L'arc-en-barbe
Le matin luit. Mes yeux clos perçoivent à peine la lumière diffuse qui filtre entre les volets mais ma journée a déjà commencé bien avant, aux effluves de la rosée qui filtre à la fenêtre. Lotie dans la chaleur du pain doré, j’hume sa levure qui monte doucement, qui s’emmêle en petits fils noirs et clairs à mes cils immobiles. Un souffle vient balayer le réconfort du levain pour me saluer de notes de bergamote qui m’emmènent devant un bol de thé, en plein hiver quand crépite la cheminée. Ta respiration force un mouvement, un coup de vent ; une forêt de fougères tapies dans l’ombre de hauts chênes moussus que j’explore à petits pas, craintive et confiante à la fois. J’effleure la douceur rêche de ces troncs dessinant sous mes doigts les ombres d’un bûcheron que tu n’es pas.
Une touche de vanille m’envole d’un coup à bord d’un nuage miel de lavande qui se gorge de minuscules grains de cassis avant de fondre doucement en pluie légère, légère comme la brise de ton souffle qui effleure le mien. C’est une éclosion de petits grains de poivres qui vient tapisser mon esprit alors que je goûte leur parfum sur ta peau tendre, tendre à m’attendre, tendre palissandre. Aussitôt, mon voyage reprend dans les entrelacs de ce tapis qui me chatouille les narines, et je comprends Baudelaire qui traversait des hémisphères sur les tresses épaisses de son spleen parisien[1] . Mais moi, c’est sur l’humus de tes broussailles que je voyage ; ton lit d’ébènes que je me tresse moi-même dans tes boucles parfumées encore des baisers dont tu honorais ma nuit. Mes rêves sont tissés de tes senteurs où je me suis assoupie. C’est alors que je me prends à penser : il y a des odeurs qui nous marquent à jamais, qui nous suivent, qui nous collent à la peau comme un vêtement usé qu’on oublierait d’ôter.
Tu es de celles-là.
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