Tais-toi, idiote (final 1/3)
Il est 22h40. Avec un peu de chance, le film n’a pas encore commencé. Je réalise seulement à ce moment-là que je vais devoir me farcir Redrum dans le noir, sans avoir l’occasion de profiter de ce cousin soit disant bi ! (Penser à revoir ses priorités dans la vie). J’entends bientôt des rires derrière la porte avant que celle-ci ne s’ouvre.
— Julien, bienvenue à toi ! s’exclame Valoche, soudain hésitante à me faire la bise, préférant me serrer la main.
Ah, ok, je ne la savais pas si protocolaire. Je ne pensais pas qu’elle était coincée. Je lui tends donc la main. J'aperçois aussitôt Alice débouler derrière elle.
— Oh génial Julien ! Bienvenue à toi, jeune sioux !
Valoche commence à rire, Alice n’en peut plus de se retenir, elle aussi. Mais qu’est-ce-qu’elles ont à me regarder comme ça ? Oh, putain, merde, j’ai oublié d’enlever mon maquillage d’indien. Alice comprend que je viens de réaliser ma connerie et m’emmène directement dans la salle de bain, avant d’envisager de me présenter au reste des invités réunis dans le salon. La porte s’ouvre devant nous sans prévenir. Nous tombons nez à nez avec un grand jeune homme, qui je dois le reconnaître, est tout à fait appétissant. Il est blond, élancé, dans des proportions des plus avantageuses. Ça doit être le mec dont Alice m’a parlé. J’ai bien fait de venir, on dirait.
— Julien Perrin, de la cinquième B du collège Saint Exupéry? Je ne rêve pas, c’est bien toi ?
Je cligne des yeux. Comment connaît-il mon… Soudain, ça fait tilt dans ma tête.
— Antoine Schneider ???
Aussitôt, l’image de nous deux dans les toilettes du collège me revient. Bordel de merde. Je vois à son regard qu’il pense à la même chose que moi.
— Vous vous connaissez ? dit Alice, surprise, savourant la situation, car elle non plus, n’a pas oublié cet épisode gênant de ma vie que j’avais osé lui avouer un soir de déprime.
— Tu… Tu as tellement changé, Julien ! continue Antoine. Par contre, le maquillage, c’est tendance, ou quoi ? dit-il, en plaisantant.
Je viens de me faire griller dans les grandes longueurs. Décidément, je suis le dernier des boulets. Que l’on m’achève sur-le-champ !
— Je… Enfin, non, c’est que… Trop long à t’expliquer… Mais toi, aussi, tu as drôlement changé, dis-moi ! bafouillé-je .
Cette fois-ci, mon amie a pitié de moi et me pousse sans prévenir dans la salle de bain. Je manque de percuter Antoine, qui a la gentillesse de nous laisser passer (sans vraiment avoir le choix il faut dire).
— Merci Antoine, mais comme tu vois, c’est une urgence, dit Alice, en rigolant comme une baleine.
Je ne demande pas mon reste. Elle ferme la porte à clé. Je m’empresse de me débarbouiller le visage.
— Mais quelle entrée mon cher ami, quelle entrée ! Vous vous êtes encore surpassé ! dit-elle, alors que je frotte comme un taré sur mes joues déjà rougies.
— Je connais le ton de ta voix, n’en rajoute pas, dis-je, embarrassé.
— Regardez-le, il est déjà tout rouge !
— Ah, ah, ha, très drôle. Ce maquillage est vraiment nul, je vais avoir des boutons partout, j’en suis sûr !
Je finis par m’essuyer avec la première serviette à portée de main.
— Je savais bien que le cousin te plairait. Par contre, qui pouvait imaginer qu’il était le fameux Antoine avec qui tu as joué à touche…
— Chuuut, tais-toi idiote. Vas le crier sur les toits, pendant que tu y es !
— Tu avais déjà très bon goût à l’époque, mon coquin !
— Arrête avec ça, et dis-toi qu’il y a 8 ans, il ne ressemblait vraiment pas à l'Apollon qu’il est devenu ! Contrairement à moi, il ressemble à quelque chose.
— Tu en as pas marre de toujours te dévaloriser ! Rappelle-toi ce que t’a dit Pierre.
— Que j’étais son meilleur coup ?
— J’ai les oreilles qui saignent, arrête !
— Et dis-donc, jeune fille, je croyais que vous seriez déjà en train de regarder le film. Je me suis dépêché pour rien ! dis-je en regardant ma montre.
— On a eu un petit accident de verre renversé, ce qui nous a retardé ! Tu devrais me remercier. Et Nathan, tu l'as enfermé dans un placard ?
— Pire, je l'ai confié à Francine.
— Tu exagères, je l'aime bien Francine. Toujours prête à rendre service.
— Tu ne crois pas si bien dire…
On entend frapper à la porte.
— Qu’est-ce que vous foutez là-dedans, on va bientôt lancer le film ! claironne Sandra de sa grosse voix menaçante.
— Oui, oui, on arrive ! s’empresse de répondre Alice. C’est Julien… Il a… Un petit problème de trouble intestinal !
— … Ah, ok, je vois. Il y a un rouleau de pq en plus dans le petit placard au-dessus des toilettes, s’il veut ! Mais qu’est-ce que tu fous avec lui, tu lui tiens la main ?
— Merci, Sandra, je pense que ce ne sera pas du luxe ! Je suis restée avec lui, de peur qu’il s’évanouisse.
Nous l’entendons glousser avant qu’elle ne reparte.
— De mieux en mieux, Alice, merci bien !
— Oh, ça va, on rigole. Regarde-moi : c’est bon, ton maquillage est parti. Tu n'as pas les joues rouges, tu ne vas pas avoir de boutons. Tout va bien. T’es beau comme un cœur, tu n’as plus qu’à foncer avec Antoine.
— La dernière fois que tu m’as dis ça, c’était pour Fred, t’as vu le résultat ?
— Oh le pauvre bichon, il a été obligé de se rabattre sur son meilleur ami. Non, cette fois, c’est différent. Antoine a juste besoin que tu lui fasses comprendre qu’il préfère les mecs, c’est aussi simple que ça.
— Tu déconnes ? Je suis pas Mère Thérésa ! Même si je dois reconnaître qu’il est plutôt, comment dirais-je…
— Bandant ! réplique Alice
— Heu, oui, tu m’ôtes les mots de la bouche.
— Oui, bah, dans quelques heures, j’espère que ce ne seront pas les mots qu’Antoine t’ôtera de la b…
— Mais silence, dépravée, si ça se trouve, il est derrière la porte et entend tout ce qu'on dit ! Et arrête tes âneries, je te prie.
Je ne peux m’empêcher de glousser.
— En parlant d'âne, je me demande combien elle fait, la sienne, non, parce que je sais pas si t’as bien regardé au niveau de son entrejambe, mais c’est énooooorme…
— Non, mais j’y crois pas, t’es une véritable obsédée, ma parole… Tu as bu ou quoi ?
— Non, mais j’aurais dû. Je ne t'ai pas dit : c’est fichu avec Jessica. C’est pour ça que je ne raconte que de la merde. Sans faire exprès, je lui ai renversé mon verre de bière sur sa robe.
— Toutes mes condoléances. Et tu comptes faire quoi ?
— Boire et oublier, pourquoi ? T’as une meilleure idée ? dit-elle, soudain, l’air abattu.
— C’est malin. Je suis sûr qu’elle ne t’en veut pas.
— Te force pas, Juju. C’est fichu !
— Mais non, à la guerre, comme à la guerre. Allons affronter l’ennemi !
Alice me regarde perplexe.
— Laisse tomber, je raconte encore plus de merde que toi. Ça doit être cette histoire d’âne qui me monte à la tête.
J’ai réussi à la faire sourire. Tout n’est pas perdu. Nous nous regardons, comme deux comploteurs complices, avant de sortir dignement de la salle de bain.
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