Chapitre 3
Je fus réveillé au milieu de la nuit par Cléa. Elle me chuchota d’un ton endormi :
- C’est ton tour de garde.
Je me levai non sans maugréer. Je jetai un coup d’œil vers le ciel et ne vis plus de traînées lumineuses. J’allais interroger Cléa à ce sujet, mais je vis qu’elle s’était déjà endormie sur le sable.
Je n’insistai pas et allai me poster sur la dune la plus proche. Je jetai un regard circulaire sur le désert qui s’étendait devant moi. Personne en vue, pas de lumières qui pourraient indiquer la présence d’un individu.
Je restai cependant vigilant et changeai régulièrement de place pour surveiller les environs sous différents angles. Je faillis m’endormir plusieurs fois, et lorsque j’eus vraiment de la peine à garder les yeux ouverts, j’allai réveiller Corentin.
J’eus tôt fait de me rendormir. Corentin nous réveilla trois heures plus tard. Cette fois, nous nous levâmes tous de mauvaise grâce, mais nous finîmes par repartir.
Au cours de la marche, nous n’émîmes pas un mot, encore endormis par cette première nuit de garde. Vers midi, nous nous arrêtâmes dans une petite maison pour manger.
Les deux autres n’étant pas encore trop fatigués, nous décidâmes de poursuivre un peu. Une heure plus tard, nous installions notre campement. Je dis :
- On fait une sieste de trois heures. Cléa prend la première, moi celle du milieu, et Corentin la dernière, d’accord ?
- Comme cette nuit, résuma Cléa.
- Si ça vous va, ajoutai-je précipitamment.
- Ça me va, dit Corentin en se couchant sur le sable.
Je fis de même, et sommeillai jusqu’à ce que Cléa vienne me réveiller. Je grognai :
- C’est mon tour de garde ?
- Non, on... on a un problème.
A ce seul mot, je me relevai, enfilai ma sacoche, et pris le fusil à pompe avant même d’avoir regardé le problème. Lorsque je levai les yeux pour regarder le désert autour de moi, je ne dis rien.
- Quel est le problème ?
- Monte au sommet de la dune, dit simplement Cléa.
J’obtempérai et promenai mon regard sur l’ensemble de sable qui s’étendait devant moi. Et ce que je vis ne me plus pas. Au moins vingt Affamés arrivaient de tous côtés. Nous ne pouvions partir sans tomber sur des zombies.
- Réveille Corentin, jetai-je. On y va immédiatement.
- Mais qu’est-ce que tu veux faire ? protesta Cléa. On est cerné. On ne peut pas s’échapper.
- On a des armes, dis-je en armant mon fusil à pompe.
- Pas suffisamment pour lutter contre eux, objecta Cléa.
- Mais si on fonce dans une direction, on tombera contre cinq Affamés. Si on attend ici, il y a en aura au moins trente de plus. Tu veux te faire bouffer ?
- Tu as mal regardé, dit Cléa. Il sont plus que trente.
Je regardai de nouveau le désert, et vis que le nombre d’Affamés visibles s’était doublé.
- Effectivement, il va y avoir un problème, dis-je. Mais nous en revenons à la même question. Si nous restons ici, nous allons nous faire bouffer en moins de deux.
- Et si on y va, on se fait bouffer aussi.
- Autant se faire bouffer par dix zombies que par une cinquantaine. Réveille Corentin, on part d’ici.
Le temps que Cléa réveille Corentin et que celui-ci soit un minimum sorti du monde des rêves, j’avais entièrement défait notre petit campement et j’étais prêt. Corentin prit le second fusil à pompe, et Cléa prit mon revolver.
Nous partîmes sans plus tarder, après avoir jeté un dernier coup d’œil sur les Affamés. La fatigue avait été remplacée par l’adrénaline. Il n’était plus question de marcher pour avancer, mais de courir pour survivre.
Au bout de cinq minutes haletantes, je compris que notre fuite était impossible. Nous entendions déjà les cris des Affamés derrière et devant nous. Corentin proposa :
- On peut se cacher sous le sable.
- Et étouffer ? ironisai-je. Non merci. Et je suis sûr que les Affamés nous trouveront quand même. L’humanité se découvre des capacités inconnues lorsqu’il s’agit de nourriture.
- Donc, on fait quoi ?
- On continue d’avancer, en espérant que ceux de derrière ne nous rattrapent pas.
- Et pourquoi ils ne se bouffent pas entre eux, ces zombies ? grommela Corentin alors que nous recommencions de marcher.
- Tout d’abord parce que nous avons de la vraie nourriture. Ils doivent le sentir à plusieurs kilomètres à la ronde. Ensuite, je suppose que nous sommes plus gros qu’eux, donc, potentiellement plus de chair. Et pour finir, parce qu’eux, ils se serrent les coudes.
- Ça serait plus simple si...
- Dans un ou deux jours ça ira mieux. Ils vont se bouffer entre eux, et on sera tranquille.
- Tranquille ? ironisa Cléa.
- Déjà plus tranquille, rectifiai-je. Les deux prochains jours vont être les plus difficiles.
- Il va déjà falloir que nous survivions à aujourd’hui, dit Corentin. Ce qui n’est pas gagné.
Les silhouettes de devant se précisaient, et lorsque je jetai un coup d’œil en arrière, je vis que les Affamés se rapprochaient. Corentin s’arrêta brusquement :
- Je ne peux pas. Je ne peux pas leur foncer dessus en sachant pertinemment qu’ils risquent de nous tuer et de nous manger.
- C’est la seule solution ! insistai-je. Si nous tirons droit devant avec nos fusils, on peut les faire fuir !
- Tu as dit toi-même qu’ils n’auront pas peur de la mort ! Ils préfèreront nous manger et se faire tuer plutôt que de fuir ! Ils ne renonceront jamais ! Nous sommes condamnés.
- J’ai les cartes ! dis-je. On va s’en sortir.
- Toi non, contra-t-il. Tu vas encore avoir des morts sur ta conscience. Ça va finir par te tuer.
- Tout plutôt que nous faire manger !
- C’est trop tard, gémit Cléa.
Les Affamés s’étaient regroupés autour de nous, sans que nous n’ayons de plan pour contrer cette menace. Ils nous regardaient de leurs yeux qui étaient vides à part un lueur : celle de la faim, une faim dévorante qui prenait le contrôle de leur corps.
Les bras tendus vers nous, ils nous fixaient, en se léchant les babines d’avance. Cléa, n’y tenant plus, tira et tua un Affamé. Aussitôt, tous les autres reculèrent, puis recommencèrent à s’avancer.
- Ils ne sont pas débiles, dis-je. Ils comprennent très bien que nous finirons pas manquer de balles.
Je tirai à mon tour sur un Affamé, qui le propulsa en arrière et en entraîna plusieurs autres dans sa chute. Cléa tira une seconde fois, puis dit :
- Je n’ai plus de balles.
- Et moi j’ai un plan ! répliquai-je. Tiens ! Mon fusil.
Elle le rattrapa et donna un coup de pied à Corentin, qui était toujours assis par terre :
- Qu’est-ce que tu fais ! Relève-toi !
- Ça ne sert à rien, pleurnichait-il. On va crever. Sauf si je vous donne aux zombies. Il y a sûrement un moyen de parler avec eux, pas vrai ?
- Sale traître, grognai-je. Tu montres la pire part de l’humanité. Heureusement que je suis là pour contrer.
Je sortis de ma sacoche, non pas un Pique ou un Trèfle, mais le sept de Cœur. J’espérai que cette carte suffirait pour mon plan. Je fis un grand geste vers l’un des Affamés, et aussitôt celui-ci reprit le contrôle de son esprit, et reprit des couleurs.
En un mot, il n’était plus un Affamé, il était redevenu normal. Les autres Affamés, contemplant cette source de nourriture inespérée, se ruèrent sur lui.
Tachant de ne pas entendre les cris désespérés de l’homme, je fis de nouveau un geste dans les airs avec ma carte.
Un nouvel homme redevint normal. Je fis ça plusieurs fois, jusqu’à ce que la carte disparaisse entre mes mains. Tous les Affamés étaient soit en train de manger un homme, soit en train de se bagarrer pour obtenir la nourriture qu’était l’humain.
Je relevai de force Corentin et nous nous enfuîmes en courant. Corentin ne cessait de trébucher ou de pleurnicher, comme s’il retournait en enfance, tandis que Cléa semblait être devenue plus mature, tirant sur les Affamés sans hésitation.
Malheureusement, nous vînmes assez vite à court de munitions. Je dus utiliser deux fois le neuf de Pique pour écarter un zombie de notre passage. Après une course effrénée de plusieurs minutes, plus personne ne tenta de s’interposer.
Les rares Affamés qui nous poursuivaient abandonnaient bien vite, car soit nous étions trop rapides, soit ils se disaient qu’ils avaient une source de nourriture plus proche. En fin de compte, nous nous éloignâmes assez vite des Affamés.
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