Chapitre 6
C’est en effet ce que je crus sur le moment. Mais une étude plus attentive me permit de démontrer le contraire. Leurs yeux, par exemple, était d’un blanc laiteux, comme ceux d’un aveugle.
Leurs oreilles semblaient un peu plus grandes. Leurs cheveux étaient d’un noir parfait, uniforme, sans la moindre trace d’autre couleur, et parfaitement coiffés.
Lorsque l’homme - ou plutôt l’extraterrestre - ouvrit la bouche pour parler, je remarquai que ses dents étaient trop blanches pour être humaines. Tout cela, je le remarquai en un instant, mais cela me permit de me rassurer quant à leur nature. Il dit :
- Bonjour à vous. Vous êtes les bienvenus. Je m’appelle Tilaal. Voici mon collègue Naounel, ici présent, et mon dernier collègue qui est resté dans notre engin de transport se nomme Imptat.
- Votre engin de transport ? demanda Cléa d’une petite voix.
- J’ai pensé que vous comprendriez mieux ce qu’est cet objet comme ça que si nous l’appelions par son nom originel, s’excusa Tilaal. Dans notre langue, on l’appelle Talonv.
- Comme le talon ?
- Pas du tout. C’est un… anagramme du mot volant dans votre langue. Si vous voulez bien vous asseoir à présent...
Je n’aperçus pas l’arme que Tilaal tenait à la main, mais Cléa et Corentin s’assirent, comme subjugués, et je fus obligé de faire de même. Naounel se tourna à cet instant vers nous, et je vis qu’il était exactement comme Tilaal.
A tel point que soit ils étaient frères, ou du moins de la même famille soit c’était des clones. J’attendis de voir le troisième extraterrestre avant de me formuler sur la question. Tilaal demanda :
- Qu’est-ce que vous faites ici ? Comment vous appelez-vous ?
Il s’efforçait de prendre un ton doucereux, mais je voyais bien que nous étions des proies pour lui. Et que lui était un loup déguisé en agneau. Mais les deux autres ne semblèrent pas voir à travers l’illusion, et Corentin répondit immédiatement :
- Je m’appelle Corentin, voici Cléa et le petit grincheux là-bas s’appelle Matt.
Et il commença à lui raconter notre histoire, sans la moindre gêne. Il ajoutait quelques fois des détails peu reluisants à mon sujet, signe qu’il était déterminé à me faire payer mon action.
Pendant ce temps, les deux extraterrestres nous écoutaient attentivement, s’intéressant au moindre détail. Je trouvai cela plutôt inquiétant, et c’est pourquoi, lorsque Corentin arrivait au moment de notre rencontre, je l’interrompis :
- Assez parlé de nous. Et vous, qui êtes-vous ?
Les deux extraterrestres tournèrent la tête vers moi et me contemplèrent avec leurs yeux blancs. Je ne savais pas s’ils me voyaient véritablement, mais Tilaal dit :
- Votre ami n’a pas fini votre histoire, il me semble ?
- Notre histoire n’est pas très importante, dis-je. Si vous tombez sur n’importe lequel des rares humains encore sains d’esprit qu’il reste sur Terre, il vous racontera exactement la même histoire.
- Chaque histoire est unique, dit Naounel. Nous prendrons soin d’écouter chacune d’entre elles.
Leur ton doux me fit frissonner, mais je ripostai cependant :
- Je suis d’accord, mais la notre est sans intérêt. Vous allez vous endormir, si ce n’est pas déjà le cas.
- Nous n’avons pas besoin de dormir, dit Tilaal.
Cléa et Corentin, qui avaient suivi cette joute verbale, écarquillèrent les yeux à ces mots :
- Quoi ? s’exclama Cléa.
- Mais comment est-ce possible ? Dormir est essentiel pour tous les êtres vivants ! renchérit Corentin.
- D’accord, d’accord, calmez-vous. Nous allons vous expliquer qui nous sommes. Mais je veux entendre la fin de votre histoire, si vous le voulez bien.
Tilaal insista fortement sur ces derniers mots, et immédiatement, Corentin reprit :
- C’est Matt, qui ne veut pas. Donc, nous avons pris le vélo de Matt pour briser la vitrine...
Je lançai un regard noir aux deux extraterrestres, qui me répondirent par un drôle de sourire mystérieux. Ils écoutèrent la suite du récit de Corentin avec un intérêt croissant.
Je m’arrangeai pour interrompre Corentin à chaque fois qu’il mentionnait les cartes. Au bout d’un moment, il comprit et arrêta d’en parler, omettant donc certains détails. Au final, les deux extraterrestres n’entendirent pas une fois le mot carte.
- À vous, à présent, dis-je. Dites-nous qui vous êtes et pourquoi vous êtes ici.
- On nous appelle les Autres, sur notre planète, dit Naounel. Car nous sommes toujours en train de voyager entre les différentes planètes.
- Vous venez de quelle planète ?
- Elle est trop loin de votre système solaire pour que vous connaissiez son nom, dit Tilaal. Je ne suis même pas sûr que l’un de vos... experts sache où elle se situe.
- Comment connaissez-vous notre langue ?
- Nous sommes venus il y a deux siècles. Nous avons appris votre langage, même si nous avons certaines lacunes.
- Vous vous débrouillez bien, dit gentiment Cléa.
- Merci, dit Tilaal en souriant, ce qui découvrit ses dents uniformément blanches.
- A vous entendre, notre langue est un dialecte d’une sorte de tribu sauvage, dis-je.
- C’est le cas. Vous êtes moins développés que nous. Comment croyez-vous que les tribus de...
- D’Amérique du Sud ? proposa Corentin.
- Ou d’Afrique, finit Naounel.
- Oui. Qu’est-ce que vous croyez ? Ces tribus pensent que vous les toisez de haut, alors qu’ils sont juste hors de la civilisation, et ils vous détestent. Et c’est normal.
- Telle n’est pas la question, dis-je en éludant la question du revers de la main. Continuez.
- Nous avons donc appris votre langue, dit Tilaal. Nous vous avons regardé, et nous vous avons étudié.
- Étudie ? Comme de vulgaires animaux ? s’offusqua Corentin.
- Encore une fois, il faut que vous relativisiez ! Comment les animaux qui sont enfermés dans des cages vous voient-ils ?
- Comme d’abominables monstres qui leur privent de libertés, compléta Naounel. Et vous trouvez ça juste, alors que ça ne l’est pas.
- Nous ne sommes pas là pour philosopher ! dis-je.
- En effet, nous sommes là pour discuter, dit Naounel en souriant.
Leur sourire me donna l’envie de les frapper. Mais plus j’en apprenais sur eux, mieux c’était. Je ne savais pas encore le but de leur visite, mais je leur faisais de moins en moins confiance.
- Il est intéressant de voir comment évolue une civilisation, dit Tilaal. Vous avez fait une incroyable avancée technologique ces deux derniers siècles.
- Attendez, dit Cléa. Vous voulez dire que vous avez plus de deux siècles ?
- Nous avons l’équivalent de cinquante ans, pour vous, terriens. Nous avons deux cents cinquante ans en moyenne, et il nous reste une bonne centaine d’années à vivre.
- Lorsque nous avons vu qu’une météorite avait percuté la Terre, poursuivit Naounel, nous nous sommes de nouveau intéressé à elle. Comme vous vous en sortiez bien, nous en avons conclu que c’était une météorite perdue.
- Mais il est arrivé le deuxième, puis le troisième cataclysme, comme vous l’appelez. Nous avons décidé d’aller sur Terre pour aider les derniers terriens à survivre, car la vie est si précieuse pour être gâchée...
Alors que Corentin et Cléa les pressaient de questions sur leur projet, je réfléchis. Il y a quelque chose qui clochait faux dans leur discours. Quelque chose d’impossible... Je vis que Tilaal me regardait du coin de l’œil. Puis je compris :
- C’est impossible, dis-je en sautant sur mes pieds. Je sais ! Vous n’avez pas pu être au courant qu’il y avait une météorite qui tombait sur Terre, puisque d’après vous vous habitez beaucoup trop loin !
- Nous avons une technologie.., répliqua Naounel.
- Ne jouez pas au plus malin avec moi ! dis-je. Vous ne l’auriez jamais vu, cette météorite, du fait de la distance !
- Nous étions proches par hasard, dit Tilaal. Nous organisons beaucoup de patrouilles dans le ciel pour surveiller...
- Si tel était le cas, vous ne seriez jamais revenus pour voir les deuxième et troisième cataclysme !
- Nous vous avons surveillé ensuite, pour voir si tout allait bien.
- Bien sûr que non, puisque vous en aviez conclu que c’était naturel ! contrai-je d’un ton victorieux.
Je sentais en effet que mes arguments portaient leurs fruits. Les regards de Cléa et Corentin se firent soupçonneux, comme s’ils comprenaient que les Autres n’étaient pas aussi gentils qu’ils le croyaient.
Ils reculèrent imperceptiblement, tandis que Tilaal disait, d’un ton qui paraissait rassurant :
- Allons, qu’est-ce que vous vous imaginez ? Nous sommes ici pour vous aider, bien entendu.
- Je ne crois pas, dis-je, préparant mon atout. On ne menace pas quelqu’un avec une arme lorsque l’on est là pour soit disant l’aider.
Le sourire de Naounel se crispa un bref moment avant de redevenir comme avant. Tilaal tressaillit, mais ne bougea pas. Quant à Corentin et Cléa, ils reculèrent franchement tout en se levant. Cléa bredouilla :
- Ce, c’est vrai ? Vous nous voulez du mal ?
- Du mal, ça je ne sais pas, mais en tout cas, vous nous mentez, dis-je.
- Vous êtes très forts, dit simplement Naounel.
Corentin prit son fusil à pompe et le pointa vers les Autres. A ce moment, une ombre se profila sur le haut de la soucoupe, signe que Imptat venait surveiller la situation. Naounel poursuivit calmement :
- D’accord, nous avons menti. Et maintenant ?
- Maintenant, vous allez nous dire ce que vous êtes venus faire ici, dis-je en prenant à mon tour le fusil à pompe.
- Vous croyez vraiment que vos armes primaires pourraient faire quoique ce soit sur nous ? dit Tilaal en éclatant d’un rire cristallin. Vous vous trompez.
- Réessayez-vous, continua Naounel. Ça ne fera aucune différence, que vous résistiez ou non.
- Puisque, d’après le ton de votre voix, vous êtes déterminés à nous tuer, je suppose que raconter ce que vous faites sur Terre ne fera pas de grande différence non plus ?
Les deux extraterrestres échangèrent un court regard et Tilaal dit, ses mains faisant un geste apaisant :
- Nous vous expliquerons tout si vous lâchez vos armes et que vous vous asseyez.
- Vous croyez peut-être que nous n’allons pas vous opposer de résistance ! dis-je en éclatant de rire. Vous vous trompez. Peut-être aurons-nous le temps de tirer une balle bien placée avant de mourir. Mais ce sera déjà ça. Maintenant parlez, où je ne garantis pas que mon doigt va bouger d’un centimètre en arrière.
Tilaal et Naounel échangèrent un autre regard, puis il y eut une sorte de discussion tacite entre les deux Autres. Tilaal dit :
- Bon, très bien. Vous vous croyez en position de force, mais ce ne durera pas, soyez-en sûrs. Vous voulez savoir la vérité ? Nous allons vous l’exposer entièrement.
- Lors de notre première passage sur la Terre il y a deux siècles, commença Naounel, nous avons effectivement vu que votre race commençait à prendre de l’ampleur. Nous vous avons laissé faire, car nous pensions que cela ne ferait pas de mal.
- Mais.., soupira Tilaal. Nous revenions tous les cinquante ans, voir ce que vous deveniez. C’est en 2092 que nous avons vu tout l’ampleur du désastre humain. Vous consommez toutes les ressources, vous vous faisiez la guerre sans la moindre trace de pitié, et vous vous moquiez de l’avenir de votre race.
- C’était inadmissible pour nous. Nous sommes restés un an sur Terre, une année pleine de malheur, où nous avons rencontré un homme bon, l’un des seuls vivant sur Terre...
- C’était le scientifique Mike Prick, acheva Tilaal. Il avait fait une découverte scientifique incroyable, et nous avons mise tous nos espoirs sur lui. Nous lui avons demandé de profiter de sa célébrité pour devenir président, et en gage de notre confiance, nous lui avons donné un ultimatum, sous forme de prophétie : quand l’humanité aura atteint le nombre CCCCC, les forces de l’univers se déchaîneront contre la terre jusqu’à ce que mort s’en suive. Le nombre CCCCC est un chiffre romain, langage que nos ancêtres nous ont appris lors de leur première visite ici.
- A partir de ce jour, il fit tout pour sauver le destin des terriens, reprit Naounel. Il faillit devenir président en 2093, mais échoua. Pendant quatre ans, il lutta pour devenir président par la suite, en faisant plusieurs actions mémorables. Nous observions tout ça d’un œil circonspect, car nous savions que votre destin était déjà scellé...
- Vous êtes horribles ! s’écria Corentin.
- C’est vous qui avez assassiné Mike Prick ? dis-je en tremblant. Auquel cas je...
- Ce n’est pas nous, nous allons y venir. En décembre 2096, Mike Prick et Amélie Prick sont assassinés par des hommes du président Wells. Cet acte nous a montré que nous ne pouvions faire confiance à votre race, et que vous étiez condamnés.
- Quoi ? s’exclama Cléa.
- Malheureusement, c’est vrai. Mike Prick étant mort, tout espoir était anéanti. C’est alors qu’un de mes collègues, Mesint, nous a averti que Jackson Prick, le fils de Mike Prick, connaissait l’existence de l’ultimatum. Nous avons chargé Mesint de surveiller Jackson, mais voyant qu’il ne faisait rien, nous nous sommes tenus au plan initial.
- Anéantir l’humanité, dis-je. Et pour quelle raison ?
- A vrai dire, il n’y en a aucune, lâcha Tilaal.
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