3 - Père ---- beau-père ?

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Cet homme, que j'appellerai René, je l'ai aimé comme un père même s'il n'était pas souvent à la maison et même s'il m'assenait des raclées. Il avait repris l'entreprise familiale et se retrouvait à gérer une cavalerie de poids lourds. Lui-même en conduisait un. Il partait tôt le matin, souvent avant que je ne sois levée, et pouvait rentrer tard le soir, souvent après le dîner. Je n'ai pas le souvenir d'avoir été prise dans ses bras, ou de m'être assise sur ses genoux pour un câlin. Avec ma mère ils n'étaient pas du genre démonstratif, et lui particulièrement tenait ses distances aussi bien avec moi qu'avec mon frère, son propre fils. Il se plaisait à rapporter les ragots qu'il avait entendu dans la journée ou qu'on lui avait confié. Il était plus au courant de ce qui se passait chez les autres que ce qu'il se passait dans son propre foyer. Le travail était sa principale occupation et le dimanche, en période de chasse, il allait parcourir les marais avec son canidé. De temps à autre, en dehors de cette période il nous emmenait faire une promenade dominicale et je ne faisais partie du convoi que si je n'avais pas été punie. Ancien joueur de rugby, doté d'un physique de sportif, fort comme un roc il aimait les bagarres, boire des coups, et faire des exhibitions acrobatiques comme le saut périlleux et d'autres exercices de ce genre. J'en étais émerveillée et pour gagner son attention et son affection je m'infligeais un entraînement draconien. Sinon que, n'ayant ni ses qualités, ni son don pour ce genre de prouesses, il me fallait faire beaucoup d'efforts, me relever de beaucoup de chutes douloureuses, me remettre de fractures et d'entorses, pour au final en arriver à presque rien et je pense qu'il en a été profondément déçu. Comme j'étais plus attirée et aussi plus douée pour la natation, je m'entraînais d'arrache- pied, en autodidacte à la piscine municipale de la ville voisine dans l'espoir de pouvoir intégrer le club de natation car je rêvais de compétitions. Je suivais ces entraînements de plus de deux heures par semaine, avalant 40 kms en bassin de cinquante mètres, le samedi après-midi, après mes cours, ce qui surchargeait mes semaines car je devais me débrouiller par mes propres moyens pour me rendre au centre nautique et en revenir. Chargée de mes effets scolaires et sportifs, je devais souvent courir, chargée comme une mule, pour ne pas rater mes correspondances ferroviaires. Je n'ai jamais été inscrite au club de natation au motif que ce n'est pas ce qui me mettrait un beefsteak dans l'assiette. Ce en quoi il n'avait peut-être pas tout à fait tort, mais çà je ne le saurai jamais.

Je pense sincèrement que cet homme a eu de l'affection pour moi. J'aurais aimée qu'il me le dise et qu'il soit plus présent à mes côtés. A un certain moment de ma vie d'adolescente je m'étais convaincue qu'en fait il m'aimait bien, il s'était mis à décliner mes qualités à qui voulait bien l'entendre, du style : courageuse, travailleuse, volontaire... Sans être trop douée, j'étais plus intrépide que mon demi frère, tenace et audacieuse, et ça lui plaisait bien. Malheureusement cela ne dura pas longtemps, car ma mère fit le nécessaire pour détourner son attention. Elle sut lui rappeler qui était qui...je n'étais qu'une pièce rapportée, et çà il ne fallait pas l’oublier ! !

Les scènes de ménages étaient récurrentes. La violence de leurs échanges laissera des traces dans nos mémoires d'enfants. Je me souviens plus particulièrement de cette fois où je suis intervenue pour les séparer tant les cris et le bruit de la vaisselle brisée nous a fait craindre le pire à nous les enfants. Mon demi-frère avait alors une dizaine d'années ; terrifié, il s'était tapi, tremblant de peur, dans un coin de la chambre. C'est alors que je décidais d'intervenir et de tenter d'apaiser nos parents. Ma mère me fit une volte-face violente et munie d'un couteau elle me coursa jusque dans la chambre ou je me m'étais réfugiée aux côtés de mon petit frère terrorisé. Cela n'ira pas plus loin, mais cette image restera gravée dans nos mémoires d'enfant et lorsque nous nous retrouverons en tant qu'adultes, bien des années plus tard, c'est une des premières choses que mon demi frère évoquera.

René était un séducteur et entretenait des relations extra-conjugales, Ma mère le savait et en souffrait. Elle lui en fera souvent le reproche, malgré tout elle ne le quittera pas, car sans lui que serait-elle devenue ? Elle travaillait gratuitement en tant que secrétaire comptable pour l'entreprise. C'est elle qui prenait les décisions importantes pour toutes les affaires courantes, tant pour l'entreprise que pour le ménage. Pour cela elle était avisée et entreprenante. Le paraître sera l'élément moteur de ses choix de vie et René, pour se donner bonne conscience et avoir la paix, abondera en son sens. C'est ainsi qu'elle put mener une vie matérielle relativement satisfaisante. Mais à quel prix !

René ne se remettra jamais en question. Avec les années, lui aussi devint dépendant de ma mère, car, à par travailler, il n'est pas autonome, ni pour se nourrir, ni pour se soigner, ni pour gérer l'administratif et encore moins les aspects financiers du ménage et tout ce qui peut toucher à la qualité de leur vie. Il travaillera jusqu'à ses 87 ans, non par besoin, mais parce que c'est la seule chose qu'il sait faire et aussi le seul endroit où il trouve un peu de liberté d'être.

Lorsqu'il apprit que j'étais enceinte et qu'il fallait me marier, il ne dit rien, sortit une bouteille de cognac et en but une longue lampée. Mon futur mari avait l'air de bien lui convenir, autant par ses origines d'homme de la terre, que par sa réputation de travailleur, de bagarreur et de chasseur !

C'est à son bras, affichant un sourire radieux sur son visage, que je me rendrai à l'autel, le jour de mon mariage.

J'entrai dans ma vie de femme. Ma situation allait changer.

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