Chapitre 3

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Je reste accroupi, dos au mur, les mains vides, quand soudain, des éclats de rire percent le silence de la nuit. Je tends l’oreille. Ils sont tout près, dehors, juste devant la porte.

— T’as vu comment il a détalé, sérieux ? s’esclaffe une voix féminine. On dirait qu’on a surpris un pauvre type qui faisait ses petites affaires.

— Non mais t’imagines ? reprend une autre voix, masculine cette fois, entre deux rires. Un clochard en pleine action… franchement, c’est trop !

Un autre éclat de rire. J’entends une deuxième femme pouffer et dire :

— Mais, attends, t’es sûre que c’était pas juste un mec complètement bourré ? Le pauvre, il devait être trop gêné pour rester.

— Bah, dans son état, il s’en rappellera même pas demain matin ! ricane le gars. Sérieux, c’était bien fait pour lui.

Je reste figé, sentant mon visage s’empourprer de honte et de rage mêlées.

— Sérieusement, là ? ils me prennent pour un clodo en train de se… se tripoter ? je murmure, outré.

— Eh ouais, Hank, lance mon double, hilare dans ma tête. Les voilà, les témoins de ta grande évasion ! Ça te fait quoi d’être pris pour un pauvre type en pleine crise de solitude ?

— La ferme ! je siffle entre mes dents.

Je me mords la lèvre, hésitant entre sortir et leur crier dessus, ou me terrer encore un peu plus pour éviter d’ajouter l'humiliation à mon amnésie. Non, c’est pas vrai… D’abord le mal de crâne, puis aucune idée de qui je suis, et maintenant ces gens qui se foutent de moi comme si j’étais un déchet humain.

Je les entends s’éloigner, toujours en riant, leurs pas résonnant dans la ruelle jusqu’à disparaître. Le silence retombe enfin.

Je soupire, abattu.

— T’as vraiment atteint le sommet de la dignité, Hank, me murmure mon double, se retenant à peine de rire.

Je sors lentement de ma cachette, jetant des coups d’œil rapides dans toutes les directions. Il fait noir, mais ça ne veut pas dire qu’ils ne sont pas encore dans les parages.

Je rabats la capuche de mon hoodie trempé sur ma tête, essayant de me faire le plus discret possible. L’odeur de la rue se mélange à celle, moins agréable, de mon sweat humide et poisseux.

— Ok, allons-y… me souffle mon double, comme une petite voix dans ma tête. Remonte la rue, là d’où t’es venu. Peut-être qu’il y a encore quelque chose, un indice, un miracle…

Je commence à avancer en silence, me forçant à ne pas trop boiter malgré la douleur qui pulse dans mes jambes et mes côtes. À chaque pas, j’ai l’impression de réveiller un autre point de douleur.

— Bordel, qu’est-ce qui m’est arrivé ? je murmure en marchant.

— Tu veux vraiment que je te rappel que tu t’es fait tabasser, génie, me répond mon double, sarcastique. T’as vu l’état de ta gueule ?

Je serre les dents, essayant d’ignorer les taches de sang qui tachent ma capuche et le col de mon hoodie. Après quelques mètres, j’aperçois le trottoir où j’ai repris conscience il y a à peine quelques minutes. Rien de particulier ne saute aux yeux.

Je m’approche de la vitrine sale du vieux magasin fermé, dont les reflets distordus me renvoient maintenant l’image d’un étranger en capuche. Je me penche, observant les reflets des rues autour de moi, puis je me fixe un instant. Mon visage est en piteux état, le sang séché autour de ma bouche et de mon nez, des égratignures sur la joue.

— Eh bien, mon pote, t’as vraiment une tête de vainqueur… ironise mon double.

Je me penche un peu plus pour inspecter le sol autour de moi, et c’est là que je le vois. Un paquet de cigarettes, à moitié écrasé, gisant sur le trottoir. Je le ramasse avec précaution. Le carton est froissé, mais quand je l’ouvre, je découvre qu’il reste encore pas mal de clopes à l’intérieur. Miracle, je n’ai pas tout perdu.

Un peu plus loin, dans une flaque d’eau, je repère un briquet, un modèle basique, tout bleu et un peu rayé. Je le ramasse, l’essuie du mieux que je peux avec la manche de mon hoodie trempé.

— Ah… peut-être que t’as refusé une clope à quelqu’un, plaisante mon double, toujours aussi sarcastique. Genre, un mec qui n’a pas trop aimé ton attitude de « grand fumeur solo ».

Je lève les yeux au ciel. Ce double-là, il a vraiment le chic pour en rajouter.

— Sérieux, tu crois que c’est pour ça que je me suis fait éclater la gueule ? Juste pour une clope ?

Eh, va savoir. Dans ce monde, les gens se tapent dessus pour moins que ça, ricane-t-il. Peut-être que t’étais pas d’humeur sociale, et que quelqu’un l’a pris personnellement.

Je soupire, glissant le paquet de cigarettes dans ma poche, puis j’hésite une seconde avant d’en sortir une. Après tout, si je me retrouve dans cet état pour une clope, autant en profiter. J’allume la cigarette, tirant une longue bouffée qui me brûle la gorge.

Hé bien, t’es vraiment un malin, Hank. Fumer en pleine nuit, dans une ruelle sombre, tout seul et amnésique. Ça, c’est un vrai plan de survie, ironise mon double en se moquant.

Je souffle la fumée avec un mélange de soulagement et de frustration.

Alors que je suis en train de tirer sur ma clope, essayant de calmer ce qui reste de mes nerfs, un faisceau de lumière me frappe en plein visage. Je plisse les yeux, aveuglé par des phares, braqués sur moi comme ceux d’une scène de crime.

— Oh, génial, marmonné-je en reculant d’un pas.

La voiture, une vieille caisse au look défoncé, immobile. Puis, d’un coup, le moteur rugit, comme si le conducteur voulait me montrer de quoi elle est capable. Le bruit est assourdissant dans la rue déserte, chaque vrombissement résonnant jusque dans mes os.

Eh ben, on dirait que t’as tapé dans l’œil de quelqu’un, murmure mon double avec un petit rire nerveux. Fais gaffe, mec, c’est peut-être pas l’accueil que t’espérais.

Je me tiens là, pétrifié, en train de cligner des yeux dans la lumière, une main devant mon visage pour atténuer un peu l’éblouissement, l'autre tenant ma clope près de mes lèvres pour tirer une taf à n'importe quel moment. Le conducteur continue de faire hurler le moteur, comme s’il attendait quelque chose de moi. Comme s’il voulait me faire flipper — et, honnêtement, ça marche plutôt bien.

Bon, qu’est-ce que tu fais ? Tu restes planté là comme un lapin pris dans les phares, ou tu cours ? me souffle mon double.

Je sens mon cœur s’emballer. Les phares me dévisagent, le moteur gronde, et je n’ai aucune idée de ce que je suis censé faire. Je reste planté là, les jambes comme figées dans le bitume, la clope tremblante entre mes doigts. J’ai l’impression d’être une biche apeurée, prise en pleine lumière, incapable de bouger.

— Mais qu’est-ce que je fous, là ? je murmure pour moi-même.

Mon double, toujours aussi « encourageant », ricane dans ma tête.

Bah, peut-être qu’avec la tronche que t’as, c’est eux qui vont flipper en s’approchant.

Je hoche la tête d’un air nerveux, comme si ça avait du sens. Après tout, vu l’état de ma gueule et le sang séché sur mon visage, je dois vraiment avoir l’air d’un type sorti d’un film d’horreur.

Les phares continuent de me fixer, et le moteur s’emballe encore, crachant une fumée noire par le pot d’échappement. Ça me vrille les oreilles, mais je reste figé, espérant que mon air de zombie ensanglanté va les dissuader de s’approcher plus.

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