le taliilajuuq
Accueille l'homme
Accueille la femme
Accueille l'enfant
Accueille l'animal
Accueille les fruits
Accueille les silences
Accueille l'ennui
Accueille l'existence
Accueille toi-même
Brillent ainsi nos envies de vies
Contraires aux lois du froid.
Les aînés de la communauté, qui avaient un grand savoir, restaient très modestes. Ils ne voulaient pas parler de choses qu’ils ne connaissaient pas personnellement. Ils étaient désireux de transmettre leur savoir en racontant ce qu’ils avaient entendu et vu eux-mêmes.
Mathow notre chauffeur de bus nous hébergeait dans son espèce de caravane sans roues.
— Je ne vous parle que de ce que j’ai connu personnellement. Je ne vais pas vous parler de choses que je n’ai pas connues moi-même.
Même si c’est quelque chose que je connais, si je n’en ai pas fait l’expérience
personnellement, je ne vais pas en parler.
Le téléviseur envahissait la pièce avec le bruit du marteau piqueur dans une cathédrale de glace creuse.
— Ce n’est pas bien de dire des choses qui ne sont pas vraies ? déduisit Agapatou.
Contre la paroi repeinte se juxtaposaient les trophées de chasse empaillés, le calendrier ouvert définitivement au mois de mai 1955, les factures punaisées dans l'ordre chronologique en vigueur et les traces de scotch d'anciennes affiches arrachées lors du dernier ménage de printemps.
— Oui. Le mensonge serait découvert plus tard ou, si la vérité était racontée, ce serait une preuve de l’erreur.
Les murs ouvraient leurs oreilles.
— Oui, c’était comme ça. Si on a entendu quelque chose juste une fois, en sachant...
Par-dessus ses pantalons serrés, il enfila une combinaison zébrée de bandes fluorescentes.
— J’ai déjà expliqué que je peux dire que je ne sais rien à propos de quelque chose si je ne l’ai entendu dire qu’une seule fois.
Son manteau était étrangement peu volumineux par rapport aux nôtres.
— Si plus tard quelqu’un raconte comment c’était vraiment, même si je n’ai pas voulu mentir intentionnellement, je serais comme quelqu’un qui a menti.
Bonnet de laine sur la cagoule vinrent achever la séance d'habillage.
— Et en pensant à ma réputation, j’ai toujours agi comme ça.
L'air nous sifflait son emprise glaciale dès la sortie du bungalow.
Impossible de lever les yeux du sol sans lunettes fumées pour regarder la neige. Nos moufles boudinaient nos gestes,
Nous parcourions un chemin chaotique à vive allure. Notre motoneige éclaboussait nos poursuivants Agapatou assise derrière Anmouck, la fille de Mathow.
Arrivé au bout du bout de la banquise, la mer ondulait sous la glace fracturée.
***
Soudain, Mathow stoppa son engin et montra à Yoshitérù.
— Quelle chance ! C'est un taliilajuuq !
Nous nous approchâmes de la tache sombre échouée sur le sol.
— Regarde Agapatou, il est trop drôle cet animal avec ses cheveux ! Yoshitérù explosait de rire lorsqu'il le chatouillait sur les flancs.
— Ne te moque pas de lui, répliqua fermement Mathow. Le taliilajuuq est de la tribu des gens de la mer. C'est la première fois que j'en vois un de si près. Aidez-moi à le repousser à la mer. Il s'est échoué. Nous devons le jeter à l'eau. Il est sans ressources. Il ne peut pas le faire seul. La seule manière de les remettre à l’eau est de les porter délicatement.
Nos quatre compagnons unis dans leur mission de secouristes improvisèrent un brancard. Sur leur parka tendus, ils installèrent l'animal aux grands yeux ronds.
— Attention, la peau est très fragile. C'est comme la peau de poisson. Il faut essayer de ne pas la peler accidentellement. Soyons prudents. Prenons soin de lui. C’est comme ça qu’il faut faire. Ne nous moquons pas d’eux. Aimons-les.
Une fois dans la mer, le taliilajuuq leur a fait un signe d’adieu.
Ils ont vraiment aimé ça. Quand ils ont entendu respirer, ils ont tourné la tête et en ont vu un autre taliilajuuq qui venait juste de disparaître sous l’eau. Il avait les cheveux longs et s’en allait à reculons et il leur faisait des signes en même temps.
Mathow prolongea ses explications.
— Si l'un de vous tombe à l'eau, il vous aidera à sortir même si vous vous êtes moqué de lui auparavant. Bien que je ne devrai pas en parler parce que je ne l'ai pas vu, je dois vous raconter une chose. Ma belle-sœur Alasi, mariée une première fois avec Joanasie nous a toujours raconté cette histoire. Son mari à l'âge de dix ans s'amusait avec un taliilajuuq échoué comme celui-ci. Épuisé, par la tyrannie des jeux de Joanasie, l'animal mourut rapidement. Les chiens bien qu'affamés n'ont jamais voulu manger le Taliilajuuq. Les chiens connaissent la légende, car ils ont le souvenir des bonnes et mauvaises choses inscrites dans leur mémoire. C'est pourquoi ils ne mangent pas ces animaux.
Il y a bien longtemps, mon père m’a raconté une autre histoire, celle d’une personne qui en avait tué un exprès. Plus tard son qajaq a été attrapé par le devant par un Taliilajuuq. Il a chaviré. Ils peuvent aussi se défendre si on les traite cruellement. Pourtant, cette personne est revenue sur le bord de la banquise poussée par ce même Taliilajuuq.
Il ne faut pas les traiter de cette manière parce que ce sont des êtres vivants, les gens de la mer.
Anmouck, la fille de Mathow renchérissait les paroles de son père.
— Moi-même jusqu'à aujourd'hui, je n’avais jamais vu de Taliilajuuq.
On nous avait toujours dit qu’il ne fallait jamais se moquer d’eux. C’est une chose primordiale parce qu’ils sont les gens de la mer. Si quelqu’un tombe à l’eau, les Taliilajuuqs s’en occupent très bien, peu importe si ce quelqu'un s’est moqué d’eux ou pas. Si on en voit un échoué à marée basse, il faut toujours être gentil et le toucher délicatement.
Le message passait vraiment bien d'une bouche à une oreille.
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