Des résultats accablants

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Mardi 28 juin

Pacific Palisades, Californie

Avec le développement de nos activités, j’avais pu m’offrir la villa dont je rêvais sur les hauteurs de Pacific Palisades, juste en dessous du parc Will Rogers. La maison n’était pas très grande, mais bien assez pour y vivre seule, et la terrasse offrait une vue sur le Pacifique et la côte, des Rolling Hills au sud à la pointe de Malibu à l’ouest. Le terrain était assez grand et arboré pour ne pas subir les contraintes de voisinage, tout en restant d’un entretien facile. J’y avais fait aménager une piscine, en longueur, dans laquelle j’entretenais ma condition physique en nageant tous les matins.

Louis m’avait proposé de passer assez tôt, avant de partir pour Atlanta. Il gara son pickup Rivian dans un silence appréciable à l’arrière de la maison et vînt me rejoindre pour prendre le petit-déjeuner.

— Alors, c’était comment le Sud ? demanda-t-il en introduction.

— Chaud, répondis-je laconiquement. J’avais oublié cette moiteur permanente de l’atmosphère. Je préfère la Californie.

— Et pas seulement pour le climat, je suppose.

— Tu as raison, même après cinquante ans, les élites blanches continuent de se comporter comme les esclavagistes qu’étaient leur aïeux.

— Bon, je n’ai pas beaucoup de temps avant mon vol. J’ai mis William Rochambault sous surveillance, dit Louis en traçant des guillemets avec les doigts. Je suis à peu près certain que ton ami utilise la musique comme couverture pour justifier ses fréquents voyages dans les Caraïbes, en particulier en Jamaïque. Il est très prudent et ne laisse que peu de traces, mais tu sais que je suis meilleur qu’un sioux pour suivre une piste.

— Je te rappelle que je ne veux pas savoir comment tu obtiens ces informations.

— Exact, je ne te donnerai donc pas de détails. En gros, notre cible se prépare à prendre livraison d’un chargement en République Dominicaine. Je ne sais pas encore comment il compte s’y prendre, mais il possède un bateau amarré dans une marina des Keys qui sort assez souvent, la plupart du temps sans sa présence à bord. Officiellement, il est affrété pour des journées de pêche. On peut imaginer un cabotage avec des transferts dans les différentes iles pour finir aux Bahamas, où il pourrait récupérer la cargaison et l’introduire en Floride.

— Tu penses intercepter le chargement ?

— Oh non, qu’est-ce que j’en ferais ? On pourrait avertir la DEA, mais il me faudrait des éléments plus tangibles. Je pense plus tôt déstabiliser le donneur d’ordre.

— Que veux-tu dire ?

— Les parrains dominicains sont très prudents et aussi très violents. Ils n’aiment pas qu’on truque le jeu. Je pourrais leur laisser croire que le client n’est pas tout à fait celui qu’ils imaginent.

— Et quelles seraient les conséquences ?

— Ça, je n’ai pas d’algorithme pour le prédire.

— Continue à approfondir et élabore un scénario, mais ne déclenche rien sans m’en parler avant.

— J’ai aussi quelque chose d’intéressant concernant Valantis et SynBioLabs. Les deux firmes procèdent à des essais cliniques franchement « border line ». Il y a deux ans, Valantis a lancé une campagne de recrutement de patients en Alabama. Tu ne devineras pas qui a été chargé d’établir les contrats.

— Miller Stanton ?

— Bravo ! Jusque là, rien d’illégal. Le problème c’est que la molécule a des effets secondaires assez sérieux. Deux des patients sont décédés, des enfants noirs, et les familles ont voulu attaquer le labo en justice. Miller Stanton a négocié un protocole d’indemnisation généreux avec comme contrepartie l’interdiction de communiquer sur ces accidents de quelque façon que ce soit. Qui était aux manettes du côté des labos ?

— Stuart Carter, bien entendu. Elisabeth s’est bien moquée de moi quand elle m’a dit qu’elle n’avait jamais revu ses anciens amis. Qu’est-ce que tu prévois ?

— Je pense que je vais essayer de retrouver les parents des gamins et avoir une conversation avec eux. Ils n’ont peut-être pas le droit de parler, mais d’autres peuvent le faire à leur place. Allez, je dois y aller, je serai de retour mercredi avec ta voiture. D’ici là, j’en saurai plus. Merci pour le café.

Louis me laissa songeuse. Ainsi, même Stuart avait une face sombre. Le souvenir de cette soirée de 1998 revint me hanter. La panthère noire était en chasse et elle avait faim. La traque risquait de prendre un peu de temps, mais je n’étais pas pressée. Il me fallait malgré tout continuer à gérer les affaires courantes. J’avais un rendez-vous programmé avec un nouveau client en ville, mais j’avais le temps de faire quelques longueurs pour me mettre en condition.

Je descendis les quelques marches me permettant d’accéder au bassin. Je mis en marche le système de nage à contre-courant et me débarrassai de mon peignoir pour entrer dans l’eau. La piscine était équipée d’une pompe à chaleur mais à cette saison, je préférais ne pas l’utiliser. L’eau fraiche sur mon corps nu eut l’effet attendu. Je sentis les pores de ma peau se resserrer et je me lançai pour vingt minutes de brasses.

Il était neuf heures quand je sortis de l’eau. Je devais être dans le centre pour onze heures. Mon contact m’avait donné rendez-vous au sud de I-101, pas très loin du siège du LAPD, sauf problèmes de circulation, pas plus de quarante minutes. Je pris le temps de me préparer, tenue de business woman et attaché case, et de relire les quelques notes établies par Louis. Le client était un industriel travaillant dans l’aéronautique, désireux de recruter un cadre de haut niveau, pour lequel il désirait un profil exhaustif. C’était le genre de prestation que Louis et ses gars pouvaient réaliser en quelques minutes, ils avaient des routines établies à l’avance pour ça, et qui assuraient la trésorerie de notre petite agence. Je commandai un Uber pour dix heures, afin de m’assurer une marge de sécurité.

L’adresse du point de rendez-vous correspondait à un petit immeuble de bureaux appartenant à la société Regus. Mon client souhaitait visiblement un contact discret. J’envoyai comme convenu un SMS à mon contact en arrivant dans le hall d’accueil. Moins de cinq minutes plus tard, une femme vint me chercher.

— Mademoiselle LeBeau, je vous remercie d’avoir accepté de venir jusqu’ici. Je suis Melody Hong. Je serai votre unique contact pour cette mission.

Melody Hong était une sino-américaine, vêtue d’un strict tailleur gris à jupe longue, avec des chaussures à talons plats. Ses cheveux d’un noir de jais étaient retenus en arrière. Je me dis qu’elle aurait pu travailler pour le FBI. Elle me conduisit jusqu’à une petite salle de réunion aux murs nus, avec une table et quatre fauteuils pour tout mobilier. Elle sortit de son porte-documents un mince dossier et le poussa devant moi.

— Notre société produit des éléments critiques pour les systèmes avioniques utilisés sur tous les appareils actuellement produits par Boeing et Airbus. Nous sommes en contact avec Space X pour un nouveau projet et nous souhaitons recruter un CV un peu différent de nos ressources actuelles. Une personne qui sort du profil type de nos ingénieurs. Nous avons des établissements ici aux Etats-Unis, mais aussi à Taïwan et nous voulons être absolument certains que notre nouvelle recrue ne présente aucune vulnérabilité que des concurrents étrangers pourraient exploiter. Je pense que vous me comprenez.

— Je vous comprend parfaitement, Madame Hong. Notre agence est tout à fait qualifiée pour ce type de recherche. Je vous remercie de votre confiance.

— Le dossier que je vous remets contient tous les éléments de notre connaissance concernant le candidat ciblé. Il n’est, bien entendu, pas au courant du travail que vous allez mener.

— Nous opérons dans la plus grande discrétion, cela va de soi.

— Très bien, nous ne souhaitons pas de communications électroniques. Ce dossier imprimé est tout ce que nous vous fournirons. Nous attendons votre réponse sur le même support, un exemplaire unique qui me sera remis en mains propres, ici ou à l’adresse que je vous fournirai le moment venu. Est-ce que cela vous convient ?

— Parfaitement. Nos honoraires pour ce type de prestation sont de deux cents mille dollars.

— Combien vous faut-il de temps ?

Je savais Louis peu disponible pour les deux jours suivants et il me fallait laisser l’impression que le travail prenait un peu de temps pour justifier la somme demandée.

— Lundi prochain ? proposai-je.

— Pouvez-vous aller un peu plus vite ? Nous souhaiterions conclure le recrutement au plus tôt, le candidat semble très demandé.

— Vendredi en fin de journée ?

— Très bien, vendredi 1er juillet à dix-sept heures. Je vous communiquerai le lieu du rendez-vous par SMS. Vous pouvez prendre le temps de parcourir le dossier ici, le bureau est loué pour la journée, moi par contre, je dois vous abandonner. À vendredi, Mademoiselle LeBeau.

Je regardai Melody Hong s’éloigner dans le couloir. Sa démarche était souple et plaisante à observer. Je me dis que cette tenue n’était sûrement pas sa façon habituelle de se vêtir.

J’ouvris le dossier et commençai à lire.

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