Chapitre 15
Anna et moi sommes assis sur le sol, adossés au mur. Nos respirations s’entremêlent, encore haletantes. Devant nous, les corps des trois types gisent, immobiles, dans le couloir. C’est d’un silence inquiétant, juste perturbé par nos souffles et les murmures incessants de mon double dans ma tête.
– Il va falloir nettoyer avant que quelqu’un sorte de chez lui, dit Anna, la voix tremblante.
Je hoche la tête, mon regard balayant les corps allongés. Une partie de moi réalise que chaque seconde compte, mais je suis comme figé. Mon double se manifeste avec son sarcasme habituel :
– Alors Hank, tu te sens dans la peau d’un expert en nettoyage de scènes de crime maintenant ?
Un sourire nerveux me traverse, malgré la situation. Anna m’observe, et dans ses yeux, je vois une lueur de panique mêlée de détermination.
– Bon, écoute… je vais gérer. je vais rentrer les corps en attendant de trouver une solution.
Elle acquiesce, se redressant doucement, toujours enveloppée dans sa couverture. Elle regarde un instant les corps, secouant la tête comme pour comprendre l’absurdité de la situation.
– Comment est-ce qu’on a pu en arriver là… murmure-t-elle.
Je ne réponds pas. Je me concentre juste à remettre mon jean. Mon esprit, lui, s’active déjà, cherchant à anticiper la suite. Mon double ricane dans un coin de ma tête.
– Avoue que si t’avais su, tu serais resté dans ta ruelle, bien au chaud, plutôt que de te jeter dans cette galère.
Je l’ignore, me lève et m’efforce de rester lucide, de faire abstraction de son ironie. Il faut réfléchir vite, planifier chaque geste. On n’a pas le droit à l’erreur. Cette nuit chaotique doit rester notre secret, coûte que coûte.
Je tire les corps un à un dans l’appartement, m’efforçant de les déplacer sans bruit. Mon dos craque à chaque mouvement, et mes bras me semblent de plomb, mais je m’accroche. Anna reste près de la porte, l’air tendu, guettant le moindre son dans le couloir.
Je m’attaque aux flaques de sang. Heureusement, le carrelage des communs rend les choses un peu plus faciles. Un seau d’eau, une éponge, et je frotte méthodiquement, cherchant à effacer chaque trace. Sur les murs, le bois laqué facilite aussi les choses : pas de joints, pas de porosité, juste quelques éclaboussures à essuyer.
Mon double se manifeste encore, son ton mi-amusé, mi-sarcastique :
– Impressionnant. Tu as raté ta vocation, Hank. Nettoyeur de scènes de crime, c’est pile dans tes cordes.
Je l’ignore, me concentrant sur la tâche. L’odeur métallique du sang, mêlée à celle des produits de nettoyage, me donne la nausée. Mais il faut continuer. Anna vient vers moi, sa couverture serrée autour d’elle, et pose doucement une main sur mon épaule.
– Merci… murmure-t-elle.
Je lui lance un bref regard. Dans ses yeux, je vois de la reconnaissance, mais aussi une peur qui la rend fragile.
– C’est rien, dis-je, presque automatiquement. Faut juste que je finisse avant que quelqu’un ne sorte de chez lui.
Elle acquiesce, et je me remets à la tâche, avec une concentration féroce, bien décidé à laisser derrière nous le moins de traces possible.
Mon double ricane, sa voix froide résonne dans ma tête :
– Peut-être qu’on ne devrait pas traîner dans le coin. Une chambre d’hôtel, ça te dit pas ?
Il n’a pas tort. Ce petit carnage va vite attirer l’attention si on ne prend pas les devants. Je me penche sur les corps, fouillant leurs poches avec méthode, sans perdre de temps. Un trousseau de clés finit par apparaître. Parfait. Il y a sûrement une voiture quelque part. De quoi nous faire la malle discrètement.
Je récupère leurs armes, vérifie les chargeurs et les tends à Anna, en lui désignant un sac.
– Mets ça là-dedans, et prépare-toi une valise. On part avant que quelqu’un vienne vérifier si le boulot est fait.
Elle hoche la tête sans un mot, disparaissant rapidement dans la chambre pour récupérer ses affaires. Pendant ce temps, je peaufine le plan. Prendre la voiture des mercenaires, laisser celle d’Anna ici. Si quelqu’un revient pour jeter un œil, il verra que leur voiture a disparu. Avec un peu de chance, ça les laissera penser qu’ils ont rempli leur mission et que tout est sous contrôle. Ça pourrait nous donner le temps de prendre un peu d’avance.
Anna revient, un sac à la main, les yeux encore un peu hagards, mais elle tient bon. La fatigue commence à peser sur mes épaules, et la nuit nous paraît à tous deux interminable.
Mon double en rajoute, un sourire dans la voix :
– Allez, tiens le coup. Je voudrais bien que tu survives jusqu’au lever du soleil, au moins.
Un bref sourire me traverse, sombre et ironique. Oui, on va essayer de s’en sortir. Mais on va devoir faire vite.
Je me tourne vers Anna, un demi-sourire en coin.
– Tu connais un hôtel pas trop classe dans le coin ? Discret, sans trop de questions, tu vois le genre.
Elle me regarde, l’air un peu perplexe, mais elle acquiesce.
– Oui, y’en a un pas loin, le genre où personne ne pose de questions tant que tu payes en liquide.
Parfait. Justement ce qu’il nous faut.
– On ne va pas garer la voiture près de l’hôtel, dis-je à Anna en fermant le sac de vêtements qu’elle a rapidement jetés ensemble. Histoire de brouiller les pistes encore un peu.
Elle hoche la tête, absorbée par le plan, mais dans ma tête, mon double siffle de surprise.
– Eh bien, mon gars, tu prends toutes les précautions, là… C’est à se demander si t’as pas trempé dans des affaires louches avant de tout oublier.
Il ricane, moqueur mais presque impressionné, alors que je vérifie une dernière fois la pièce. Plus ça va, plus il me découvre sous un angle qu’il n’avait pas prévu, et je dois avouer que moi non plus.
– Ouais, je commence à me le demander aussi, murmuré-je, un sourire en coin.
Anna me lance un regard intrigué en fermant la fermeture de sa valise.
– Tu parles tout seul ? Franchement, va falloir que je m’y fasse… ou que j’arrête d’essayer, dit-elle avec un petit rire nerveux.
Je hausse les épaules, à moitié amusé, à moitié résigné. Mon double en profite pour intervenir :
– Ah, t’inquiète, chérie, il a de la conversation, lui au moins.
Mon double ricane aussitôt, piquant là où il sait que ça va faire mouche.
– “Chérie” ? Alors là, bravo, mon vieux. Tu t’attaches, hein ? Ou bien t’es déjà prêt pour les surnoms mielleux ? C’est touchant. T’as vu comme elle a souri quand tu l’as dit ? C’est adorable, vraiment. Toi, l’amnésique romantique.
Je roule des yeux, bien conscient que ce petit jeu pourrait l’amuser toute la nuit. Je soupire en silence, laissant couler. Anna, elle, ne se doute de rien, occupée à glisser quelques affaires supplémentaires dans sa valise. Elle esquisse encore un petit sourire en coin, visiblement amusée sans savoir que je me fais constamment juger par mon propre esprit.
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