Chapitre 12

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Quand j’ouvre les yeux, la première chose que je remarque, c’est le poids léger du drap qui me recouvre, juste assez pour préserver un semblant de pudeur. Anna est blottie contre moi, son souffle régulier, et une partie de son épaule dénudée repose contre mon torse. Mon regard glisse le long de mon propre corps, et quelque chose m’interpelle.

Mes mains, un peu tremblantes, suivent les contours d’anciennes cicatrices que je n’avais pas remarquées avant. Elles dessinent des chemins sur ma peau, des sillons laissés par des sutures et des coups qui ont marqué ma chair. C’est comme si ce corps, cet assemblage de muscles durs et de cicatrices, ne m’appartenait pas vraiment.

Tu devrais être fier, tu ressembles à une sorte de guerrier. Ça plaît aux femmes, ce genre de choses, non ? ironise mon double, sa voix traînante, fidèle à lui.

Mais l’idée ne me plaît pas. Ça ne m’apporte ni fierté ni satisfaction. Juste un sentiment d’inconfort. Comme si cette carapace abîmée n’était pas la mienne, comme si quelqu’un d’autre avait habité ce corps avant moi, quelqu’un de plus résistant, de plus aguerri à la douleur.

Je ferme les yeux, je cherche dans les recoins de ma mémoire, espérant saisir quelque chose, n’importe quoi qui puisse expliquer ces marques, cette apparence qui me semble étrangère. Mais rien ne vient. Juste du vide, un abîme silencieux où mes souvenirs auraient dû se trouver.

Arrête de te torturer, mon vieux. Ça te mènera nulle part, souffle mon double avec un détachement irritant. Après tout, t’es encore vivant, non ? Alors profite un peu…

Je serre les dents. Peut-être qu’il a raison, cette ombre cynique. Peut-être que ça ne sert à rien de creuser.

Je murmure, presque sans y penser :

– J’ai vraiment aucun souvenir avant cette ruelle ?

Ma propre voix résonne dans le silence de la pièce, et Anna bouge légèrement à côté de moi, sans se réveiller. Je me redresse un peu, espérant que dire ces mots à voix haute fasse remonter quelque chose, une bribe, une image, même un simple sentiment, mais tout ce que je rencontre, c’est encore ce vide, ce néant frustrant.

Bon, visiblement, c’est pas en te parlant à toi-même que ça va changer quoi que ce soit, ajoute mon double avec son sarcasme habituel. Crois-moi, y’a rien à gratter dans ce trou noir-là.

Je passe une main sur mon visage, frustré. C’est comme si quelque chose me narguait, toujours là, juste hors de portée.

T’es vraiment persuadé qu’il y a quoi que ce soit de bon à se rappeler ? reprend mon double, comme pour m’enfoncer un peu plus. Ce qui est enterré mérite parfois de le rester, non ?

Je soupire et laisse retomber ma tête contre l’oreiller, le regard perdu au plafond. Peut-être qu’il a raison, peut-être que je devrais juste me contenter de ce que je sais maintenant, de ce corps marqué dont je ne comprends ni l’histoire, ni la logique.

Je murmure encore, mais plus pour moi-même que pour qui que ce soit d’autre :

— Et ces cicatrices… Je dois bien me souvenir de quelque chose, non ?

Je passe mes doigts le long des marques anciennes sur ma peau, chaque cicatrice une énigme qui semble vouloir me dire quelque chose, mais rien, aucun souvenir ne remonte. Mon double ricane dans ma tête, moqueur et implacable.

Et t’espères trouver quoi ? Un scénario à la hauteur de ce corps de gladiateur ? Sérieusement, Hank, t’es bien plus efficace sans ces souvenirs. Une toile vierge, pleine de potentiel. Profite de cette chance, imbécile.

Je grince des dents, exaspéré.

— T’es sûr qu’il y a rien ? insisté-je, presque désespéré.

Absolument rien. Et c’est ça, le plus beau, ajoute-t-il, jubilant. Ces cicatrices, c’est juste la preuve que tu t’es déjà pris des coups. T’as survécu, voilà tout.

Je reste silencieux un moment, mes doigts toujours sur cette peau qui me semble étrangère. Ces cicatrices devraient être des clés, et pourtant…

Arrête de te torturer, Hank. Je te l’ai déjà dit, je suis là que depuis cette nuit, commence le double, d’un ton lassé.

Je fronce les sourcils, mes doigts toujours posés sur l’une des cicatrices, comme si je pouvais, par simple contact, déterrer quelque chose de mon passé.

— Ça veut dire quoi, ça ? Que t’es apparu d’un coup ? Comme par magie ?

Il éclate de rire, un rire sec et moqueur qui résonne dans ma tête.

Eh bien, ouais. C’est pas comme si t’avais le choix, hein ? C’est là où on est maintenant, mon vieux. Pas la peine de chercher plus loin. Ces cicatrices… ce corps… ils sont à toi, mais les souvenirs qui vont avec ? Zéro, nada, que dalle. J’ai rien de plus à t’offrir.

Je serre les poings sur le matelas, frustré. L’idée que ce double soit une voix sortie de nulle part, sans origine, sans raison, me perturbe plus que je ne veux l’admettre.

— Et moi, je fais quoi avec ça ? Que je réplique, entre rage et résignation.

Ce que tu veux, Hank. Juste, arrête de chercher des réponses où il n’y en a pas. Peut-être que c’est mieux comme ça, après tout…

— Et peut-être que c’est juste la raclée que tu t’es prise, qui te fait te parler à toi-même, dis-je en me passant une main sur le visage, comme pour me réveiller d’un mauvais rêve.

Le double éclate de rire, sec et sarcastique, comme toujours.

Possible, Hank, très possible. Ou alors, t’as juste perdu une partie de toi en chemin, et c’est moi qui suis là pour combler le vide. Une sacrée place à prendre, faut dire.

Je soupire, le regard perdu sur le plafond. C’est insensé, tout ça. Des bribes de douleur, une ruelle, un trou noir, et cette voix qui me parle comme si elle avait toujours été là, nichée quelque part dans ma tête.

— Génial. J’ai vraiment touché le fond.

Le double renchérit, jubilant :

Touche le fond, remonte à la surface… tant que je suis là, t’as de quoi faire un petit bout de chemin.

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