John Mason

5 minutes de lecture

Montgomery, Alabama

Mercredi 29 juin

Elisabeth resta quelques instants devant l’écran muet de son smartphone. Les dernières paroles de Stuart Carter avaient réveillé des sentiments anciens. Plus que le souvenir de cette unique soirée deux ans plus tôt, ses pensées étaient remontées à des temps plus anciens, au siècle dernier, comme disaient les jeunes dans son entourage. Le trio formé par Stuart, Marvin et Will avait fait d’elle une femme. Elle ne se souvenait plus qui avait pris sa virginité, mais de toute façon, elle se donnait sans préférence aux trois jeunes gens, même si elle était aux yeux des amies du lycée « avec » William Rochambault. Ce dernier offrait une vaste propriété où leurs perversions pouvaient se développer à l’abri des indiscrétions, mais c’est Stuart qui était le plus fougueux et le plus audacieux, quand Marvin était le pourvoyeur de substances interdites.

De William, elle n’avait plus que de lointains échos, rapportés par des connaissances communes. Elle avait renoué le contact avec Marvin, au travers des dossiers juridiques que le cabinet traitait pour le compte du groupe Holmes, mais sans retrouver la passion des jours anciens. Stuart avait rallumé une flamme qu’elle avait crue éteinte après dix ans au côté de son mari. Jack préférait le golf au sexe et même s’il s’obligeait à quelques efforts pour satisfaire sa femme, Betty n’avait jamais été comblée par son époux. Elle n’avait toutefois pas voulu rompre afin de préserver leur patrimoine professionnel commun. Elle avait eu quelques aventures sans lendemain avec de jeunes amants lors de déplacements pour traiter des affaires en dehors de l’Etat, mais n’avais pas envisagé une relation durable dans le comté de Montgomery.

Sa décision était prise, elle irait à Boston rapporter chez SynBioLabs les éléments recueillis sur la fuite et sur ce journaliste. Il lui restait toutefois à obtenir les informations attendues par Carter. Sans attendre, elle se rendit dans la pièce aménagée en bureau personnel. Elle lança son MacBook et entra les mots John+Mason+Journaliste dans la barre de recherche de Safari. Les réponses arrivèrent instantanément. Elle ignora les premières entrées, liées à des médias mainstream pour se focaliser sur les pages directes. Elle identifia rapidement le blog d’un John Mason, qui se qualifiait de journaliste d’investigation indépendant. La page d’accueil du site listait plusieurs articles relatifs à des enquêtes sur des affaires classées, impliquant des sociétés pharmaceutiques, chimiques ou agro-alimentaires. Seuls les titres et premières lignes étaient en libre accès. Le détail demandait un compte payant. Elle mit en mémoire l’adresse du site et passa à l’entrée suivante. De nombreux John Mason étaient listés sur Facebook, mais un seul se présentait comme journaliste indépendant spécialisé sur les Cold Cases. Elle retrouva les mêmes sujets que sur le blog, avec une courte biographie de l’auteur. Elle n’avait pas besoin d’en savoir plus. Comme elle l’avait déjà dit à Stuart, elle allait confier cette recherche à un enquêteur privé. Elle composa un numéro de son répertoire. Son correspondant était en ligne et elle lui laissa un message. Le temps qu’elle se prépare un café, il rappelait.

— Tom Simpson, comment allez-vous Elisabeth ? Qu’est-ce qui me vaut le plaisir de vous entendre ?

— Je préfère ne pas en parler au téléphone, pouvons-nous nous voir en ville rapidement ?

— L’Aviator Bar, c’est à côté de l’hôtel Renaissance.

— Je connais. Dans une heure ?

— J’y serai.

Une heure plus tard, Elisabeth Stanton reconnut la silhouette imposante du privé assis au bar, devant une pinte de bière.

— Vous prenez quelque chose ? demanda-t-il.

— Non merci, c’est un peu tôt pour moi. Ou plutôt si, un Perrier Citron.

— Alors, qu’avez-vous de si mystérieux à me demander ?

— Je voudrais des informations sur un journaliste, un certain John Mason. Un free-lance, il tient un blog, je vous ai copié l’adresse.

— En quoi vous intéresse-t-il, si je puis me permettre ?

— Je ne peux pas vous donner de détails, mais il pose des questions embarrassantes à propos d’une affaire que nous avons réglée il y a deux ans.

— Embarrassantes pour vous ?

— Non, pas pour moi ou pour le cabinet, mais pour un de nos clients.

— Je vois, le genre à fouiller dans les poubelles pour y trouver de quoi écrire un article.

— On peut dire les choses comme ça.

— Bien, donnez-moi ce que vous avez comme éléments.

— J’ai un nom, un numéro de téléphone et les pages de son blog.

— C’est un peu juste, mais je vais voir ce que je peux trouver. Si c’est urgent, je peux vous recontacter demain matin. C’est deux mille dollars, cinq cents à titre d’acompte.

— Je connais vos conditions, répondit Elisabeth en lui tendant cinq billets de cent.

— Parfait, vous aurez de mes nouvelles rapidement.

Betty quitta le bar sans avoir touché à son verre. Elle avait déjà utilisé les services du privé, ils n’étaient pas si nombreux à Montgomery, assez futés pour enquêter discrètement sur autre chose que le comportement des femmes infidèles. Elle savait l’homme habile, mais n’appréciait pas sa compagnie.

Tom Simpson ne prit pas la peine de la regarder s’éloigner. Il contempla un instant son verre vide et fit signe au barman.

— La p’tite dame n’a pas bu son verre ?

— Non, je crois que je ne suis pas son genre. Remettez-moi la même chose.

Il paya avec l’un des billets de Betty et sortit du bar pour regagner son logement. Il n’avait pas de local professionnel, jugeant inutile de payer un loyer pour un endroit où il ne passerait que très peu de temps. Il travaillait depuis chez lui, ses outils de travail étaient son téléphone et son ordinateur. Il ne comprenait pas bien pourquoi des gens le payaient pour trouver des informations disponibles gratuitement pour qui savait chercher, mais c’était assez lucratif et pas trop fatigant.

Il commença par le numéro de téléphone. Il n’obtint qu’une boîte vocale qui confirmait que la ligne était attribuée à John Mason et demandait de déposer un message. Le privé raccrocha. Il se connecta à un service en ligne et obtint la confirmation de l’annuaire. La ligne correspondait à John Mason, journaliste à Los Angeles. Il continua avec le blog. Il ouvrit un compte et paya les cinq dollars demandés pour le premier mois à l’aide d’un profil PayPal anonyme. Il parcourut les premiers articles, en faisant des copies des pages consultées. Sa cliente devait en avoir pour son argent. Tous les dossiers avaient en commun de s’intéresser à des affaires généralement assez anciennes ayant fait l’objet d’une conclusion définitive, au détriment des victimes. Le journaliste essayait de mettre en avant les erreurs, anomalies ou incohérences dans les conclusions. Rien de vraiment révolutionnaire, des sites comme celui-là, il y en avait des dizaines, alimentant les thèses complotistes les plus fantaisistes. Pour Tom, la vérité était que l’argent achetait tout, ou presque, et que les riches l’emportaient toujours sur les pauvres. Le gars avait sans doute flairé quelque chose à Montgomery, une affaire que le cabinet Miller Stanton avait été chargé de conclure. Il n’était pas du genre à mordre la main qui le nourrissait grassement.

Il lança son traitement de texte pour rédiger un rapport suffisamment long pour justifier ses émoluments. Quelque part en Californie, une fenêtre venait de s’ouvrir sur l’écran de celui qui se faisait appeler Spiderman.

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