Mahoré 2 : Levée de troupes

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Pendant que Mahoré inspectait les deux établissements, un jeune soldat rejoignait ses pénates. Jon n'était pas une nouvelle recrue. Enrôlé depuis un an, il n'avait pas encore connu le feu. Son séjour au centre éducatif lui laissait un souvenir mitigé. En vérité, il en gardait un très mauvais souvenir. Ils se remémorait avec dégoût certaines pratiques que des gardiens du quartier B le forçaient à accepter. Mal lui en prit ! Ils le battirent, le tasèrent plusieurs jours d'affilée si bien qu'il finit par rentrer dans le rang. Il se demandait quand finirait son enfer. Heureusement, ses tortionnaires jetèrent leur dévolu sur un autre, le trouvant sans doute trop adulte à leur goût.

Au quartier C, l'entraînement devint plus martial et on accorda un peu plus de liberté. Les sorties, de plus en plus fréquentes, lui permirent de voir l'extérieur. Il sentit pour la première fois l'herbe sous ses pieds, put toucher les arbres, admirer une cascade se déversant dans un plan d'eau, apprécier le chant des oiseaux, savourer l'odeur d'humus et d'herbes mouillées après une averse. Tout cela apporta du baume à son psychisme blessé.

Tout à ses pensées, il entendit à peine un soldat l'interpeller.

— Hé, soldat de merde, t'es bien fier !

Il n'y prêta pas attention et continua à marcher vers son box, semblable aux centaines d'autres bien alignés le long de l'une des trente allées du gigantesque hangar. La voix se fit plus pressante, plus amicale.

— Alors, on ne reconnaît plus les copains ?

Jon se retourna, s'approcha du box que le mystérieux occupant avait laissé ouvert.

— David ?... C'est toi ? Je... Je ne m'attendais pas à te voir ici.

— Ouais ! Ils ont fini par me mater moi aussi, dit-il, un sourire provocateur aux lèvres, façon pratique de cacher son désarroi qui lui avait apporté tant de déboires au Centre.

Jon lui sauta au cou, tout à la joie de retrouver un vieux camarade avec lequel il avait passé son adolescence et aussi soulagé de savoir qu'il s'en était ressorti. Mais David n'était pas du genre expansif.

— Heu, bon ! Tu ne vas pas me rouler une pelle non plus !

—Tu es toujours aussi con. Tu sais que je ne te supporte déjà plus ?

— Moi, je ne t'ai jamais supporté vieille carne.

— On a le même âge, je te signale. Qu'est-ce que tu deviens mon bro ? demanda Jon avec une certaine affection dans la voix.

— J'ai réussi mes examens comme tu le vois. J'ai quitté le Centre ce matin. Je viens juste de finir mon installation. Et toi ?

Pour les enfants du centre éducatif, réussir ses examens voulait dire s'en sortir sans trop de casse.

— J'attends mon affectation. Ça fait un an que je tourne en rond. Je m'ennuie un peu. J'ai hâte de me dégourdir les jambes.

— À propos de se dégourdir les jambes, si on allait faire un tour dehors ? proposa David.

Les deux amis enfilèrent un pull par-dessus leur marcel et remontèrent en silence la longue allée jusqu'à la sortie. La fraîcheur printanière les rasséréna. Ils s'arrêtèrent à un banc métallique et s'imprégnèrent en silence de la quiétude des lieux ainsi que des rayons chaleureux d'une journée qui s'annonçait magnifique.

— Toi aussi, tu apprécies l'extérieur, constata Jon.

David se tourna vers son compagnon. L'expression grave qu'il affichait contrastait avec son sempiternel sourire provocateur si agaçant.

— Ici, personne ne pourra nous entendre. Tu savais qu'ils ont mis des micros dans chaque box ? Je l'ai découvert par hasard. Mais bon ! Ce n'est pas le propos. Ecoute ! Je le dis qu'à toi parce que tu es le seul en qui j'ai confiance.

Jon fronça les sourcils. David avait su capter son attention.

— J'espère qu'ils me choisiront pour la prochaine mission. Il paraît que c'est à Paname, à l'extrémité ouest du continent. Au-delà c'est le désert. On sera loin de la capitale.

Le jeune homme se tourna vers son compagnon, vérifia du regard les alentours avant de poursuivre dans un murmure.

— J'ai l'intention de déserter quand on sera sur place.

Cette confession ne surprit Jon qu'à moitié. Deux solutions s'offraient aux sauvageons, comme les appelaient les gardiens : soit fuguer, soit endurer leur captivité jusqu'à leur dix-huit ans. David en sortit à dix-neuf du fait de son comportement peu coopératif, après n'avoir connu que la violence d'une vie que certains cherchaient à se soustraire par le suicide. La plupart ratait cette ultime sortie et subissait d'autres violences pour leur apprendre à vivre. Jon comprenait la décision de son ami.

— Viens avec moi ! s'exclama David d'une voix presque suppliante.

— Venir avec toi ? Tu te rends compte de ce que tu me demandes ?

— Je sais que c'est risqué, mais je ne veux pas me battre pour des gens qui m'ont fait ce qu'ils m'ont fait. Là-bas, c'est paumé et éloigné de tout. C'est un territoire inconnu pour eux. On pourra se cacher facilement.

— Je veux cette mission, moi aussi, mais pas pour les mêmes raisons que toi. Ils utilisent les vétérans pour conquérir les duchés encore indépendants. La plupart se rendent sans combattre. Nous, les jeunes recrues, ils nous demandent de surveiller les prisonniers dangereux pour occuper le temps. À force, j'ai pu discuter avec l'un d'eux. Il ne cessait de répéter que le Shiloh reviendra bientôt et nous libérera.

— On nous en a parlé et mis en garde contre ces prophètes de malheur. Ils disent que le seul libérateur est le Suprême Leader Slau et que le Shiloh est une invention pour les esprits faibles qui gobent tout ce qu'on leur raconte. Comme ils sont contre ce Shiloh, j'imagine que ce doit être un type bien. Je veux bien croire en lui.

— De rumeurs circulent comme quoi il serait à Paname, reprit Jon. Il paraît qu'il a foutu un de ces bordels là-bas et que l'administrateur a dû envoyer deux soldats demander du renfort. Ça explique pourquoi ils sont en train d'organiser vite fait une mission punitive. Je veux y aller pour vérifier ces rumeurs.

— C'est pour ça qu'ils veulent envoyer cinq cents soldats ?

Ils passèrent le reste de la matinée à discuter, heureux, satisfaits et soulagés d'être à nouveau ensemble. Ils ne firent plus référence à leur existence au centre d'éducation, ni aux sévices qu'ils y avaient subis, mais il semblerait que les souffrances, les angoisses et la détresse aient tissé des liens plus solides que ceux d'un frère. Pour la première fois de leur vie et parce qu'ils étaient de nouveau réunis, ces deux-là voyaient l'avenir avec une petite lueur de liberté qui pointait timidement à l'horizon.

Après l'inspection du centre d'éducation, Mahoré réunit les deux officiers dirigeant le casernement des nouvelles recrues. Trente sous-officiers commandaient chacun les soldats d'une allée.

— Messieurs, j'ai besoin de cinq cents soldats et cinq sous-officiers pour rétablir l'ordre à Paname. Vous m'accompagnerez en tant qu'officiers d'intendance.

— Commandant, à quelle date doit débuter la mission ?

— À vous de me le dire. Quand pensez-vous être prêts ?

Les deux soldats, à peine trente ans, se regardèrent d'un air dubitatif. Leur manque d'expérience les renforçait dans leur volonté de démontrer leur valeur.

— L'un de vous se chargera des troupes : mobilisation, transport, armement, hébergement, l'autre du ravitaillement.

— Je veux bien pour les troupes, décida Nathan Thoumal. Pour le matériel, aucun problème, les entrepôts sont pleins. J'envoie l'ordre de réquisition. En ce qui concerne les troupes, la levée sera terminée demain midi.

Mahoré dodelina de la tête.

— Non ! Il me les faut en début d'après-midi. Les soldats s'impatientent. Ils veulent être fixés rapidement. Je veux que l'ordre de mission leur soit adressée pour 14 heures, avant le briefing à 15 heures. Je veux leur expliquer le but de la mission et ce que j'attends d'eux. J'effectuerai une revue de troupe le jour du départ sur le tarmac.

— À vos ordres.

— Une dernière chose. Prenez les plus jeunes. Ils sont plus influençables et obéissent aux ordres sans discuter, surtout lorsque c'est leur première mission.

Mahoré se tourna ensuite vers le second officier.

— Et pour vous, je crois que les camps de travail que j'ai mis en place peuvent vous fournir tout le ravitaillement nécessaire. Si besoin, demandez d'augmenter la cadence.

— Je ne pense pas que ce soit utile, Monseigneur. L'inventaire des entrepôts m'indique que j'ai tout le stock qu'il me faut et même au-delà. Je réquisitionne ce jour les barges de transport et les cadets du centre d'éducation se feront un plaisir de charger les rations.

— J'aime cette efficacité. Nous pourrons partir dans deux jours à 10 heures. Messieurs, soyez à mes côtés pour le briefing avec les nouvelles recrues.

Pendant la pause de midi, après le repas, les jeunes du quartier C du Centre avaient aménagé un petit hangar : les chaises furent installées par bloc de dix sur dix et la sonorisation branchée et vérifiée. Les cinq cents recrues prirent place et attendaient dans un joyeux brouhaha. Les cinq sous-officiers et les deux officiers restaient debout, en rang d'oignons dans l'attente du maître de cérémonie.

Les deux anciens cadets du centre éducatif reçurent en même temps leur affectation. Contrairement à son compagnon qui connaissait beaucoup de monde, David se sentait un peu seul. Jon qui voulait passer le plus de temps possible avec son ami, écourta ses effusions et choisit deux places côté allée. Il détestait la promiscuité du centre de la rangée, sans doute une conséquence de ses premières années passées en confinement.

Mahoré arriva avec dix minutes de retard. À sa grande satisfaction, sa présence ramena le silence. Il fixa le micro près de son oreille et effectua du regard un travelling latéral pour jauger la salle.

— Soldats, vous avez été choisis pour une mission d'utilité publique. Comme vous le savez, notre Suprême Leader nous a délivrés de la tyrannie des ducs. Il a ouvert une ère de liberté et de prospérité où chaque individu trouve la place qui lui convient. Mais la paix et la sécurité ne sont pas acquises pour autant. Nous devons nous battre pour en jouir car des éléments subversifs, enseignant d'infâmes théories, veulent semer la discorde parmi nous.

— Nous y voilà ! murmura David.

— Des terroristes ont sournoisement jeté le trouble dans un paisible village de pêcheurs qui vivait jusqu'à ce jour dans la prospérité et la paix sous la supervision d'un administrateur. Désemparé par tant de haine de la part de ces terroristes, ce dernier a invoqué ma bienveillante autorité afin de ramener l'ordre qui est à la base de toute vie en société. Vous avez l'immense privilège de participer à cette opération de salut public. Votre mission consiste à sécuriser l'île de Paname, délivrer le village de la domination perverse des vermines terroristes et d'exécuter les fauteurs de troubles. Puis, vous tiendrez garnison jusqu'à nouvel ordre.

Mahoré regarda l'assistance pour jauger l'effet de ses paroles.

— Je vois dans vos regards le désir d'en découdre et je sais que je peux placer ma confiance dans votre combativité et votre obéissance. Ce faisant, vous participerez au grand projet millénaire de notre bien-aimé seigneur et maître qui, lorsqu'il sera réalisé, établira de façon durable la paix et la sécurité véritables dans notre nation. Êtes-vous avec moi ?

— Hourra ! Hourra ! Hourra ! répondit la troupe comme un seul homme.

Le lendemain fut jour de repos. Les cadets, encore hébergés au quartier C du centre éducatif chargèrent les rations, les tentes ainsi que d'autres matériels dans les barges. Les deux soldats leur rendirent visite pour les encourager, mais la hiérarchie leur demanda de les laisser travailler, de profiter de la journée pour se détendre et que s'ils avaient besoin de compagnie, ils pouvaient se joindre à leurs camarades. Mais de toute évidence, ils préféraient rester ensemble.

Le jour J, dès 9 heures 30, les soldats attendaient la revue des troupes, sur deux rangs devant leur barge de transport alignée sur le tarmac, tous en treillis kaki et marron, le casque sur la tête, les pistolets à plasma dans leur étui et leur barda misé dans la soute. Lorsque Mahoré arriva, les hommes se mirent au garde-à-vous d'un même mouvement. Il examina la troupe sur quelques mètres, sembla satisfait et ordonna le départ. Les soldats, sur ordre, montèrent dans la barge qui leur était assignée.

Le véhicule de tête émit un long signal, se mit en branle et s'éleva dans les airs. David se tourna vers son compagnon.

— Et voilà ! C'est parti !

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