Battle Tea Party Royale
Le reflet dans le miroir me renvoya mon regard, fixe, imperturbable. D’une main ferme, je dégageais une mèche de mon visage et la replaçais avec le reste de ma chevelure flamboyante, utilisant une épingles pour l’attacher. J’avais les cheveux encore humides, je ne devrais pas trop tarder avant d’aller sous la douche, sinon ce serait un enfer à laver.
Parce que le sang séché, c’est l’horreur. Ça colle, c’est tout poisseux, et quand c’est sec, ça fait des croûtes et des paquets dans les cheveux. Cela dit, l’hémoglobine ne se distinguait pas trop, sur ma crinière rousse. Dire que j’avais pris le soin d’utiliser mon fer pour dessiner de jolies boucles. Je pinçais les lèvres, agacée par ce constat, puis reculait d’un pas pour m’observer un peu mieux.
Si le sang dans les cheveux c’était dégoûtant, mieux valait ne pas m’attarder sur ma robe. En un mot : fichue. Même si je l’avais mise à tremper immédiatement dans de l’eau froide, je n’aurais pas pu faire partir les tâches écarlates qui constellait le tissu encore blanc quelques heures auparavant. Curieusement, j’étais moins dérangée par le sang sur ma robe que dans mes cheveux. Peut-être parce que j’avais abhorrée cette robe dès l’instant où j’avais posé les yeux dessus. Le tissu, immaculé, la coupe, ultra-féminine, les broderies délicates et les minuscules pierres brillantes cousues un peu partout. En l’enfilant, j’avais eu l’impression d’être une minuscule meringue, bien blanche et brillante, toute mignonne et prête à être dégustée.
« Et bien, j’ai toujours préférée les gâteaux à la fraise, de toutes façons. » murmurais-je en lissant les plis de la robe désormais rouge.
Une légère brise secoua les arbres derrière moi, laissant passer un rayon de soleil qui, en rebondissant sur le miroir, m’éblouit et me fit plisser les yeux. Je me détournais des glaces qui avaient été savamment placées un peu partout dans l’immense jardin, et contemplais la scène qui s’offrait sous mes yeux.
Qui aurait cru que cette énième Tea Party se déroulerait de cette façon ?
Une fois encore, j’avais reçu un joli carton d’invitation, avec la même date, le même lieu, les mêmes mots.
Soyez notre invitée pour l’annuelle Tea Party en l’honneur de Cyrse Lancaster
Dimanche, à 15h00
Tenue correcte exigée
Et une fois encore, une boite en carton contenant ma tenue avait accompagnée l’invitation. Parce que Cyrse Lancaster était une « amie d’enfance », j’avais été invitée à ses Tea Party toute ma vie, du moins depuis qu’elle était en âge d’en organiser. Tous les ans, je passais un dimanche absolument infernal : robe blanche, cheveux coiffés d’un nœud -mince, où était passé le nœud dans mes cheveux, d’ailleurs ?- et surtout, bonnes manières. L’évènement était inévitable, dans notre cercle social.
Pour moi, c’était surtout une corvée dont je me serais bien passée. Je détestais ces gens que j’avais dû côtoyer toute ma vie parce que nous étions issus du même milieu. Tous les ans, c’était la même chose.
Sauf cette année.
Qui aurait cru, songeais-je en enjambant un corps, que Cyrse Lancaster s’ennuyait au point de vouloir tous nous tuer ? Cette petite c*nnasse a toujours eu des idées bizarres, et un penchant prononcé pour la cruauté, mais de là à organiser ce genre de choses…
J’avançais lentement au milieu des cadavres, certains plus amochés que d’autres, selon le degré de violence avec laquelle ils avaient été attaqué. Cette année, la Tea Party n’avait été qu’un prétexte pour Cyrse de s’amuser à déterminer qui méritait le plus de faire parti de son cercle d’amis. Pour se faire, elle avait empoisonné les biscuits aux amandes qui accompagnaient son thé, et lorsque les invités avaient joyeusement mordu dans les pâtisseries, elle avait alors annoncé qu’ils étaient tous conviés à s’entre tuer. Elle seule détenait l’antidote au poison qu’elle avait glissé dans les biscuits, et elle seule déterminerait à quel moment la tuerie prendrait fin, et qui serait digne -selon son seul avis- d’être ami avec elle.
Bien sûr, au départ personne ne l’avait prise au sérieux, et des rires avaient secoués l’assemblée. Quelle bonne plaisanterie ! Quelle farceuse, cette Cyrse !
Puis la première victime s’était écroulée, du sang lui sortant des orbites, terrassée par le poison.
Et la réalité avait rattrapé les invités. Cyrse Lancaster, petite peste pourrie gâtée dans son palais d’or et d’argent, s’ennuyait tellement qu’elle avait décidé d’organiser un remake de Battle Royale dans son jardin.
Les premiers coups avaient commencés à pleuvoir, et très rapidement, tout était devenu une arme : de la cruche en cristal utilisée pour fracasser un crâne, à une fourchette à dessert plantée dans la carotide. Ceux qui tombaient sous l’effet du poison étaient les plus chanceux, très vite, la rage, le désir de vivre et surtout, une propension incroyable à l’horreur prirent le dessus sur les sourires de façade et les bonnes manières. Je n’étais même pas surprise. Je marmonnais un juron lorsque le talon de ma chaussure s’enfonça dans une mare de sang, et m’arrêtais au milieu des tables souillée par de l’hémoglobine et des gâteaux écrasés.
Au final, tous ces crétins s’étaient massacrés, certains à mains nues. Et moi, dans tout ça ? Lorsque le chaos avait éclaté, je n’avais pas hésité bien longtemps. Après tout, j’avais grandi avec tous ces gens. J’avais évité les premiers invités qui s’écharpaient comme ils le pouvaient, à coups de poings, d’ongles, ou de petites cuillères, j’avais esquivé les verres qui volaient, j’avais contourné un buisson taillé en forme de cygne et j’avais attrapé une statuette d’angelot.
Puis je m’étais jointe à la tuerie. Ce n’était pas compliqué, les filles avaient beau être hargneuses, les garçons plus costauds, ils étaient tous bien trop occupés à s’en prendre les uns aux autres pour s’occuper de moi. L’amie la plus ancienne de Cyrse. Sa BFF. Celle qui la connaissait depuis le plus longtemps, au point que je faisais pratiquement partie du mobilier. Je les avais laissé se massacrer, les repoussant pour me frayer un chemin, donnant quelques coups si nécessaire, pour aller droit vers ma cible. Du sang m’avait parfois arrosé lorsqu’un couteau était savamment planté dans la chair, une main m’avait vaguement saisi par les cheveux avant d’être purement et simplement tranchée par un couteau à viande -tiens, c’est à ce moment que j’avais dû perdre le nœud qui ornait mes boucles.
Et subitement, le bruit des coups, les hurlements et les pleurs, tout s’était calmé.
Je levais le nez vers le soleil, savourant sa caresse sur mon visage, et fermais les yeux en poussant un soupir de bien-être. Puis je baissais la tête. Cyrse me regardait d’un œil. Littéralement, puisque l’autre jaillissait de son orbite, conséquence de plusieurs coups de statuette. Le premier coup l’avait simplement fait basculer sur le côté, mais le second l’avait fait taire alors qu’elle ouvrait la bouche pour glapir de douleur. Le troisième coup l’avait sévèrement assommé. Quand aux troisième, puis quatrième et cinquième coup, et bien… disons que je m’étais peut-être laissé emporter.
Je contemplais son visage à moitié écrasé, sa cervelle qui dégoulinait d’un trou béant de son crâne, et son poing qui serrait un petit flacon en cristal. L’antidote, très probablement.
D’un coup de talon, j’écrasais le contenant et probablement quelques doigts au passage.
« Je n’ai jamais aimé les biscuits aux amandes, pauvre c*nne. »
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