Le radeau de la méduse
Au début tu n'entends que son sifflement au loin, l'amusant radeau de fortune, peinant derrière l'éternelle jeunesse. Il avale l'écume, boit les tasses, péniblement. Nous, on était là à s'en moquer, regarde le couler, tu le vois? il nous rattrapera jamais.
Biensûr que non, tu es trop loin.
Tu as le vent dans le dos, comme ce foutu radeau, mais rien ne t'effraie, non rien, chaque jour qui se lève est pour toi la suite d'une aventure épique, peu importe le commencement ni même la fin, ce qui compte c'est que tu puisses rêver. Les après midi consumées au soleil et les pieds joints dans les flaques, des éclaboussures de vie, celle qui semble se manifester par fragment dans les yeux des adultes qui s'avouent vaincus, leur regard qui s'éssoufle quand tu cours sans jamais te retourner, pour aller te percher sur un mur d'école où bien dans le creux des mains des filles. Dans le creux des mains des filles, des grains de sable, écrins fendus bien trop sacrés. Elles te happent et puis se fanent. Tu contemples la rosée couler sur leur douces pétales rouges, ces joyaux qui scintillent et que tu bois jusqu'à l'ivresse. Et puis viennent les nuits d'automne. Tombent les feuilles. Naissent les angoisses. Tu as la gorge sèche, tu as le vent dans le dos, il est froid, tout comme l'ombre des nuages qui cachent derrière toi le radeau. Le sifflement ne te lâche plus désormais, le vent chuchote ses menaces, tu le fais taire avec des feux, quelques artifices, et ris de lui avec tes amis dans les profondeurs abyssales des nuits brûlées à l'absinte. Mais il se repointe au reveil, plus fidèle encore que l'ami, le foutu radeau, les doutes flottant vers tes stagnantes gueules de bois. Alors pour apaiser tes craintes tu t'éprends enfin d'une fleur, elle est sauvage comme l'aurore et à tes yeux, elle semble être l'unique, les siens brillent comme des lanternes. Elle rend tes nuits édulcorées et nappe les matins de silence, tu te sens moins un fugitif, en compagnie de ta Bonnie, elle couvre l'écho de tes démons, te donne la main pour avancer.
Jusqu'à ce qu'elle aussi s'éssoufle.
Elle te demande de s'arrêter, pour respirer tout l'horizon, elle te le dit avec les yeux. Tu lui dis oui, avec ton coeur, mais pense non, avec raison. Tu t'initie à toutes ces choses qui font des autres ce qu'ils sont, tu tiens la barre sur ce long fleuve aux reflets clairs et endormis, tu en à l'âge, comme le bon vin, où comme cet homme qui sait l'apprécier, a dit un jour l'homme que tu étais sensé devenir, celui que tu es devenu. Et tu cherches un sens à ta vie. Il y en a qu'un, assurément. Au début tu n'entends qu'un sifflement au loin, l'amusant radeau de fortune, peinant derrière l'éternelle jeunesse. Aujourd'hui, il avale les secondes et boit les souvenirs. Nous, on était là à s'en moquer, regarde le couler, tu le vois? Il nous rattrapera jamais.
Bien-sûr que si.
Il te transporte.
Toi.
Moi.
Notre léthargie.
Nous achemine.
Vers les vastes étendues de sable.
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