La faim
Quelle idée à la con… moi et quatre de mes meilleurs amis avions eu pour projet de vacances de partir dix jours en randonnée dans l’arctique, durant la nuit polaire. Mais à la place des aurores boréales et d’un ciel étoilé digne de nos rêves les plus fous, nous avions été pris dans un blizzard et un mercure descendant jusqu’à moins trente degrés. Nous avions perdu de vue deux de nos camarades au bout d’une journée de tempête. Moi et mes deux compagnons restants avions trouvé une petite cavité dans une paroi de roche pour nous protéger des crocs du vent glacial de ces latitudes. Enfin, juste moi et mon dernier ami, le troisième avait succombé d’hypothermie en chemin.
Par chance, nous avions réussi à contacter les secours. Mais impossible pour eux de nous retrouver tant que le blizzard demeurait. Il nous fallait survivre jusqu’à la fin de la tempête pour espérer sortir de cet enfer. Par tous les moyens.
Ce matin, enfin je croyais, car il était aisé de perdre la notion du temps dans la nuit polaire, j’estimais que cela faisait dix jours que nous étions coincés au même endroit. Nos réserves de nourriture commençaient à s’épuiser et je souffrais d’engelures à la main gauche. Sans notre petit chauffage portatif, nous serions morts depuis plusieurs jours déjà. Mon ami quant à lui, je craignais qu’il ne parte lui aussi. Même avec de l’aide médicale, il semblait condamné l’amputation de ses deux jambes et de ses mains.
Je passai ce « jour » là à le regarder. le vent sifflait toujours dans nos oreilles et la neige tombait drue dehors. Nous venions de consommer nos dernières rations et mon estomac criait déjà famine. Il paraitrait que ce fût la fin. Je ne voyais pas comment mon ami aurait pu s’en tirer et mon trépas n’était qu’une question de jours sans la moindre nourriture. Épuisé, je m’assoupis. Du moins j’essayais. Très vite, une pensée odieuse me traversa l’esprit. Horrifié, je la rejetai sans relâche. Encore et encore. Mais elle revenait à chaque fois, toujours plus attrayante. Je craignais d’y céder. Après tout, cela me permettrait de tenir un jour de plus. Peut-être le jour qui me sauvera. Et puis, personne n’en saura jamais rien.
Animé d’une force terrifiante, celle du désespoir, j’allai vers mon ami. Complètement inerte, j’entourai son cou de mes mains, avant de serrer ma prise, comme un fou. Cela semblait efficace, malheureusement. Mon ami ouvrit ses yeux, et je lisais la terreur et l’incompréhension dans son regard suppliant. Je fermai mes yeux, sans parvenir à retenir quelques larmes. Mais je devais aller au bout. Après de longues minutes, mon ami ne bougeait plus. je vérifiai son poul, pas de doutes possibles, il était mort.
Sans perdre de temps, je sortis mon couteau de chasse. J’aurais aimé pouvoir continuer à garder mes yeux clos, mais impossible lorsque l’on s’apprêtait à franchir la ligne du tabou ultime. Je me refusais à détailler cet acte sordide, préférant me rassurer sur la force que cela me donnerait pour survivre un jour de plus. Pas davantage. Le corps de mon ami était si gangréné par le gel qu'il y avait à peine de quoi se rassasier.
J’avais cessé de compter les jours. Après mon dernier repas, j’étais resté en boule, tentant de conserver au mieux la chaleur qui me restait. Et à me maudire. Comment avais-je pu commettre un tel acte ? Comment avais-je pu penser que cela me sauverait ? J’en étais venu à croire que Dieu me punissait d’avoir cédé. Ce maudit blizzard m’avait pris mes amis, mes espoirs, ainsi que mon humanité. Bientôt, ma vie rejoindrait sa longue liste de victime. Je fermais mes yeux une dernière fois, sans le doux réconfort d’espérer rejoindre mes camarades au paradis.
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