Pour une dose de nicotine
Hard rock cuir et cheveux longs, l'écho rugit en fond sonore dans les entrailles de la plaine nue. Je me réveille doucement, le bruit semble encore loin. Je sais pas combien de temps j'ai dormi sur le bord de la route, c'est pas très important. La violente mélodie s'avance a une vitesse folle, elle me ralie rapidement. Je crois reconnaitre la voix miaulante d'Axel Rose, je la regarde filer devant mes yeux puis au loin, emportée par la carcasse métallique d'une voiture assez puissante. Un long coup de vent, je compte les secondes, il en faut 90 pour que le bolide s'efface complètement. La ligne droite est infinie, tout comme l'horizon, un vaste bocal de rien qui prend fin dans les nuages au loin venant par ci par là entacher la tapisserie bleue du ciel. J'ai la bouche sèche, désagréable sensation. Mes lèvres restent collées entres elles, mon corps a l'air d'exiger un minimum d'eau. Et sa dose de nicotine. Je m'adresse là au lecteur qui claque un bout de sa paye hebdomadaire pour s'encrasser les poumons, et qui sait combien au réveil l'envie de fumer assiége le pauvre drogué. Ça fait plus de deux jours que je n'ai rien eu à aspirer, il va falloir remédier à ça. Ah oui, et trouver de la flotte aussi.
La trêve est finie. Je rallume la Torino et m'engouffre dans les nuages.
Des tas de kilomètres avalés, les lignes jaunes défilent, j'ai l'impression d'avancer sur un tapis roulant, des cactus, des vautours, quelques pneus orphelins et carcasses de voitures décorent les bords de la route. Il me reste de quoi faire une bonne cinquantaine de kilomètres dans le réservoir, rien de trop alarmant mais.
Au bout d'un certain temps, je fini par tomber sur une station service semblant avoir été créer par la providence, le seul édifice présent dans mon champs de vision depuis quelques temps maintenant, cadeau inespéré et rassurant. Je fais immédiatement escale à la pompe en service libre. Coupe le contact. La vie que je menais depuis quelques temps me faisait humer le parfum de la liberté la plus sincère, si bien que j'en en avais oublié les odeurs putrides et leurs relents matérialiste: j'ai pas le moindre sou, rien pour payer un verre à ma belle Torino, je me suis posé ici sans même y penser.
Alors que faire?
"Pour résoudre le problème, il faut l'éliminer", je cite, grand philosophe aguerri malade, mon oncle alcoolique, du temps où il était encore de ce monde à éliminer les bouteilles en tout genre à grand coups de lampées de whisky bon marché. Quand j'étais gosse je voulais devenir comme lui, je l'aimais bien parce qu'il semblait ne pas se soucier des lendemains. En grandissant, j'ai mis sa philosophie à exécution, j'ai quitté mon bled, mes blèmes et j'ai vidé mon compte bancaire. J'aurai jamais pensé que c'était si rude d'être mon oncle. Je pense à lui, la façon qu'il a eu de crever seul dans le brouillard de la misère...
bordel faut que je réagisse!
Alors je fais quoi? Je laisse la voiture là et continue à pieds? tout ça parce que j'ai pas du dollar à troquer contre l'or noir des pétromonarches qui dézinguent des pauvres gens pour que je le fasse? Je sors de l'habitacle, marche vers les collines et ouvre cette porte dans le décor où clignote l'énorme insigne rouge sang GAME OVER ? Certainement pas. Le fric, c'est qu'un détail, je vais me servir à la pompe, remplir ma jolie compagne et tracer tout droit en faisant crisser les pneus tout en levant mon majeur, c'est aussi simple que ça, la vie d'artiste.
Je descend de la voiture, attrape la pompe et commence à donner à boire à la Torino. Je jette un œil autour de moi. Il y a des caméras partout. Je pense alors à me procurer une cagoule pour la suite de mes aventures. Y'a pas si longtemps que ça j'étais Arsène Lupin et voilà que je sur le point de commettre une infraction à visage découvert, décontracté comme un vulgaire voleur de babouches inexpériment et bizarrement, j'en ai rien à foutre, c'est là le lot de tous les vagabonds qui parcourent ce gigantesque pays, prendre des coups de matraques dans quelques prisons de conté de temps en temps, ouais, c'est le jeu, de toute façon, ce qui m'importe vraiment à ce moment précis, c'est de pouvoir fumer une bonne cigarette, on y vois plus clair dans la fumée.
Je fais un doux sourire à la camera et dirige mon regard vers le magasin.
J'aperçois la vendeuse derrière la vitrine.
Elle est assise sur un tabouret derrière le comptoir, montée bien haut de façon à ce que les gens qui se pressentent la remarque, elle a l'air assez petite. Elle a aussi l'air très jeune, dix huit peu être vingt ans. La tête baissée vers son téléphone, un casque audio sur les oreilles, elle fait le yoyo avec sa tête, répondant certainement au rythme imposé par la musique qu'elle écoute. Elle est entièrement vêtue de noir, ses habits sombres ne laissent entrevoir que la peau de ses mains, de son cou et de son visage, je me demande bien comment elle fait avec cette chaleur. Ses cheveux sont bruns, mi courts, des mèches viennent teinter par ci par la sa coiffure de rose, elle semble appartenir à la communauté de ces jeunes gothiques en mal de chimères qui se tailladent les veines avec des couteaux en plastique en écoutant du Tokyo Hotel la nuit dans les cimetières. En gros, elle a l'air de se foutre royalement de moi, de son job ou du moindre individu susceptible de fouler le seuil de la porte de cette boutique minable.
Je décide quand même d'aller lui demander une cigarette et me dirige vers le magasin.
J'ouvre la porte, une sonnette se met à retentir. La vendeuse continue son mouvement de yoyo tout en m'ignorant.
Je me plante devant le comptoir.
Pour attirer son attention, je dis le bonjour classique, commodités d'usage. Toujours rien. Je réitère mon acte en haussant la voix, BONJOUR! La vendeuse ne semble rien entendre d'autre que le son de son casque, alors je m'avance, passe mon bras par dessus le comptoir et fais l'essuie glace avec ma main devant son champs de vision. Elle relève doucement la tête, me regarde et découvre une seule de ces oreilles, histoire de me faire comprendre que je l'emmerde à moitié, puis elle lâche d'un ton lasse et poussif un Ouéééé qui ne sonne pas vraiment interrogatif. Elle est défoncée, mâche son foutu chewing gum au ralenti, son teint est blanc, pour autant, ses yeux rouges sont pétillants et son visage, plutôt séduisant, je lui trouve des airs de Nathalie Portman, en période de desintox, l'anneau piercing qu'elle porte sur le bord de sa lèvre inférieure charnue ne me laisse pas indifférent, elle, par contre, a l'air de l'être.
- Je me demandais, j'voulais juste savoir si t'avais pas une clope à me dépanner.
Elle me regarde sans changer d'expression, toujours en ruminant son foutu chewing gum. Quelques secondes s'évaporent dans l'air pendant qu'elle s'amuse à me faire espérer une réponse positive.
-… Nan.
Elle baisse le regard vers son téléphone et reprend son mouvement de yoyo.
Self control.
La méthode douce ne marche pas, cette insolente ignore ce qu'est la compassion mais je retente ma chance.
- Allez, sois sympa, ça fais quatre jours que j'ai pas fumé.
La fille ne se donne même pas la peine de relever la tête, continuant à vainc à ses occupations en laissant ce grand vide à la place d'une réponse, qu'un morceau ressemblant à du Elvis presley en fond sonore vient combler. Je commençe à m'agacer: Tu fumes? Elle me répond Oué! d'un ton victorieux.
-Alors pourquoi tu veux pas m'en filer une, une seule putain, c'est pas la fin du monde!
L'intonation de ma voix porte ma nervosité, la fille l'entends bien et réplique rapidement cette fois ci en me foudroyant du regard:
- Écoute mec, tu vois une soutane sur mes épaules? Un chapelet autour de mon cou? Oui? Non? Bah non t'en vois pas, et tu sais pourquoi t'en vois pas? Parce que j'suis pas une putain de bonne soeur au grand cœur née pour assister son prochain, et surtout pas les gros connards dans ton genre.
Je suis surpris par la réponse et ne dis rien. La fille reprend en montrant du doigts l'étagère ou sont exposées les cartouches de cigarettes:
-Tu vois ça?
Je répond un timide un ouais sous le joug de son autorité soudaine.
Ça, c'est des paquets de clopes, et dessous tu vois, ooooh, magie, y'a les prix, comme dans un magasin en fait. Voilà t'as deux indices, j'te laisse le soin d'en tirer la morale de l'histoire.
Et puis elle reprend de mâcher son chewing gum d'un air menaçant avant de repartir écrire sur son téléphone.
Je suis en ébullition.
Pour qui elle se prend la vendeuse de chips, elle regarde défiler sa vie au beau milieu du trou du cul du monde et elle joue les divas en jugeant qu'il est inutile d'accorder la moindre attention a autrui. Je ronge mon frein. Je ferme ma bouche. Je vais visiter le magasin pour me détendre un peu.
Il n'y a pas des tas de rayons mais les produits proposés sont variés: nourriture, alcool, médocs, piles, revues porno, dvd, jouets pour enfants. Je vois la bouffe et les bouteilles de vodka, mon visage s'illumine, divinité sortie tout droit des cieux. J'attrape deux fioles, des sandwichs et un peu d'eau quand même on sait jamais.
J'ai pas du tout l'intention de passer à la caisse. Passer devant le comptoir/sortir du magasin/me barrer, c'est mon plan, ça me parait jouable, la morte vivante est occupée. C'est ce que je m'apprête à faire, j'ai fais le deuil des clopes.
Je commence à me diriger vers la sortie, passe le rayon des jouets pour enfants que je regarde vaguement tout en continuant de marcher. C'est là qu'un objet en particulier attire toute mon attention. Au milieu des raquettes de tennis et des masques de loup garou se trouve un joujou bien plus excitant pour le grand enfant que je suis :
La réplique parfaite qu'un Smith&wesson 9mm, en métal véritable, pas du vulgaire plastique, avec du bois sur la crosse et la gravure sur la cullasse, god bless America, les gosses aussi ont droit de rêver.
Je m'accroupi pour le contempler, le feeling passe. La vue d'une arme à feu, si factice soit elle, éveille en moi des sens primitifs, un sentiment de puissance, d'invincibilité s'empare de mon esprit, ça me parait d'abord immoral, et puis j'oublie, on est sur les terres de la bannière étoilée. Si j'en possédais réellement un, j'aurai plus à fuir comme un chien errant à chaque coins de rue, je pourrais posseder ce que je voudrais, on respecte toujours un mec qui a un colt qui dépasse du froc. Malheureusement, moi, j'ai rien de tout ça, le respect, le colt, juste le froc, mais c'est insuffisant. La vie est injuste. Je détourne mon regard du revolver, j'irai braver la jungle à mains nus, c'est peut être mieux ainsi.
À moins que!
Idée lumineuse, certains diront odieuse, tout dépends où chacun se situe sur l'échelle de la vertu, je repose mon regard sur l'objet de ma convoitise, l'attrape et serre dans ma main. Je le scrute un petit moment, le temps d'hésiter à faire ce que je m'apprête a faire, Il a l'air fait pour la paume de ma main, épouse ses formes, lui fait l'amour. Comme une odeur de stress, un dérivé de la peur, mélange d'anxiété mélé à la surpuissance, propre à un mec armé flairant l'homicide, je demeure hésitant, et puis ma haine entre dans la danse, la haine que j'ai envers la gothique, envers les gens, envers le monde entier qui s'amuse a faire de nous ce que nous sommes, des êtres qui suffoquent, des êtres qui s'ignorent, des gens rendus violents par le mépris des masses malades, envers et contre tous, je suis bien décidé à prendre ma revanche, faire passer un sale quart d'heure à cette pauvre fille à la caisse, lui faire sentir la frustration, la peur et les doutes qui me submergent. Je démarre d'un pas convaincu, me dirige vers le guichet, mon flingue en toc derrière le dos, j'ai les yeux noirs et les idées qui vont avec. À quelques mètres de ma victime je tend mon bras vers sa cervelle, dans la ligne de mire, je la braque tout en continuant d'avancer:
SORS MOI CES PUTAINS D'ÉCOUTEURS DE TA PUTAIN DE TETE!!
Elle sursaute. Réveillée pour de bon. Elle a ce réflexe instinctif, elle lève ses deux mains en l'air, son téléphone se fracasse sur le sol. Les pupilles enfin dilatées, c'est la peur qui habite ses yeux, elle ne joue pas l'hystérique pour autant et reste maître des ses émotions. Ça m'arrange. Elle s'exécute et enlève ses écouteurs. Sous la menace de mon nouvel ami elle devient ma chose, un si petit objet peut changer le court d'une vie, elle relève les mains en l'air, soumise au danger, alors je reprend d'un ton beaucoup plus calme :
Bah alors darling, ou est passée ta grande gueule?
J'ai devant moi une carpe incapable d'émettre le moindre son.
- Tu vas me vider la caisse, la moindre pièce qui traîne, tu vas tout mettre dans une poche, tu vas faire tout ça avec amour et volupté, tout en fermant bien ta gueule, t'as bien compris?
- Oui, prenez tout ce que vous voulez, c'est qu'un job de merde, mon patron est un sombre connard.
-Ah on me vouvoie maintenant! T'es devenue polie tout à coup, avec un flingue entre les yeux! Allez vas y, magne toi!
Elle s'empresse d'ouvrir la caisse et de transvaser l'argent dans une poche qu'elle me tend. Je regarde pas le contenu, ce qui me réjouis c'est sa mine décomposée. Je dis merci, parce que je suis un garçon poli. Elle me regarde d'un air interrogatif, comme pour me demander si c'est fini.
Attends ! Prends une autre poche et fous y toutes les cartouches de clopes que tu peux, dépêche!
Elle s'exécute sur le champs, me donne la poche, je regarde cette fois ci le contenu, il y quatre cartouches et elle a rajouté plusieurs briqués, comme poussée par l'envie de faire un geste commercial, c'est sûr poupée, ça donne envie de te re-braquer. Je recule face à elle, doucement, j'ai son front pâle dans le viseur, je me dirige en moon walk jusqu'à la porte d'entrée et m'arrête brusquement:
Attends!
Je reviens vers la caissière, elle me regarde et ses yeux m'implorent de partir. Je me tiens face à elle et laisse place au silence pendant quelques secondes, la voix d'Elvis ajoute une touche de douceur à la scène dont la fille attend le dénouement, j'espère que s'en est pour elle insoutenable.
file moi tes clopes.
Elle s'exécute, à la fois rassurée et humiliée par la nature de ma requête, ma chose, elle part fouiller dans la poche de son jean pour y sortir un paquet cabossé, qu'elle me tend par un généreux geste de dépit. Je dis merci, parce que je suis un garçon poli, et la gratifie de mon plus beau sourire. Elle, fait clairement la gueule.
Je reprend mon moon walk jusqu'à la sortie en souriant-braquant, pousse la porte avec mon talon et laisse cette salope avec Elvis a qui la porte, se rabattant complètent une fois que je suis sorti, viens clouer le bec.
Calme et décontracté, je marche jusqu'à la voiture et me met en place pour reprendre la route, mes courses sur la banquette arrière.
Je fais crisser les pneus et la propulsion me catapulte vers l'horizon.
Dans le rétroviseur intérieur il y a mes yeux qui brillent, je klaxonne quelques coups, m'allume une clope et respire la liberté.
Je sors mon flingue par la fenêtre et martelle la gâchette dans le vide. La route devant moi déroulée comme un tapis rouge, le soleil qui commence à mourir et qui en serai presque romantique, j'ai gagné le droit de continuer mon chemin, toujours vers nulle part.
En levant mon majeur.
C'est aussi simple que ça, la vie d'artiste.
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