genre caméra cachée ?

J'essayai de plaisanter sur la situation mais je n'avais pas vraiment envie de rire et cette solitude forcée commençait à me peser. Je devais sûrement être encore en train de dormir, il suffisait juste que je me réveille et tout rentrerait dans l'ordre. Je me pinçai le bras puis la joue, mais rien à faire.

La douleur m'arracha un cri, prouvant ainsi que j'étais bien réveillée, mais cela ne fit pas réapparaitre les voyageurs.

Dans le wagon restaurant, la grosse horloge murale était arrêtée, la trotteuse ne fonctionnait plus. Machinalement, je jetais un regard furtif à ma montre qui était également arrêtée à la même heure.

Cette coïncidence étrange n'en était peut-être pas une. C'était peut-être cela la clé du mystère.

Je laissai mon regard se perdre au loin, observant le paysage qui défilait à travers les vitres du train.

Quand tout à coup, un détail attira mon attention, j'avais déjà vu ce village, et ces voitures arrêtées devant la barrière du passage à niveau. Mais cette fois-ci, les véhicules étaient vides semblant à l'abandon. Sur une banquette , je trouvai une montre, celle-ci indiquait la même heure que l'horloge du wagon restaurant et que ma propre montre. C'était comme si le temps s'était arrêté tout à coup mais pour moi seulement, me plongeant dans une sorte de boucle temporelle. Je me trouvais dans une bulle à l'écart du reste du monde. Que s'était-il passé, et comment faire pour sortir de ce monde parallèle dans lequel j'étais seule à exister. Un instant je crus distinguer un mouvement sur le côté de mon champ de vision. Je tournai rapidement la tête et eus le temps d'apercevoir une fillette qui disparut subitement au bout du couloir. Je poursuivis l'apparition qui pourrait peut-être m'apporter des précisions sur le mystère qui m'entourait.

J'appelai la fillette d'une voix forte, montrant ainsi que je l'avais vue. L'enfant s'arrêta brusquement, surprise par ma présence.

Elle hésita un instant, ne sachant quel comportement adopter. Puis elle vint à ma rencontre.

Elle était vêtue d'une courte robe blanche et portait de longues tresses qui lui donnaient l'air d'une écolière des années quarante.

- Bonjour, commençai-je, pour engager la conversation

La fillette ne répondit  pas mais continua à me fixer de ses grands yeux verts.

- Tu comprends ce que je dis ? Enchainais-je, pensant qu'elle venait d'un autre pays et ne parlait peut être pas ma langue.

- Oui, répondit-elle après un long moment de silence.

- Sais-tu pourquoi tous les voyageurs ont disparus ?

- Oui.

Notre conversation s'arrêta ainsi, elle savait mais ne disait rien, laissant le silence s'installer entre nous.

- Pourquoi ? Continuai-je en la retenant par le bras pour l'empêcher de s'enfuir à nouveau.

- Tu dois arrêter le train… maintenant.

- Hein… ? Pourquoi ferrais-je cela ?

- Il va y avoir un accident.

- Comment peux-tu savoir cela ?

- Parce que c'est déjà arrivé.

- Je ne comprends rien à ce que tu racontes !

- Tu dois arrêter le train maintenant, s'énerva-t-elle.

- Si tu m'explique pourquoi, alors je le ferrai peut-être… sinon, tu n'auras qu'à le faire toi-même.

- Je ne peux pas, je ne suis pas vraiment réelle. Tu es bloquée dans une bulle temporelle, pour toi uniquement, le temps s'est arrêté. Les autres voyageurs sont toujours là, mais tu ne les vois pas et eux non plus ne peuvent pas te voir.

- Et toi, qui es-tu ?

- Je m'appelle Anaëlle, j’étais avec mes parents dans le train… il y a eut un accident, et depuis je suis seule et aujourd'hui, c'est la première fois que je rencontre quelqu'un qui puisse me voir. Tu dois arrêter ce train avant l'accident.

- Comment veux-tu que je l'arrête, je ne suis pas mécano, je ne connais rien dans le fonctionnement des trains.

- Tu n'as qu'à tirer le signal d'alarme répliqua-t-elle sur le ton d'une adulte expliquant une évidence à son enfant.

L’idée était tellement simple et logique que je m'étonnais de ne pas y avoir pensé moi-même.

- Je veux bien le faire mais seulement si tu m'explique comment retrouver les autres voyageurs.

- Il te suffit de t'endormir à nouveau et dés que tu te réveilleras tu tireras le signal d'alarme.

- Vraiment, c'est aussi simple que ça ? Demandai-je d'un ton étonné.

- Oui. Et surtout ne tarde pas, fais le dés ton réveil.

Puis la fillette disparut aussi mystérieusement qu'elle était apparue.

Je cherchai mon siège, dans lequel je m'installai confortablement, essayant de trouver le sommeil.

Après plusieures minutes à tourner et retourner sur la banquette , je finis par m'assoupir.

Le brouhaha des conversations et les odeurs de transpiration me tirèrent rapidement de ma somnolence.

Les paroles de la fillette se mirent à tourner en boucle dans mon esprit, m’obligeant à accomplir un acte irréfléchi et irrationnel. Je me levai et tirai la manette rouge du signal d'alarme. Le système de freinage d'urgence s'enclencha, faisant ralentir le train qui finit par s'arrêter après plusieurs mètres de ralentissement.

Les voyageurs me regardaient effarés ne comprenant pas mon geste inattendu.

Le contrôleur arriva rapidement dans le wagon cherchant le responsable de cet arrêt d'urgence.

J'écopai d'une amende pour trouble à la bonne marche du train. Le conducteur réamorça le système de freinage et nous arrivâmes à destination avec deux heures de retard.

J'étais furieuse contre moi-même, pour avoir laissé un rêve régenter mes actes.

Une semaine plus tard j'appris qu'un camion était tombé en panne sur la voie ferrée proche de l'endroit où j'avais tiré le signal d'alarme. Si le train ne s'était pas arrêté inopinément pendant deux heures, l'accident aurait été terrible et dramatique. Cette information me laissa perplexe et dubitative. Avais-je vraiment rêvé ?