Chapitre 4
J’ai commencé le travail à huit neuf heures ce matin. Je suis arrivée un peu en avance, ce qui est contraire à mes habitudes de retardataire endurcie, motivée par l’envie de retrouver ma bague au plus vite.
Il n’y a que peu de clients qui s’arrêtent à la petite épicerie où je suis caissière pour l’été et je laisse vagabonder mes pensées en regardant par la porte coulissante en verre. Le Soleil brille à l’extérieur et les passants hâtent le pas pour se protéger de ses rayons. On nous a annoncé une canicule pour la fin de la semaine et la température a déjà sensiblement augmenté. Heureusement que le magasin est équipé d’un climatiseur.
Un raclement de gorge me tire de mes rêveries. Un homme d’une quarantaine d’années se tient devant moi en short et claquettes et tourne régulièrement la tête vers sa voiture garée dehors, impatient de me voir scanner le contenu de son panier méthodiquement aligné sur le comptoir.
Je lui souris et m’active en silence. Vu l’arc de ses sourcils, il n’a pas envie de bavarder comme les quelques touristes de passage ou les retraités habitués de l’échoppe. Lorsqu’il passe le portique je lui souhaite tout de même une bonne journée auquel il ne daigne pas répondre. Je soupire et grommelle dans ma barbe. Mince ce n’est pas si compliqué d’être poli, et puis ce n’est pas pour le temps que ça prend de dire au revoir.
Un rire chaleureux et familier retentit derrière moi.
- Coucou ma belle ! s’exclame Camila dans un éclat de joie. Ne sois pas si bougon, c’est juste un con. Comment tu vas ?
Je contourne la desserte pour la rejoindre dans l’allée et l’embrasse sur la joue. Nous papotons gaiement dans le magasin désert jusqu’à ce que la clochette annonce l’arrivée d’un nouveau client. Je retourne à mon poste en un claquement de doigts et revêt le masque de la parfaite professionnelle que je suis pour saluer la nouvelle venue.
Estelle se tient sur le seuil de la porte, juste devant le capteur qui l’empêche de se refermer, les mains sur les hanches.
- Ah ! Je comprends mieux pourquoi tu es en retard, s’écrie-t-elle.
Un rapide coup d’œil à l’ordinateur m’informe que j’aurais dû fermer le magasin il y a déjà neuf minutes.
Je compte rapidement l’argent dans la caisse, verrouille la session et active l’alarme en sortant de la boutique. Dès l’instant où Estelle est apparue, toutes mes pensées n’ont été dirigées que vers la bague qu’elle est censée m’apporter. J’ai à peine remarqué ce que je faisais.
Je les suis sans prêter la moindre attention au monde qui m’entoure. Je suis certaine que ma bague se cache dans la poche droite de son short en jeans. Elle m’indique une chaise où m’assoir. Je m’exécute. L’attente a assez duré. Le brouillard s’épaissit autour de moi. Je sens sa présence, elle est toute proche, elle m’appelle. Où es-tu ? Je t’attends, je suis là, juste pour toi. Tout est flou. L’arôme des fleurs, le fumet des cuisines, le parfum des personnes avoisinantes… Les odeurs s’entremêlent, indissociables et lointaines. La chaleur de l’été et la fraîcheur d’un ventilateur courent sur ma peau sans que je les perçoive. Le brouhaha de la rue, la musique du café, les discussions environnantes… Les sons s’entrechoquent et parviennent à mes oreilles étouffés et indistincts. Ma bague est là. Combien de temps encore avant que je puisse la tenir entre mes mains ?
L’air dans mes poumons s’alourdit et devient poisseux. L’attente est tangible, palpable. Je la veux. Je l’aurai. Je ne repartirai pas sans elle.
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