Aussitôt qu’Andrew sortit, Anna revint à sa place pour reprendre sa leçon. Cela me plaisait bien de jouer le professeur. Cependant, cette liberté que je m’étais octroyée, suscita quelques remarques désobligeantes de la part de ma mère et du reste du personnel. Pour eux, c’était inconcevable qu'un homme de mon rang, puisse s'occuper ainsi d'une servante. J’affirmais que c’était indispensable pour mon rétablissement. Me sentir utile ne pouvait qu’améliorer ma santé ; et, si on voulait mon retour dans le monde des affaires, il fallait bien sacrifier quelques conventions sociales. Ma mère finissait toujours par approuver mes arguments ; seulement, elle relancer le débat à chaque fois que je finissais le cours. Quant à Anna, elle n'avait que faire de toutes ces méchancetés qui se disaient derrière son dos, bien au contraire, elle se voyait flatter qu’on l'enviait autant. Sa distinction du reste du personnel, ne pouvait que la réconforter dans son ego.

Elle disait que j'étais un magicien et qu'elle n'avait jamais entendu un jeu aussi pur que le mien. Je savais, par-là, qu'elle m’idolâtrait. Elle avait un faible pour Kerwan Driscoll. Ses yeux brillaient de tous leurs éclats, à chaque fois qu'elle me croisait.

En la voyant tapoter gauchement sur le piano, j'avais eu soudain l’envie de lui demander : « Anna, pourquoi ai-je tiré sur Élisabeth Collins ?

Aussitôt qu’elle entendit ma question, elle s’arrêta de jouer et me regarda d’un air effaré. On aurait dit, qu’elle m’en voulait de le lui avoir posé. Puis, contre toute attente, elle prit sa tête entre ses mains et se mit à sangloter. Sa réaction m’était incomprise. Je ne savais que faire face à une telle situation. L’idée me vint de la prendre dans mes bras ; mais, j’avais eu peur que mon geste soit mal interprété. Dans cette époque, le respect des distances était primordial. Je décidai alors, de rester sans rien faire, et attendre tranquillement que cette tempête d’émotion s’estompe.

Une fois ses larmes séchées, elle déclara : « Je sais, monsieur que tout est de ma faute !

– Pourquoi dites-vous cela ? M’empressais-je de lui demander, étonné.

– Si ce jour-là, je m’étais abstenue de vous avouer ce que j’avais vu… rien ne serait arrivé.

– De quoi parlez-vous Anna ?

– Auriez-vous oublié ?

– Oui, j'ai du oublier… redites le moi.

– Est-il vraiment possible, monsieur d'oublier une telle chose ? Car moi je le regrette du fond du cœur de vous l’avoir confié.

–S’il vous plaît Anna, Parlez !

–Si vous avez déjà oublié... il est préférable pour moi de faire autant.

–Si vous continuez à persister de la sorte, je vais finir par perdre patience ! déclarai-je à moitié en colère, dites-moi, ce que vous prétendez m'avoir déjà dit !

–Monsieur, confia t’elle en baissant la tête, je ne vous cache pas qu'il est pénible pour moi d'avoir à redire ceci : deux jours avant que vous ne tiriez sur, Mademoiselle Collins, je vous ai avoué l’avoir vu en compagnie d'Andrew dans votre jardin.

–Que faisaient-ils ?

–Ils se tenaient ... dans une position... assez intime.

–C'est à dire ?

–Ils... ils s’embrassaient, monsieur.

Le choc de la nouvelle me fit lever de mon siège en sursaut. Je marchai quelques pas avant de retrouver mes esprits. La blessure causée par mon ex-femme Mira, se fit ressentir. J'avais l'impression que non seulement Mira m'avait trompé ; mais aussi Sarah et Andrew. Je confondais soudainement toutes les époques, les histoires et les personnes. Je demandai encore une fois à Anna si elle était sûre de ce qu'elle affirmait. Elle me confirma d’un hochement de tête.

Si Andrew s’était pressé d'aller voir Élisabeth, c’était uniquement dans ses intérêts, et nullement pour m’aider.

Il faut dire, que je n'avais pas essayé de comprendre le passé de Kerwan Driscoll. J'aurai pu enquêter à son sujet, savoir les vraies raisons qui le poussèrent à tirer sur sa fiancée mais je ne fis rien de tout cela. Je ne voyais pas l’intérêt à le faire. Que m'aurait apporté une telle donnée, de plus, si ce n’est que me polluer l'esprit et sans pour autant me montrer la porte de sortie. Je n'étais pas venu dans ce monde pour continuer à faire l’inspecteur.

J'interrompis bien vite notre leçon pour aller à la rencontre d'Andrew, il me fallait sa version des faits.

« Si je me presse un peu, pensai-je, je peux facilement le rattraper »

Mais ma mère m'interpella avant de sortir.