Tu vas le regretter !

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Si on ne manque pas d’imagination, on peut dire que le salon de nos voisins de palier ressemble actuellement à un far west (Traduction : un gros bordel sans nom). Nous sommes vendredi soir et le canapé a été transformé, à l’aide de draps, en un drôle de tipi, tandis que la table basse a été renversée et confère un rempart contre l’envahisseur pour mon ennemi juré : Nathan, le Coriace, alias le cowboy le plus célèbre de l’immeuble. Mon déguisement d’indien se résume à une plume attachée par un élastique autour du crâne et trois traits de maquillage sur chacune de mes joues. Nathan, lui, a revêtu, du haut de ses neufs ans, la panoplie complète de Lucky Luke. Son revolver à la main, il guette ma sortie imminente pour me tuer à coup de flechette-ventouse. Je décide enfin d’abréger son impatience, mais dans ma précipitation, je me vautre lamentablement sur le tapis. N’ayant aucune pitié, Nathan en profite pour me tuer bien comme il faut (je dois avoir au moins trois ventouses collées sur le front) avant de me chevaucher, en me plaquant au sol. Je crie des ouhouhouhou, imitant tant bien que mal les indiens, tandis qu’il m’arrache ma plume et mon élastique ainsi que les flèches. Je sens une corde passer autour de mon cou. Nathan a décidé d’en finir avec moi. Je fais mine de m’étrangler dans d’affreuses souffrances tandis que j’aperçois, tapis dans l’ombre, Helmut, qui nous regarde. Je le soupçonne d'espérer de tout cœur que le petit voisin me brise le cou. Mais qu’est-ce qu’il fout là, ce chat ??

Le combat se finit par une séance de chatouilles en règle, avant un lavage de dents pour notre petit garnement. Je n’aurais pas dû l’exciter comme ça, il va être ingérable quand il s’agira de lui dire, dans quelques minutes, d’aller au lit. Je m’aperçois que nous avons largement dépassé l’heure autorisée par ses parents. Les absents ont toujours tort, comme dirait l’autre. Alors que je m’apprête à prendre ma grosse voix pour stopper net le carnage que Nathan est en train de me faire dans la salle de bain (il a foutu du dentifrice et postillonné partout sur le miroir), le téléphone se met à sonner. Il ne manquait plus que ça ! Je m’autorise à répondre.

— Allô ?

— Juju, c’est toi ?

— Bah oui, Alice, qui veux-tu que ça soit ?

— Ramène ton cul chez Val, j’ai une surprise pour toi.

— Alice, t’es bête ou quoi ? J’ai Nathan qui est en train de me retapisser la salle de bain avec son dentifrice. Je crois que je vais être obligé de l'assommer pour qu’il s’endorme.

— Oui, je sais, crétin que tu es chez Nathan. Mais figure-toi qu’il y a le cousin de Sandra qui est là. Et je dois dire qu’il est très très, enfin, il va te plaire, c’est sûr.

Je sens à la voix d’Alice que pour une fois, elle n’en rajoute pas plus que ça. Elle me fera presque saliver cette andouille.

— Oui, bah, aussi beau soit-il, il attendra le cousin. Et comme je te l’ai dit, je m’apprête à me débarrasser du voisin dans deux minutes pour avoir la paix. Tu ne veux tout de même pas que je l’abandonne, seul à neuf ans ?

— Si. Sinon, tu vas le regretter ! Trouve quelque chose, mais viens, tu me remercieras. 13 rue des Feuillantines. C’est à vingt minutes à pied, la rue parallèle à l'hôpital, juste à côté d’une épicerie. Tu vois ?

— Oui, je crois, mais oublie. J’ai des responsabilités, je te signale ma chère ! Et au fait, ça avance avec Jessica ?

— Il faut que je te laisse, il est exactement 21h32. Val lance le film à 22h30. T’as intérêt à être là. Je lui ai dit que tu viendrais !

— Mais t’es folle ! Je…

Alice vient de me raccrocher au nez. Je ne sais pas quelle mouche l’a piqué, elle doit avoir bu. Elle a réussi à piquer ma curiosité. Mais je dois me faire une raison.

Il est à présent 21h40 et contre toute attente, j’ai réussi à mettre au lit Nathan sans qu’il ne me fasse la comédie. Il me réclame une histoire. Je sais laquelle : La sorcière du placard aux balais. Elle le fait rire autant qu’elle lui fait peur. Mes talents de conteur s’achèvent, je borde mon cowboy fatigué et referme délicatement la porte en laissant quelques centimètres de lumière pour le rassurer. Après avoir nettoyé sommairement la salle de bain, je remets en ordre les coussins du canapé et la table du salon. Le silence envahit soudainement la pièce, alors qu’il y a à peine une demi-heure, c’était un véritable capharnaüm. Je finis par me laisser tomber sur le sofa. Helmut vient sauter sur mes genoux et se mettre en boule. Il me fait des petits yeux, je suis incapable de résister, aussi, je me mets à le caresser doucement. Je repense au coup de fil d’Alice. Je sens cette maudite frustration monter petit à petit. Il est déjà 22h15. Le temps que je trouve une solution qui de toute façon n’existe pas et que je me rendre à pied chez Valoche, le film aura déjà commencé. Je me résigne, en soupirant.

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