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Le premier jour, Méline fut envoyée dans les appartements de la princesse Célénia. Sur le chemin, elle ne cessait de se demander ce qui poussait les parents de la future promise à la cacher du monde extérieur. Ce devait être une bien belle femme pour qu’ils aient si peur que les hommes la rencontrent.

En entrant dans la chambre, le plateau repas dans les mains, Méline découvrit la princesse. Sous la surprise, elle faillit crier à l’imposture. Célénia était laide. Bien que la beauté soit subjective, il y avait peu de place à la méprise. Son visage était couvert de pustules, et ses cheveux châtains étaient fourchus. Son nez, aquilin, était comme couvert d’écailles et toute une partie de sa joue droite était brûlée. Un cri s’échappa de la jeune cuisinière, qui se demanda si elle devait ou non s’enfuir en courant. Cependant, Célénia lui ordonna de rester, droite comme un pique, afin qu’elle ait son dû. Au-delà de sa laideur, elle était méprisante, hautaine. Elle recracha la part de gâteau de mariage, exigeant qu’ils en fassent un autre.

Le jour suivant, Méline revint avec une autre pâtisserie, aux fruits des bois, préparée par ses soins. Célénia, méfiante, ingurgita une part puis fit une grimace de dégoût monstrueuse. Epuisée à la tâche, Méline ne pipa mot et retourna en cuisine, abattue. Amaury, ne comprenant pas la raison de son retour aussi rapide, décida de goûter à son tour le gâteau. Il fut si conquis qu’il demanda à tout le personnel de prendre une portion. Alors, les flots de larmes qui coulaient sur les joues de Méline se tarirent.

Le jour d’après, Méline retourna voir Célénia. Cette fois-ci, elle avait cuisiné une recette inédite, sur laquelle elle avait travaillé toute la nuit. L’espoir dans ses yeux s’éteignit lorsque la princesse refusa à nouveau de terminer la part de gâteau. Habituellement si gentille et si douce, Méline qui croulait sous la fatigue s’emporta :

« Que dois-je faire, Votre Altesse, vous qui n’êtes jamais satisfaite ?! » s'écria-t-elle, regrettant aussi vite ses paroles.

Voilà qu’il en était terminé de sa vie. Méline allait être pendue pour avoir prononcé de tels mots ! Au lieu de cela, Célénia soupira et ordonna à la cuisinière de cesser de se complaindre en excuses.

« Je n’ai pas pour habitude de voir du monde, je suis enfermée ici depuis ma naissance. » poursuivit-t-elle.

Compatissante, Méline ne répondit pas. Elle qui avait été dans une tour durant sept ans, elle était à même de la comprendre.

« Tu es si belle, reprit la future mariée. J’ai prié des mois entiers pour avoir un visage tel que le tien ! La jalousie est un sentiment qui aveugle, je te prie de me pardonner. »

Etonnée, Méline se contenta de hocher la tête, puis se retira de la chambre royale.

Le soir qui suivit, sa joie était immense. Amaury, heureux de voir sa cuisinière d’une telle humeur, l’emmena sur les toits. Là-haut, ils pouvaient voir toutes les étoiles illuminer le ciel, surplombées de la lune en croissant. Bien qu’elle était aux côtés d’un jeune homme profondément gentil et bienveillant, ses pensées volaient jusqu’au prince Louis. Son cœur, battant la chamade pour cet homme qui n’était réel que dans son souvenir, elle ne remarqua pas les yeux d’Amaury se poser sur elle avec douceur.

Le quatrième jour, Méline se leva en chantant. Elle avait fait la connaissance d’une veille femme au marché du village. Celle-ci avait été cuisinière pour la famille royale quelques années auparavant et lui avait fait part d’un secret. D’un pas dansant, ayant préparé le gâteau toute la matinée, elle s’était rendue dans la chambre de Célénia, cette fois-ci sûre de son coup. Celle-ci, le met en bouche, s’illumina, comme si elle était redevenue une petite fille.

« Comment as-tu deviné ? demanda-t-elle. C’était ma pâtisserie favorite étant enfant ! »

Conquise, elle accepta que Méline en fasse le gâteau de mariage final. Alors, les larmes aux yeux, Célénia se confia :

« Voilà plus d’un mois que je converse avec Louis de Cherbourg. Je ne connais pas encore son visage, mais j’en suis folle amoureuse ! Il manie les mots comme un poète, il fait chavirer mon cœur à chacune de ses phrases. »

A l’entente de ce prénom qui lui était si familier, Méline resta interdite. Célénia allait se marier avec le prince Louis, cet homme pour lequel son père l’avait fait enfermer. Bouleversée, elle pleura toute la nuit, le coeur meurtrit.

Le dernier jour, celui du mariage, Méline, la mine triste, se rendit pour la dernière fois dans les appartements royaux. Célénia avait été de plus en plus gentille avec elle, voilà qu’elle allait être mariée avec l’homme de ses pensées ! La cheville souffrante, la princesse était restée dans son lit toute la matinée.

« J’ai un dernier service à te demander, implora Célénia. Je ne peux pas me rendre à l’hôtel, il faut que tu me remplaces. »

Naturellement, Méline refusa. Que se passerait-il si Louis la reconnaissait ? Avoir un nouveau nom et passer inaperçu aux yeux des villageois était une chose, mais officialiser un mariage qui n'était pas le sien en était un autre.

« Votre Altesse, c’est un honneur qui ne m’est pas dû. »

Célénia insista : « Tu es bien plus belle que moi. Si le prince Louis me voit ainsi, il refusera le mariage. Et je l’aime ! Je l’aime ! »

Face à la tristesse profonde de la future mariée, Méline finit par céder. Son esprit, qui lui criait de ne pas le faire, était couvert par le son du coeur. Elle allait enfin revoir ce prince qu'elle aimait tant, combien de fois avait-elle rêvé d'une journée à son bras ?

« Bien, dit-elle. Mais une fois le mariage prononcé, je retournerai en cuisine, et vous n’entendrez plus parler de moi. »

Célénia hocha la tête, renvoyant Méline à la tâche.

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