La lumière pour témoin

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Et c'est marrant parce que... paradoxalement, si moi, comme j'expliquais tout à l'heure, j'ai l'impression d'être trop lent, les paysages, eux, filent et défilent extrêmement vite. Ça doit être dû au rêve justement, mais quand même, c'est comme si j'étais sans cesse dépassé par le monde, en fait. Là où je vais, c'est toujours immense ou foisonnant, et ce que je ressens, c'est du vertige, parce que je sais que j'aurai pas le temps d'en faire le tour - et ça c'est un peu l'inverse de courir pour moi... bref, arrive un moment où on traverse un genre de grotte. Donc, gros décalage avec ce que j'ai parcouru jusqu'ici... Et là, systématiquement, pour m'éclairer, j'ai une torche, un peu façon flamme olympique. Je passe par des salles rayées de stalactites et, à chaque fois, je finis par apercevoir un gars, sans torche, qui prend un couloir très sombre et plutôt étroit. Tout de suite, je me dis : "je le suis". Car je veux absolument, absolument passer devant lui. Je lui cours après, je sens que je le rattrape... tout va bien jusqu'à ce que je sente que j'ai les cuisses toutes molles. Je patine sur le sol, que j'essaye d'éclairer avec ma torche, mais la lumière est devenue beaucoup trop faible. Et quand je vérifie ma flamme, je constate qu'elle est sur le point de s'éteindre. Alors là, c'est la panique. J'ai peur de me retrouver dans le noir humide de la grotte, et de devoir courir à tâtons, donc j'accélère. Et j'arrive à distinguer, à deux pas de moi, la silhouette du type, qui bouche la visibilité. Tout son corps obstrue l'accès à ma rétine des lueurs extérieures. Je comprends que je sortirai pas du couloir tant que je l'aurai pas dépassé. Faut pas chercher, hein, mais dans mon rêve, je sais que si je vois pas où je vais... je peux tout simplement pas m'y rendre. Et ma torche, qui éclaire déjà presque plus du tout, me fout un stress de malade... je crie au type : "Pousse-toi, laisse-moi passer!" Il tourne la tête vers moi, et là je reconnais mon propre visage, à peine éclairé par mon flambeau mourrant. Alors je suis pris d'une angoisse mortelle. Lui, il a plutôt l'air un peu étonné de me voir mais je remarque très vite qu'il louche sur ma torche. Il tend la main comme pour la saisir et reprend sa course ainsi, en fixant de nouveau droit devant lui. Il s'attend à ce que je lui refile ma lumière comme un témoin de relais. Je panique encore plus, je gueule comme un pourri, quelque chose du genre : "Tu n'es pas moi! T'as pas le droit de gagner à ma place! Dégage! T'es pas moi! Tu n'es pas moi!". Évidemment, ça sert à rien, et là, comme je m'épuise, et comme les ténèbres ne cessent d'enfler, je sais que j'ai plus le choix. Alors je passe le flambeau à l'imposteur, et je m'effondre, tout en devinant un regain de la flamme."

À cet instant, nous nous immobilisâmes. On aurait dit que mon ami cherchait quelque chose qui venait juste de lui échapper. "Sûrement des mots", pensai-je. Nous reprîmes néanmoins la marche après une poignée de secondes.

- Et là, ça devient étrange... plus le type est loin, mieux je peux voir croître l'éclat blanc du jour qui perce le bout du tunnel... mais au lieu d'être contenue dans la forme de l'embouchure, elle continue d'augmenter, et mes yeux finissent par y baigner entièrement, presque comme si la sortie venait à moi... et je me réveille, encore ébloui. Bon, comme je dors les volets ouverts, dès qu'il fait jour dans ma chambre, à mon avis ça aide... Enfin voilà. C'est ce même rêve que je fais depuis des semaines."

Je lui répondis qu'effectivement, son rêve sortait un peu de l'ordinaire, qu'il renfermait probablement une complexité freudienne, qu'il pourrait tenter d'en mener une analyse si ça le travaillait à ce point, mais aussi que, compte tenu qu'il s'agissait d'un rêve lucide, son développement ne me paraissait pas si fou que ça. En même temps, je me demandais d'où venait qu'il fût devenu subitement si impressionnable, lui qui en avait vu d'autres, je peux le garantir. Ce qu'il me répondit ensuite, je me souviens l'avoir entendu distinctement, car mon ami articule toujours très bien. Cela étant, je ne suis pas sûr de ne pas m'être embrouillé dans les informations. Je me contenterai donc de rapporter fidèlement cet instant de flou qui, pourtant, s'est décomposé en paroles d'une grande netteté. Ainsi, sa voix changea très légèrement, qui prit tous les accents de son enthousiasme remarquable :

- Ah oui, tu trouves? Je ne sais pas, moi il me fait un drôle d'effet, ce rêve. Déjà parce que, depuis qu'il me trotte dans la tête, je dors excessivement bien. Le matin, j'ai la mine changée, reposée, la peau comme un sou neuf, dis-donc! Et tu vois, devant mon café, je comate et j'y repense toujours un peu... chaque fois, je me fais la remarque, je me dis que ça coince... il me ressemble vraiment, ce type. Mais c'est pas moi. Ça, c'est sûr et certain. Je le sens... j'en mettrais ma main au feu. Et c'est vrai que, maintenant que je t'en cause... c'est drôle... je me demande d'où il vient, pourquoi il est là, et même ce qu'il devient, cet étrange sosie, avec son air tout apeuré, que je laisse sombrer derrière moi, après qu'il m'a remis sa torche."

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