Dans son petit matin, Yoshitérù quitta les chevalines, retrouva le chemin, suivit huit jours durant le ruisseau. Étroit de trois mètres, aux froids endroits les plus encaissés, le torrent calmé s'évasait sur un pré de fond aussi bas que ça. Un espace pour reprendre vigueur et force contre les roches malmenées, amoncelées en aval.

Le courant enveloppait les bottes de Valère le pêcheur cloué, patient.

Qui te tiendra le bras mon ami ?

N'as-tu jamais songé à nager sous l'eau, tout près des poissons,

Là où la mousse englue les cailloux de sa verte carapace molle ?

N'as-tu jamais songé à piéger la sirène qui t'appelle chaque matin ?

Valère calait ses pieds au plus stable du fond mou. Lorsque la canne s'arc-boutait sous le poids de la prise, tranquillement il récupérait dans son épuisette le poisson frétillant. Il décrochait l'hameçon, avec ses gestes précis, nets, fermes. Les deux mains à plat sous l'animal luisant, il le contenait entre les pouces tendus, inspectait l'oeil plusieurs fois, et relâchait dans l'eau fraîche, sa proie libérée. Un nouvel appât, un nouveau lancer, ainsi recommençait l'attente du témoin sans paroles.

— De quoi rêves-tu l'ami ?

— Un jour, je trouverai dans l'oeil de mon poisson, l'éclat d'une révélation. J'attends, plein d'espoir, le signe décisif.

Yoshitérù regardait le pêcheur progresser dans l'eau puissante. Lorsque sa jambe ripa, l'équilibre se rompit. Valère disparut vite. Le corps fut immergé sans gestes de retenue, sans l'amorce d'une volonté de sortir du torrent. Sidéré, poursuivant du bout des yeux le pêcheur tantôt sous l'eau, tantôt au dessus d'elle, il aperçu le ciré flop, défiler entre les boules érodées de ce granit qualifié de chaotique. Ayant tenté de porter secours à maintes reprises, Yoshitérù décontenancé, revint dans le pré.

***

Il regarda le lièvre. Celui-ci courait après le soleil. Le renard aux aguets poursuivait le lièvre. Ils se poursuivirent à droite puis à gauche, encore une fois de même et une autre sans ménager leur souffle jusqu'à se retrouver détrempés, vengés, épuisés. Le renard rentra dans son terrier. Il avait des petits. Pour nourrir ses petits, il cueillait des épinards, des carottes sauvages ou des baies juteuses. Les jeunes gourmands aimeraient bien se curer les dents avec des os de lièvre. Le renard se reposa toute la journée. Plus tard, le renard attrapa le lièvre. Il partagea sa capture avec sa progéniture. C'était fini pour le lièvre.

***

Quittant la vallée, Yoshitérù gagna la forêt. Pour s'abriter de la pluie, il entra dans la drôle de maison d'un charbonnier. Jùan vivait avec sa femme Juliette dans leur caravane immobile. Ils chassaient, piégeaient, pêchaient et cueillaient leur suffisante nourriture. Afin de gagner plus d'argent, les charbonniers décidaient de travailler plus. Ramassant le bois tout le jour, avec leur charrette tirée par l'âne Flicks, Jùan et Juliette entassaient et construisaient les huttes sur un lit de brindilles bien sèches. Au dernier moment, ils retiraient la bûche centrale, puis recouvraient d'une bonne couche de terre légère, le tas de bois arrondi. Aménagé jusqu'à la cheminée centrale, le petit conduit étroit, face au vent dominant, permettait d'allumer le feu, de l'activer, de l'entretenir. Étouffant la construction par quelques pelletées de terre argileuse supplémentaires, les charbonniers attendaient huit jours la combustion lente opérer la transformation du bois en charbon.

En vendant plus de charbon, ils pouvaient faire cuire des saucisses sur une grille toute neuve. Le charbon utilisé était le leur. Ils étaient heureux.