Chapitre 2 : La proposition

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Cela faisait plus d’un mois que les hommes avaient quittés le village avec la permission mensuelle de revenir 2 jours. C’était maintenant aux femmes de s’occuper de tout. Bien que cela puisse être dur, elles y mettaient tout leur cœur. Chacune s’était proposée pour diverses tâches et elles avaient, jusqu’à présent, réussit à faire aussi bien que leur mari. Cependant, l’insécurité grandissait au fil des jours. Qui défendrait le village en cas de problème ? Même une dizaine de femmes pleines de courage et de volonté ne sauraient tenir tête aux éventuels envahisseurs. A cause de cela, certaines familles décidèrent de migrer vers un lieu plus sûr… Mais ce qui poussa le plus de monde à partir, ce fût la distance et le manque. Toutes ces familles ayant l’habitude de n’être séparées que quelques jours, un mois fût bien trop long pour certaines. En quatre semaine, presqu’un tiers du village s’en alla.

Pour madame Kelmers et son fils, tout allait pour le mieux. Alban profitait avec joie des plaisirs de l’automne. Le mois d’octobre fût particulièrement doux. Chaque jour, Alban se rendait chez madame Stefor pour suivre les cours qu’elle donnait. Ils n’avaient jamais eu d’école à Walsteir mais ce n’est pas pour autant, qu’ils n’avaient pas des choses à apprendre. Et les plus anciens se faisaient toujours un plaisir pour partager leur connaissance et leur savoir. Dès qu’elle annonçait la fin de la leçon, Alban se précipitait dehors. Il profitait de chaque jour d’une manière différente. Ce qu’il préférait faire quand il avait un peu de temps, c’était la cueillette de champignons et la pêche. Il continuait aussi ses petites explorations secrètes. On pouvait compter sur lui pour prêter main forte dans les tâches du village. Malgré son jeune âge, il faisait tout ce qu’il pouvait pour se rendre utile.

*

Un jour alors que la neige avait remplacé les tapis de feuilles mortes, les bruits de sabots d’un groupe de cavaliers résonnèrent dans le village où les quelques maisons abandonnées se fondaient de plus en plus dans le paysage.

— Habitants de Walsteir, la reine vous propose de racheter votre village. Elle porte beaucoup d’intérêt à l’emplacement de celui-ci.

Les femmes échangèrent un regard méfiant.

— Chaque famille recevra de quoi repartir sur de nouvelles bases en prenant en compte le nombre d’enfant à charge.

Il y eut quelques minutes de silence avant que madame Kelmers ne prenne la parole.

— Mes sœurs ! Allons-nous abandonner le village ? Celui fondé par nos ancêtres, qui a vu grandir génération après génération ? Que penseraient vos maris de cette décision ? L’une d’entre vous tient-elle à abandonner sa vie ici ? Renier notre passé ?

Personne ne répondit rien mais les visages des femmes semblèrent plus déterminées et moins craintifs qu’à l’arrivée des soldats.

— Allez-vous en d’ici, on n’abandonnera pas notre village ! cria une femme.

Elles levèrent les poings mettant un terme aux négociations. Les soldats repartirent bredouille.

Fières de leur décision, aucune ne regretta d’être restée. Cependant, plus les jours avançaient et plus l’hiver devenait rude. Ce n’était pas la première fois que le froid leur jouait un mauvais tour. Il y avait déjà fait face. Madame Kelmers avait, il y a deux ans, du vendre 2 de ces poules. Faire des petits travaux de couture et vendre ses œufs n’avaient pas suffi. Elle était prête à refaire de même cette fois-ci, s’il le fallait. Jamais le village ne s’était autant serré les coudes. De la nourriture pour tous et de quoi avoir chaud, c’était le minimum dont chaque famille devait disposer. Les hommes qui revenaient de temps en temps au village, apportaient toujours de quoi aider ceux qui y étaient restés.

Le duc d’une contrée voisine, un homme au grand cœur, fit don, à plusieurs reprises, d’argent mais surtout de quoi manger. Cela ne suffit pas. Malgré leurs efforts, la vie devenait de plus en plus dure, comme si quelqu’un s’arrangeait pour que le village s’écroule de lui-même. L’hiver passé, la situation ne s’améliora guère. Bientôt, ils ne furent plus en position de payer leurs impôts et commencèrent même à s’endetter. L’aide du duc se fit mystérieusement de plus en plus rare contrairement aux lettres demandant des remboursements.

Mi-avril, alors que les fleurs renaissaient comme chaque année, le village ne put en faire de même. Alban était avec sa mère chez madame Cordof quand des bruits de sabots résonnèrent à nouveau. Il regarda par la fenêtre.

— Les soldats sont revenus et … on dirait qu’il y a un carrosse aussi. Mais je ne vois pas bien d’ici. Je vais allez voir de plus…

Il courut vers la porte mais sa mère l’attrapa par le col.

— Tu restes à l’intérieur avec le bébé. Nous allons aller voir.

— Mais …

— Pas de mais Alban !

Madame Cordof déposa sa fille dans son berceau avant de suivre la mère d’Alban. Il essaya tant bien que mal de voir ce qui se passait mais sans le son, impossible de savoir.

— C’est pas chouette d’être un enfant… soupira-t-il

Il regarda le bébé qui se mit à rigoler.

*

Tandis que la plupart des enfants étaient à l’intérieur des maisons, les femmes s’étaient réunies sur la place. Un soldat fit reculer les plus curieuses avant d’ouvrir la porte du carrosse.

— Son altesse, Meredith !

Une femme élégante sortie calmement du carrosse, faisant attention à chacun de ses gestes. Elle avait noué sa chevelure dorée en un magnifique chignon tressé. Sa robe bordeaux caressait le sol. Et ses nombreux bijoux faisaient des envieuses dans la foule.

— Cher citoyen, si je me déplace en personne aujourd’hui c’est parce que votre situation me préoccupe beaucoup. Je suis au courant que le duc a tenté de vous aider et cela m’a réchauffé le cœur. Mais tant de gentillesse sans rien attendre en retour me parut tout de même un peu étrange et j’ai donc envoyé des espions chez lui. Quelle ne fut pas ma surprise quand l’un d’eux me rapportait qu’il se jouait de vous. En vérité je vous le dis, il est la cause de vos malheurs !

Quelques personnes se mirent à chuchoter.

— Je comprends que c’est difficile à croire et pourtant, j’en suis la première affectée. Il détournait vos récoltes et vos richesses en vous faisant croire qu’il les revendait au même prix alors qu’il s’enrichissait. Bien sûr il vous a aidé … en vous donnant ce dont personne ne voulait. Il a été jugé pour son crime ! Hélas je ne peux effacer toutes les dettes de Walsteir. Mais, cependant, ma proposition de racheter le village tient toujours. Elle a même évoluée en mieux pour vous.

— On pourra garder une brique de notre maison c’est ça le nouveau marché?! Cria une femme

— Silence ! fit un garde en la menaçant.

La reine fit un geste de la main et le garde retourna à sa place.

— Si cela vous fait plaisir vous pouvez garder toutes les briques que vous voulez très chère. Je vous propose de venir habiter à la capitale. Vous aurez une maison et vos enfants pourront bénéficier d’une excellente éducation. J’ai entendu parler des accidents, l’endroit n’est pas sûr c’est un lieu dangereux, je vous assure que votre vie et le futur de vos enfants n’en sera que meilleur à Zestelya.

Les femmes se mirent à débattre de tous côtés.

— Quatre de mes hommes resteront ici deux jours. Je laisse aussi à votre disposition quelques chariots. Si vous vous décidez à venir, ils vous escorteront, sinon ils reviendront.

Elle jeta un coup d’œil au village et se dirigea vers son carrosse.

— J’allais oublier un petit détail. Ma proposition ne tient que si vous quittez tous le village.

Le ton monta et tout le monde se mit à parler dans tous les sens. La reine repartit avec son escorte et les soldats désignés pour rester installèrent un petit bivouac non loin du village.

— Un peu de silence, cria une femme à la voix grave. Je vous propose de se réunir à la grange ce soir. Disons à 20h !

Personne n’eut rien à redire et la place se vida laissant des petits groupes débattre dans tous les coins.

*

Pendant le souper, madame Kelmers ne put s’empêcher de regarder chaque recoin de la maison bâtie par son mari il y a quelques années.

— Tu veux encore de la soupe m’man ?

— Hmm ? Pardon, tu disais mon chéri ?

— Encore un peu de soupe.

Il leva la louche pour accompagner ses paroles.

— Non ça ira merci.

— D’accord.

Il reposa l’ustensile à sa place et termina son bol en regardant sa mère songeuse. Il savait à quoi elle pensait, pas la peine de lui demander. Partir c’était abandonner la maison, faire un pas de plus vers une nouvelle vie, un pas les emmenant loin des souvenirs d’une famille à trois.

— Bon je vais y aller, la réunion va bientôt commencer.

Elle se leva et mis un châle sur ses épaules.

— Tu es sûr que je ne peux pas venir ?

— C’est bien trop ennuyeux pour un petit garçon. Je reviendrai vite.

— D’accord…

En vérité, elle savait très bien que les débats pourraient vite devenir houleux et elle n’avait aucune envie que son fils y soit mêlé.

Alban débarrassa la table puis s’installa sur son lit. Il feuilleta son carnet de recherche et compara ce qu’il avait déjà découvert avec les notes de son père et de son arrière-grand-père.

*

Madame Kelmers revint au bout d’une bonne heure mais n’eut pas la force d’entrer tout de suite. Elle posa sa main sur la porte et leva les yeux afin de contempler sa maison éclairée par les rayons de la lune. Elle se rappela du premier soir après sa construction, Nikolas, son mari avait organisé un pique-nique au clair de lune et il s’était mis à pleuvoir en plein milieu de celui-ci.

Elle respira profondément, empêchant toutes larmes de faire surface et ouvrit la porte.

— Je suis rentrée !

Le petit garçon se pencha au-dessus de l’échelle. Il mourrait d’envie de savoir ce qu’il allait advenir de leur village mais n’osait pas poser la question

— Va dormir, nous avons beaucoup de travail dès demain pour vider la maison.

Elle regarda son fils en souriant et il fit de même.

— Bonne nuit M’man !

— Bonne nuit Alban.

Contrairement à son fils, madame Kelmers eut du mal à trouver le sommeil.

*

Le lendemain, tous les villageois s’activèrent. Certains essayaient de récupérer un maximum de matériaux afin de les revendre une fois en ville. Les Kelmers ne chargèrent que le strict nécessaire. La reine leur avait promis un logement, pas besoin de prendre les quelques meubles qu’ils possédaient.

Pendant que sa mère pliait les linges et rangeait la vaisselle, Alban remplissait les malles et s’occupait de charger le chariot. Ce fut la même rengaine le lendemain. Trier, ranger et charger. Ils préparèrent également de quoi manger pour le voyage.

Fin d’après-midi, ayant terminée de tout préparer, Alban alla se promener dans le village afin de tout voir une dernière fois. Beaucoup de maison semblait abandonnée de par le vide qu’il y régnait.

— Bonjour Alban ! Comment vas-tu ?

— Bonjour madame Cordof ! Je vais bien et vous ?

— Je vais également bien, merci. Tu remercieras encore une fois ta mère de me laisser voyager avec vous.

— Oui je n’y manquerai pas !

Il reprit sa ballade, longeant la rivière, caressant les roches de la mine, humant le doux parfum des fleurs, … profitant de ces petits plaisir quotidien auquel il n’aurait bientôt plus droit.

Le jour du départ arriva. Tout le monde se leva aux aurores pour charger les chariots. Ayant déjà mis le plus gros de leurs affaires, Alban et sa mère aidèrent madame Cordof a tout porter dans leur chariot. Ils n’allaient pas tarder à se mettre en route, leur voisine s’installa à l’avant et Alban rentré dans la maison avec sa mère pour prendre les dernières petites caisses.

Madame Kelmers empoigna une boite et la cogna contre la table. Un étrange galet tomba de celle-ci et roula sur le sol. Il termina sa course au pied de la cheminée. Alban ramassa l’objet servant de pendentif à un collier.

— Qu’est-ce que c’est maman ?

Il courut après sa mère déjà dehors.

— Une pierre. Une simple pierre. C’est ta grand-mère qui l’a donné à ton père quand il avait un peu près ton page. Il y était très attaché mais ce n’est qu’une pierre…

Il la regarda sous tous les angles, elle avait l’air des plus ordinaires. Mais si son père y tenait alors elle devait être spéciale !

— Je vais la garder !

— Comme tu veux mon chéri.

Elle vérifia que tout était bien attachée puis monta à l’avant du chariot.

— Alban ? Tu montes ?

Il arrêta de contempler la pierre et monta à l’arrière. Il s’installa contre une caisse sur laquelle était posée une couverture et, il regarda encore une fois le galet avant de le mettre dans sa poche.

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