Acte 2
Au jour ardent, sous le zénith, jouant des sept cordes de la lyre et charmant les animaux, Orphée, éperdu d’amour, noyait son regard dans les iris d’Eurydice qui dansait aux quatre vents parmi les biches envoûtées.
Des oiseaux dessinaient dans le ciel doux les motifs du cœur ou, sur les branches des arbres dociles, marquaient la cadence de leurs pattes graciles. Pas un n’osait siffloter ses ritournelles : la gaîté jamais ne rivalise avec l’Extase qui laisse l’homme et la nature en pâmoison. De chaque note, les beautés d’Apollon enivraient la nature qui fit taire une à une ses voix les plus profondes : ni le vent ne bruissait, ni le ciel ne grondait.
Alors qu’Eurydice souriait à l’homme qu’elle aimait et qui se perdait en elle, pinçant d’un doigté agile les cordes énamourées, Eris, énervée de cette harmonie et prompte à la discorde, invita l’un de ses serpents sourds, afin que cesse la musique et ce transport amoureux. Cette vipère vigoureuse, personne ne l’entendit se faufiler, siffler, féroce et vivace ; elle distilla ses venins dans le pied d’Eurydice, touchant une veine saphène.
Morsure cruelle : la dryade s’écroula, les yeux vibrant de douleur, dans un cri qui dissipa l’ondée du concerto, invitant un silence macabre. Aussitôt, les doigts du poète se figèrent d’effroi et l’allégro se tut. Les biches se ruèrent dans la brise, par delà les fourrés. Les oiseaux s’envolèrent dans une stridence lugubre et le ciel, d’un coup, s’assombrit, moiré de nuages orageux.
Orphée, qui ne vit pas le maudit serpent tant il était captif du regard de la belle dryade, se jeta aux pied de sa belle, désemparé : déjà la mort s’écoulait dans ses veines ! Funeste malédiction ! Le teint d’Eurydice blêmit à vue d’œil. Son front chaud, qu’il parcourait de ses mains et de langoureux baisers, il le mouilla des larmes de son corps, pour éteindre la fièvre, juguler les poisons, la funèbre oraison, mais, d’un mot silencieux, elle rendit son dernier souffle face à la nue épouvantée.
L’amour d’Orphée était impuissant ! Stérile ! Inutile !
Incapable de conjurer, de ses sentiments, cette malédiction, il sut qu’il ne lui restait que les miracles de la musique, pour espérer à nouveau la revoir un jour, elle, la belle Eurydice, non pas figée dans ses bras, roide et glacée, mais heureuse à nouveau, sa silhouette émouvant les jours et ses iris, au son de ses instruments : elle ne pouvait que vivre, au travers de ce poème vivant.
N’était-il pas touché par les muses ? N’avait-il pas obtenu, par ses talents divins, les grâces infinies d’Apollon ? Il enchanterait de sa lyre les Enfers pour que lui revienne la femme aimée ! Quel dieu resterait insensible à son art ?
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