L'homme sans qualité
Agapatou était née fille des sables de la savane, comme un cadeau de fin d'hiver.
Juvélita sa tante, blanchisseuse par nécessité, eut quatre enfants, quatre garçons, la même nuit, la même heure. Pour élever ses quatre enfants, elle demanda à Agapatou, sa nièce mariée au grand berger Toualou, de l'aider à les nourrir.
— Va me chercher mon premier enfant. Agapatou, jeune fille dévouée, apporta de la chambre le premier bébé. Juvélita lui donna le lait de son sein gonflé. Une fois repu, elle le marqua d'une touche de henné sur le front, demanda son second nourrisson. Elle l'allaita tendrement jusqu'à ce qu'il soit repu, lui posa une touche de henné sur le front et demanda le troisième garçon. Agapatou déposa le nourrisson dans la chambre où elle prit le troisième garçon. Juvélita nourrit l'impatient, jusqu'à plus soif, lui posa une touche de henné sur le front et demanda le quatrième enfant. Sa nièce coucha le troisième garçon dans son berceau, arriva près de la mère avec le dernier né. La maman ravie donna toute sa part de lait au gourmand, puis partit se reposer. Le même ballet était renouvelé à chaque tétée, jour après jour, les quatre enfants profitaient bien.
Juvélita la blanchisseuse en grande causerie au lavoir avec les femmes du canton, travaillait sans relâche : savonner les couches, rincer les tissus, étendre les habits, petits ou grands mais toujours nombreux.
Agapatou avait son mari, le grand berger Toualou, de la tribu des mangeurs de viande. Il s'invitait souvent dans la maison où son aimée Agapatou travaillait de jour comme de nuit. À voir chair tendre élevée au bon lait maternel, il insista pour améliorer son ordinaire.
— Femme, va me chercher de la viande, pour agrémenter notre riz, j'ai faim.
— De la viande, je n'en ai pas.
— Prends donc un nourrisson, la mère ne s'en rendra pas compte.
— Pas question ! Juvélita me tuera moi-même, toute ma descendance et toi avec !
— Mais non, ma douce, va donc attraper le cadet. Si ta patronne s'en aperçoit, cours vite chez moi, je te protégerai. Elle ne pourra pas te voir, elle ne t'en voudra pas. Il n'est pas bon pour une seule femme de nourrir quatre bébés.
Agapatou en femme soumise accepta. Elle offrit à son aimé, le dernier né, qu'il tua et qu'il mangea. Puis le grand berger Toualou s'enfuit dans son taudis insalubre.
Juvélita, revenant exténuée, appela sa nièce :
— Agapatou ! Va me chercher les petits que je les nourrisse.
Agapatou en femme dévouée apporta de la chambre le premier bébé. La maman lui donna le lait de son sein gonflé. Une fois repu, elle le marqua d'une touche de henné sur le front, demanda son second nourrisson. Elle l'allaita tendrement jusqu'à ce qu'il soit repu, lui posa une touche de henné sur le front et demanda le troisième garçon. Agapatou déposa le second nourrisson dans la chambre où elle prit le troisième garçon. Juvélita nourrit l'impatient, jusqu'à plus soif, lui posa une touche de henné sur le front et demanda le dernier né. Son amie coucha le troisième garçon dans son berceau, reprit le premier bébé, lui effaça le henné posé, arriva près de la mère avec le bébé. La maman ravie donna tout son reste de lait, puis partit travailler. Le même ballet était renouvelé à chaque tétée, jour après jour, les trois enfants profitaient bien.
Un autre jour encore, le grand berger Toualou vint près d’Agapatou.
— Femme, va me chercher de la viande, pour améliorer notre boule de riz.
— De la viande je n'en ai pas !
— Va donc tuer un autre petit. Si ta patronne Juvélita s'en aperçoit, cours vite chez moi, je te protégerai.
Agapatou en femme amoureuse sous l'emprise des yeux du grand berger Toualou son protecteur, accepta. Elle sacrifia le garçon troisième. Le mauvais homme tout rassasié regagna son vilain logis.
Juvélita revenant de son travail appela sa fidèle nièce.
— Agapatou ! Va me chercher les petits que je les nourrisse.
Agapatou en femme naïve apporta de la chambre le premier bébé. La maman lui donna le lait de son sein gonflé. Une fois repu, elle le marqua d'une touche de henné sur le front, demanda son second nourrisson. Elle l'allaita tendrement jusqu'à ce qu'il soit repu, lui posa une touche de henné sur le front et demanda le troisième garçon. Agapatou déposa le nourrisson dans la chambre où elle reprit le premier bébé, effaça la touche de henné et l'apporta à la mère. Juvélita nourrit le bébé, lui posa une touche de henné sur le front et demanda le dernier né. Son amie coucha le premier bébé dans son berceau, reprit le second nourrisson, lui effaça le henné, arriva près de la mère avec le nourrisson. La maman ravie donna un peu de lait au nourrisson déjà rassasié, puis partit travailler. Le même ballet était renouvelé à chaque tétée, jour après jour, les deux enfants profitaient bien.
Un autre jour, le grand berger Toualou reparut dans la maison où Agapatou travaillait :
— Femme, va me chercher de la viande, pour améliorer notre riz.
— De la viande je n'en ai pas !
— Va donc tuer un autre petit. Si ta patronne Juvélita s'en aperçoit, cours vite chez moi, je te protégerai.
Agapatou en femme aveuglée par la passion pour son homme aussi déterminé accepta de sacrifier l'enfant second. Tué, puis mangé par le grand berger Toualou, bedonnant il regagna son vilain logis.
Juvélita, revenant de son travail, appela sa fidèle nièce.
— Agapatou ! Va me chercher les petits que je les nourrisse.
Agapatou en femme gênée apporta de la chambre le premier bébé. La maman lui donna le lait de son sein gonflé. Une fois repu, elle le marqua d'une touche de henné sur le front, demanda son second nourrisson. Agapatou déposa le bébé dans la chambre... effaça la touche de henné et tout en pleurant... le rapporta à la mère. Comme il refusait de téter, la mère s'étonna :
— Pourquoi ne veut-il pas téter ? Pourquoi pleures-tu ? Que se passe-t-il dans ma maison ? Attends. Je vais voir dans la chambre. Agapatou, où sont mes enfants ?
Agapatou en femme affolée courut vite chez son mari le grand berger Toualou, qui devait la protéger contre la colère de Juvélita.
La mère furieuse poursuivit la traîtresse, jusqu'à la porte du vilain logis, taudis insalubre.
— C'est donc toi qui as kidnappé mes enfants ? aboya-t-elle à Toualou.
— Je n'ai pas kidnappé tes enfants, par contre je sais où ils se trouvent.
— Viens avec moi devant le chef du village, nous pourrons régler mon problème avec ses conseils.
— Avant cela, tu dois prendre des forces. Entre dans la case, et mange de la boule.
Juvélita mangea de la boule préparée avec de la viande, et la trouva délicieuse.
— Comment prépares-tu cette boule ? demanda-t-elle, curieuse.
— Le riz est agrémenté de sauterelles séchées. Pour récupérer tes enfants, tu dois préparer cent boules identiques à celle-ci.
— Comment capturer autant de sauterelles ?
— Il te suffit de trouver un endroit bien dégagé dans la savane. Délimite un grand cercle avec des herbes sèches entassées. Au centre du cercle, tu installeras du bois pour allumer un feu, avec une marmite au milieu dans laquelle tu jetteras du miel. Lorsque tout sera prêt, préviens-moi, je t'aiderai à rabattre les sauterelles qui seront attirées par l'odeur du miel.
Suivant, à la lettre, les consignes du berger Toualou, Juvélita demanda son aide pour la capture des insectes.
— Juvélita, prends ce sac et place-toi au centre, à côté de la marmite après avoir allumé le bûcher. Prépare-toi à remplir ton sac et le vider plusieurs fois de suite dans l'eau de la marmite. Juvélita obéissante ne désirant qu'une chose, préparer les cent boules pour retrouver ses enfants, attendit sac ouvert les nuées de sauterelles. Elle ne vit s'élever autour d'elle que les fumées des herbes sèches enflammées. Comprenant le piège imaginé par ce berger Toualou, elle renversa la marmite et se cacha bien vite en l'utilisant comme protection. Telle une tortue, pelotonnée dans sa carapace, elle attendit furieuse le frais de la nuit calmer ce feu de brousse.
Arrivée à la porte du vilain logis du berger Toualou, Juvélita lui intima l'ordre de sortir de son taudis insalubre, et de se montrer sous son vrai jour.
— Ah ! Te voilà en vie, Juvélita. Comme j'étais inquiet après ce mauvais coup du sort.
— Bandit, meurtrier, tu as voulu te débarrasser de moi.
— Ce n'était qu'un accident Juvélita. Pour regagner ta confiance, je vais avec toi chercher tes enfants, sans les boules c'est risqué, mais tant pis. Partons.
— Sans boules ?
— Nous trouverons en chemin les fruits du manguier qui conviendront pour l'échange.
Soupçonneuse, éplorée, Juvélita ordonna à Agapatou de l'accompagner. Les deux femmes suivirent le berger jusqu'au bord du grand fleuve, où crocodiles et hippopotames se baignaient dans l'indifférence générale.
— Vois-tu le gros hippo, Juvélita ? C'est lui le responsable de la disparition de tes enfants. Il les a avalés tout rond. Si tu le veux, tu peux les sauver.
— Il suffit, avec les histoires Toualou ! Je ne marcherai plus dans tes combines.
— Si tu veux les sauver, il faut demander au crocodile de mordre la queue de l'hippopotame.
— C’est à toi l'homme d'accomplir pareille démarche. Je ne vais pas me faire dévorer à mon tour. Je ne suis pas née de la dernière pluie. Tu veux te débarrasser de moi ou quoi ? Tu crois que je ne vois pas là ton piège mauvais homme ?
— L'hippo me connaît chasseur. Méfiant, il ne voudra pas m'écouter. Aussi voilà le plan que je vais te révéler. Tu vas attacher une boule de riz à la queue de l'hippopotame. Le crocodile friand du jus de mangue, dont j'ai arrosé le riz, va vite venir croquer l'appât. Avec ce bois, je bloquerai la gueule de l'hippo qui l'ouvrira grande, suite à la douleur de la morsure. Tu pourras tout à ton aise récupérer tes enfants dans le ventre de ce mangeur d'hommes.
Juvélita excédée se rebella. Avec la complicité d’Agapatou repentante, elles se saisirent du berger. Elles accrochèrent sur la queue de Toualou leur prisonnier entravé, une boule arrosée de jus de mangue. Lorsque, sous la menace des femmes, il entra dans l'eau, les crocodiles se ruèrent sur lui.
Devant l'attaque, Toualou encore vigoureux se sauva dans la brousse. Agapatou raconta l'histoire à qui voulait bien l'entendre.
Rien ne put jamais consoler Juvelita.
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