Que pouvais-je faire d’autre que de lui courir après.

« De toute façon elle peut rire autant qu'elle veut ! me dis-je. Dans quelques instants, quand elle franchira la porte des lions, elle se trouvera bien bête face à eux ! »

Alors que toutes les portes étaient bloquées par les forces de l'ordre, à ma grande surprise, personne ne l’arrêta.

« Mais, où sont passés les gens ? » D’un seul coup, la ville s’était vidée de toute âme qui vive. Il n’y avait plus personne ni être humain, ni chien ni chat. Je regardai sur ma droite, sur ma gauche, plus personne !

Je me demandais si elle saisissait ce qui nous arrivait, alors que moi-même je ne comprenais pas. Était-ce un rêve ? Pourtant, mon esprit me disait que ce que je vivais était bien réel. Un phénomène des plus étranges qui dépassait l’entendement. Il ne suivait aucun raisonnement logique et pourtant, il se présentait là, sous mes yeux.

Une fois la porte dépassée, Sarah tourna sur sa droite et sans montrer le moindre étonnement elle longea la promenade de l'Ophel. Encore une fois, elle finit par revenir dans la vieille ville en rentrant par la porte Dorée. Celle-ci donnait sur l'esplanade de la mosquée El Aqsa. J’hésitai entre la suivre ou aller voir les voitures de police abandonnées. Après tout, savait-elle peut-être où étaient les gens. Ma décision était prise, je devais continuer à la suivre. En arrivant sur l’esplanade, je ne pus m’empêcher d'apprécier la beauté des lieux. Le Dôme du Rocher me parut plus petit que dans mes souvenirs. Cependant les couleurs de la mosaïque qui l’ornait, étaient remarquables. Il a fallu attendre ce jour-là pour que je puisse m'en apercevoir. Ne sachant plus par où la fugitive était passée, je ralentis ma cadence en étant un peu essoufflé. Ma montre m'indiquait 19h depuis une heure. Mon intuition me disait que le temps s’était figé. Et comme je n’étais plus pressé pour la retrouver, je décidai d’aller à la recherche des autres. Ces rues qui d’habitude étaient animées, par les jeux des enfants, par les marchands ambulants ou tout simplement par des passants, étaient devenues complètement désertes. Jérusalem s’était transformée en une ville glauque, comme Charonville un jour. L’absence de vie la rendait sinistre. Nous nous disputions des lieux qui, sans chaleur humaine, ne voulaient absolument rien dire. Tiens, en parlant de chaleur humaine, voilà que la fugitive réapparaissait. Elle se trouvait à l’intérieur du dôme. Je m’écriai en sa direction : « Ne croyez-vous pas qu'il est préférable de se couvrir les cheveux dans un endroit pareil ?

Sans me regarder et tout en avançant vers l’entrée du dôme elle répondit : « Nécessité fait loi »

Je continuais à l'observer de là où j’étais. Elle avait l'air préoccupée par ce qu'elle faisait. De sa main droite, elle s'amusait comme un enfant à poursuivre avec le doigt les lignes géométriques de la mosaïque beige. Comme si c'était d'une importance primordiale. Elle marmonnait des choses comme pour se féliciter de ses performances. Il fallait peut-être une grande maîtrise pour ne pas dépasser les lignes à une heure pareille. Je m’écriai encore une fois en négligeant mon intérêt sur ce qu'elle faisait : « Quelle est donc cette nécessité qui vous force à profaner le sacré ?

–Mais c'est vous monsieur ! dit-elle, en me regardant droit dans les yeux.

–Moi ? Je ne vous force pas à vous cacher là-bas. Je cherche seulement à faire mon devoir… je suis un homme de loi, l'aviez-vous déjà oublié ?

–De quel devoir parlez-vous ?

–Vous savez très bien de quoi je parle, vous êtes en état d'arrestation ! Si vous me laissez vous passer les menottes, il ne vous arrivera aucun mal, je vous le promets ! »

En me rappelant l’absurdité dans laquelle nous nous trouvions, je rajoutai : « Savez-vous au moins ou sont passés tous les autres ?

–Gardez vos promesses pour vous ! Je n'ai nullement besoin qu'on me dise ce que je dois faire, surtout pas par un policier qui prétend servir la loi ! Si seulement, vous étiez au service de la justice, je mettrais moi-même ces menottes !

–OK, j'ai compris, dites-moi au moins que ce que nous vivons en ce moment même, est une aberration…une aberration de la nature !

–C'est vous qui êtes une aberration ! s’écria-t-elle furieusement…votre état l’est aussi !

–Il n’y pas moyen de dialoguer avec vous, n'est-ce pas ?

Elle sourit encore une fois de la même façon que tout à l'heure, puis d’un seul coup, sans aucune raison particulière, elle se mit à courir. Comment pouvait-elle avoir le cœur à s'amuser dans des moments pareils ? Elle avait l'air ni étonnée ni effrayée par l'absurdité de la situation. Tout lui semblait normal. Faisait-elle parti du décor ? Où était-ce une façon qu'elle avait de masquer sa peur ? J’hésitai un moment à la poursuivre puis, je décidai de marcher dans une autre direction pour plutôt voir sa réaction.

« Si elle s’inquiète, pensai-je, elle me suivra par peur de se retrouver seule. » Effectivement c'était ce qui arriva. En ressortant par la même porte, je m’aperçus qu’elle n’était pas loin, elle était surement entrain de m’attendre.

Nous continuâmes à parcourir la ville pendant des heures tout en hurlant s’il y avait quelqu’un. De peur que je l’attrape, elle gardait toujours une distance de sécurité entre elle et moi. Hésitant au début, je finis par forcer les serrures et par rentrer dans les maisons afin de retrouver leurs propriétaires. Mais comme il n’y avait jamais personne, je finis par ouvrir les placards et les frigos à la cherche de nourriture. Mais à ma grande surprise, ils étaient complètement vides. « Bizarre, pourquoi n’y a-t-il pas de quoi manger ? pensai-je désespérément. Se sont-ils sauvés avec leur bouffe »

Sarah restait toujours à l’extérieur et ne participait jamais à l’infraction ni même à la recherche des autres. J’étais le seul à crier au milieu de cet étrange silence. A chaque fois que je regardais derrière moi, elle se trouvait à quelques dizaines de mètres. Je lui demandai si elle aussi avait faim, Mais au lieu de me répondre, elle se mit à rire pour me ridiculiser. Comme si je n’avais pas le droit de penser à mon ventre à moment pareil. Je négligeai aussitôt ses comportements en marchant tout droit vers un restaurant du coin de la rue. En rentrant dans la salle principale, les tables étaient vides. Il n’y avait pas de quoi manger non plus dans la cuisine. J’ouvris le robinet pour vérifier si l’eau fonctionnait. Dieu merci, il y avait de quoi boire. En sortant du restaurant, je la vis se baisser pour s’assoir sur le bout du trottoir tout en ayant ses mains dans les poches. Je poursuivis mes recherches en courant vers un magasin non loin de là, pour découvrir encore que ses étagères étaient complètement vides, comme s’il y avait eu pillage.

« Que signifie l’absence de toute nourriture ? pensai-je. Les gens ont-ils été évacué en emportant avec qu’eux de quoi manger ? Avions-nous raté le départ de tout le monde ?»

Je sortis du magasin pour aller auprès de la fugitive en évitant, bien évidemment, de m’approcher trop d’elle et m’assis à quelques dizaines de mètre. Tout en m’ignorant, elle restait silencieuse à fixer le bout de ses pieds.

Était-elle complice ? Savait-elle ce qui se passait ? Elle restait là assise, pendant que j’étais en train d’essayer de faire marcher mon téléphone portable ; Je n’arrivais plus à le rallumer.

La colère de ne pas savoir ce qui était en train de nous arriver et la peur de ne plus avoir le contrôle de la situation me submergèrent. Ces sentiments s’exprimèrent dans la façon que j’avais à gérer le problème du portable.

Sarah décida enfin à me parler, mais honnêtement, il aurait mieux fallu pour elle, qu'elle se taise : « Monsieur, voulez-vous savoir quand cette mascarade finira ? m'interrogea-t-elle d’un air prétentieux.

Je la regardai sans rien dire, car j’étais sûr qu'elle-même ne le savait pas. Elle poursuivit : « Quand vous m’aurez rattrapée ! »

Sur ce, je me levai brusquement de ma place en laissant tomber mon téléphone par terre et courus vers elle. Epuisé par la situation, Je n'en pouvais plus de son insolence. La peste, elle avait déjà anticipé le coup et se dirigeait à toute allure vers le Mont des Oliviers. « Mon dieu ! pensai-je, cette nuit s’annonce très longue ! » Au moment au j’arrivais en bas de la colline, quelque chose d’étrange se préparait. Dans le silence total, des éclairs de toutes les couleurs, figés dans le temps comme une fissure dans un mur, électrifièrent le ciel. Certains apparaissaient, d’autres disparaissaient très lentement. C’était le premier mouvement que je remarquais depuis la soudaine disparition des gens. Cela voulait peut-être dire, que le temps reprenait son cours ? L’odeur d’un gazon fraichement coupé empesta mes narines. « Mais d’où venait cette odeur ? »

Pendant ce temps-là, Sarah qui était en haut du chemin, leva la tête et les regarda à son tour. Je lui fis signe de redescendre car la situation devenait dangereuse. Au lieu de m’écouter, elle me fit un doigt d’honneur et tourna les talons pour courir dans le sens opposé. Il fallait que je la rattrape, les éclairs descendaient de plus en plus bas. Fatigué et lasse par la montée, je m’étais, arrêté un peu pour reprendre mon souffle. Sarah redescendait par un autre chemin en direction du tombeau de la vierge. Je la suivis aussitôt. Arrivés là-bas, nous étions tous deux essoufflés, si bien que nous nous arrêtâmes chacun de notre côté. Je lui demandai pour la dernière fois de rester là où elle était, que je puisse en finir avec cette affaire. Elle se trouvait à une vingtaine de mètres de moi quand elle se mit à rigoler, de son rire hystérique et agaçant. Elle s’apprêtait à courir de nouveau quand je la menaçai de mon arme : « Je jure que si jamais vous faites encore un pas, je n’hésiterai pas à vous tirer dessus ! » Elle me regarda de nouveau avec le même sourire malicieux que tout à l'heure, puis elle redémarra encore une fois.

J'aurai pu ne rien faire et continuer à lui courir après ou la laisser dans son coin, comme j'avais fait auparavant, mais le fait même d'avoir juré m'obligea à exécuter ma promesse sans même réfléchir. Cependant, ce n'était pas l'unique raison. Le sentiment du pouvoir que j'avais sur elle, se trouvait en moi d’une manière tellement forte, que je ne pus que tirer. Ce pouvoir puisait sa source et sa légitimité dans ma profession, n'étais-je pas un représentant de l'ordre ? J'étais aussi un privilégié, en faisant partie d'un état colonial. Il fallait absolument que je l'extériorise en brandissant mon arme. J'avais un droit sur elle en représentant un état quand bien même elle ne le reconnaissait pas.

Seulement, les choses ne se passèrent pas comme j'avais prévu. J'avais visé le pied, mais la balle alla tout droit se loger dans son dos non loin du cœur. « Comment était-ce possible ? j’ai toujours été bon tireur ! » Sarah s'écroula sans faire de bruit, pas loin du tombeau de la vierge, exactement comme une feuille sèche qui se détacherait de son arbre en fin de vie