Conçue à l’insu des regards indiscrets, j’ai vu le jour dans le plus grand des secrets, à une époque où toute mère qui engendrait dans le célibat était montrée du doigt, portant à elle seule le poids de l’opprobre, de l’injustice et de la honte, à fortiori lorsqu’elle était décidée à garder son enfant envers et contre tous.

Dès ma conception j'ai été faite prisonnière d’un secret de famille dont mon géniteur - pour peu qu'il soit encore en vie - et ma mère à ce jour octogénaire, sont les seuls gardiens.

Dès mon plus jeune âge, ma naissance me devint une énigme à résoudre qui perturbera mon évolution et entravera toute ma vie durant ma relation mère-fille.

De ma mère je ne saurai rien, si ce n'est de m'affirmer qu'elle considère qu'elle n'a rien à m'expliquer, que ça ne me regarde pas, que c'est son histoire et non la mienne. Elle a toujours été hermétique à mes souffrances et à mon mal-être, me voyant comme une fille compliquée, juste bonne à faire des histoires.

De ma naissance, je n’en connais encore à ce jour que quelques bribes, révélées çà et là, par les seules personnes liées à ce secret et qui se comptent sur quelques doigts. Lassées de mes incessantes questions au sujet de ma conception, elles levèrent le secret à l'occasion d'un repas de famille, en présence de mon conjoint et de mon fils alors âgé de cinq ans. Persuadées qu’elles commettaient une bonne action, elles avaient juste oublié qu’elles déchargeaient sur mes frêles épaules le poids d’une vengeance qu’elles nourrissaient depuis qu’un lourd contentieux financier les opposait à ma génitrice. Et bien que je leur sois reconnaissante d'avoir osé parler, le fait d'avoir été l'objet d'un règlement de comptes en ajoutera à ma douleur. Malgré tout Je ne leur en tiendrai pas rigueur ; aujourd'hui ces bonnes âmes ne peuvent plus créditer mon propos, car elles ont malheureusement entrepris ce long voyage dont on ne revient pas.

Cette révélation inattendue, aura des répercussions significatives sur mon équilibre et mes choix de vie. Ce père, que je croyais biologique, devînt père adoptif, mon frère un demi-frère et moi une bâtarde, une enfant illégitime ! Mon monde s'écroulait ! Je pris soudain conscience que je n'étais que le pur produit de ce qu'ils voulaient que je sois, c'est dire à leur image, alors que je me sentais au fond de moi si différente.

Tout prenait sa place, et je connaissais enfin la mienne, celle d'une bâtarde !

Cette révélation fut la réponse à mes nombreux questionnements sur toutes les maltraitances physiques et psychologiques que je subissais, le désamour persistant qui m’affligeait. Rien de ce que je n'ai pu faire ou dire, n’a trouvé grâce aux yeux de ces parents indélicats ! Et pourtant je me suis fait mal à vouloir plaire, à vouloir juste être aimée, persuadée qu’il ne pouvait en être autrement ! J’ai fait des choix audacieux, risqués, qui ne me correspondaient pas, mais dont j’étais convaincue qu’ils étaient "la solution" pour attirer leur attention, attiser leur amour filial, aiguiser leur fierté parentale d’avoir une fille telle que moi ! Je me suis mise en danger à faire du sport pour lequel je n'avais aucune aptitude, je me suis malmenée entre travail et études, mon corps douloureux, marqué par des blessures occasionnées par des chutes à répétition, me le rappelle chaque jour qui passe. Mais je n'étais jamais assez ceci, jamais assez cela, trop grosse, trop moche, trop bête, abaissée, moquée, asservie, juste bonne à devenir une grosse « dondon » et avoir une « tripotée » de gamins qui me collerait aux basques.

Bien sûr il n’en sera rien, poursuivie par l’idée que cela pourrait bien m’arriver !

C'est donc à 30 ans après cette descente aux enfers, que je m'éveille au monde, un monde qui va me permettre de découvrir mon devenir, celui qui bouillonne en moi, celui qui a été muselé depuis si longtemps.