Chapitre 2

9 minutes de lecture

Musique : Fleetwood Mac, Rumours

 Mon père nous fit tous grimper dans sa jeep direction l’aéroport à environ 2h de route de chez nous. Liam prit la place avant comme à son habitude, Elyne, Elliot et moi à l’arrière et enfin Phoebe avait choisi la dernière place dans le coffre près des bagages. Nous nous étions tous confortablement installé pour cette première aventure au sein notre grand voyage. A peine la voiture avait démarrée que Liam se perdait déjà dans ses pensées, le regard plongé dans les forêts denses à l’extérieur. Quant à Phoebe, elle dormait paisiblement, bercée par l’envoûtant rythme de son casque qui la coupait du monde extérieur. Il ne restait plus que nous, les trois anciens pirates. Elliot, entre nous deux, s’amusait à nous chatouiller chacune notre tour mais nous résistions et ne lâchions aucun rire. Il avait trop souvent gagné par le passé, nous voulions inverser la balance. Prenant finalement conscience de son échec cuisant, Elliot s’enfonça dans son siège l’air boudeur.

 - Ne fait pas l’enfant, tout le monde connaît la défaite, le taquinais-je.

 - Bien que, je dois avouée, que celle-ci est monumental.

 -Vous vous êtes entraînés c’est sûr, dit-il l’air rageur. J’aimerais bien savoir qui est le fripon qui a osé poser ses doigts boudinés sur les hanches de mes deux associées.

 - Moi aussi j’aimerais bien le savoir, lâcha mon père en m'observant dans le rétroviseur.

 - Ça ne regarde personne ! m’offusquais-je en riant.

 - Ne t’en fais pas Elliot, on sait se défendre, continua Elyne.

 - Très bien mais dans ce cas, ne demande jamais mon aide pour quoi que ce soit puisque tu te débrouilles si bien seule.

  Elliot s’était remis à bouder sous le regard amusé de ma meilleure partenaire de jeu. Elyne s’était renfoncée dans son siège, l’air penaud. Afin de combler un peu le malaise palpable, je tendis la main vers le petit visage triste de mon amie. Elle sourit doucement et frappa ma main. Le premier high-five depuis trois ans entre ma meilleure amie et moi. Je m’enfonçais à mon tour dans mon siège, soulagée que rien n’ai vraiment changé.

  La voiture était silencieuse, nous étions tous plongés dans nos pensées. Seul Elliot continuait de s’agiter : la pile électrique ne s’arrêtait jamais. Il s’exclama soudain :

 - Bon c’est pas que je me fais chier mais un peu. Balance le son DJ papa !

 - Mon très cher Elliot, c’est comme tu le veux mais je n’ai pas grand-chose à vous proposer à part un vieux disque de ma jeunesse, répondit mon père avec un sourire au coin des lèvres.

  Il tendit la main vers le disque que je connaissais par cœur, le disque parfait pour un voyage en voiture : Rumours des Fleetwood Mac. Un groupe des années 70 tombé dans l’oubli général. La musique agitait progressivement nos têtes sur ce rythme si old school. Liam s’était même mis à battre la mesure avec ses mains contre la portière, et Elliot dansait et criant de tout son soûl.

 - C’est la musique de la cabane ! Tu te souviens Elyne ?

  J’avais souvent mis ce disque lorsque nous jouions dans notre cabane. Mon père nous avait installé un baladeur sur lequel nous poussions la musique le plus fort possible pour que tout le monde entende le son. Ce moment avait toujours été religieux et cette musique, la seule a pouvoir faire taire Elliot. Mais cette fois-ci, il chantait à tue-tête, se souvenant étonnement bien des paroles. Même Elyne marmonnait les paroles dans son coin. Si ma bande de pirates se souvenait encore de tous ces détails c’est que le temps n’avait pas effacé toutes les traces de notre amitié. L’album défilait et avec lui les arbres autour de nous et la route. Nous rigolions ensemble à nos souvenirs dont beaucoup de bêtises d’Elliot. Liam se tourna même vers l’arrière pour faire avec nous un concours de « Pierre, Papier, Ciseaux » qu’il remporta avec succès. Nous dansions sur nos sièges en mimant les instruments avec nos mains. Nos rires emplissaient le petit espace et mon père se mit à chanter avec nous. Ce moment n’appartenait plus à l’infernale course du temps, il était unique, beau et extraordinaire. Phoebe émergeait difficilement de son sommeil. Mais notre chanson préférée était arrivé et Elliot hurla de tous ses poumons « YOU CAN GO YOUR OWN WAY », si bien que notre marmotte finit par enlever son casque. En entendant la musique elle se mit elle aussi automatiquement à faire du Air Guitare en donnant le tempo à Elliot. Un véritable concert en playback se déroulait dans cette Jeep à laquelle personne ne faisait attention.

  Alors que la fête battait son plein, le GPS coupa court à l’amusement :

 - Arrivé à destination dans 5 min.

  Un peu tard puisque nous étions déjà dans le parking. Mon père insulta Becky (le surnom de notre GPS) en la traitant d’incapable. Si un GPS ressentait quelque émotion, vous pouvez me croire que le nôtre serait déjà en dépression. Mon père supportait mal la technologie, il ne comprenait pas comment un objet fait pour servir pouvait se montrer aussi borné et inefficace. C’est pour ça que les réseaux sociaux et moi n’avions jamais fait connaissance. Dans ma famille toutes ces nouveautés étaient plus considérées comme des dangers. Je ne m’étais jamais vraiment posé la moindre question sur tout ça, j’obéissais sans y prêter attention.

Mon père sortit les sacs du coffre et m’offrit le plus long câlin qu’il ne m’avait jamais fait.

                  ***

Nous étions entassés tous ensemble dans la file d’attente, les yeux brillant d’émotion. Chaque fois qu’un sourire ou qu’un mot s’élevait d’un de mes amis, je me sentais vivante, apaisée. J’avais l’impression que le temps se figeait un peu plus à chaque minute qui nous éloignait de notre quotidien. Les voyages ont toujours eu cet aspect magique qui les enfermait dans un espace hors du temps. Je savais d’ors et déjà que ces jours seraient pour moi un véritable nid à souvenirs, un moment au cours duquel je laissais toute ma vie dans ma chambre, enfouis sous des papiers, ma lettre pour Harvard loin de moi. Je voulais profiter sans penser au lendemain. Simplement être avec eux, pour la dernière fois peut-être.

  La file de la douane avançait doucement le temps que tout le monde passe avec leurs bagages. Nous nous serrions comme un banc de poisson filant à travers l’océan. Nos mains se mêlaient à nos rires et sentir leur corps autour de moi était comme un regain de bonheur, « à ne pas confondre avec un requin de bonheur » me glissa la voix imaginaire d’Elliot dans mes pensées. Un couple plus pressé que les autres bouscula Elyne qui bascula vers nous et manqua de tomber quand Elliot l’attrapa par les hanches pour la maintenir solidement contre lui. Je sentis soudain une main chaude contre mon propre bras et je me retrouvai tout prêt de mes amis d’enfance, une seconde qui me renvois à ces après midi chocolat chaud après l’école, quand nous n’étions plus des enfants banals mais tout une véritable équipe de pirates prêts à défendre leur navire. Captain Sam existait à nouveau dans cet aéroport. Mais Captain Sam n’oubliait pas les deux autres marins tout aussi important au sein du navire, et j’empoignais Phoebe et Liam pour les joindre au cercle. Nous étions cinq, cinq cœur qui se retrouvait, cinq face au reste du monde, cinq pirates prêts à embarquer pour leur dernier voyage. Mon fidèle acolyte Elliot se mit à hurler sans faire attention aux regards exaspérés des gens autour de nous :

 - CALIN COLLECTIF !

  Et il nous serra tous, nous étouffant presque et je su que je pourrais toujours m’appuyer sur eux, même loin. Malgré tout ce temps passé loin les uns des autres, rien n’avait changé entre nous. Mais j’étais sur le point de me rendre compte que, même si nos relations restaient les mêmes qu’à nos 13 ans, nous avions tous changé individuellement.

  Alors que nous avancions dans la file, toujours stratégiquement : en tortue comme des soldats romains, les gens paraissaient souhaiter au plus vite notre disparition. Ils semblaient tous pressé autour de nous et surtout stressé, mais nous étions bien loin de toutes leurs préoccupations, nous nous retrouvions enfin. Nous arrivions finalement aux portes de la douane et nous nous rapprochions alors petit à petit des portes de l’avion qui m’appelaient désespérément. Mon impatience augmentait de minutes en minutes. Je passais le portique sans encombre avec un mouvement de la main digne des meilleures Miss France suivit d’une lente révérence, Phoebe à ma suite passa rapidement dans un petit saut qui signifiait : « ici je suis libre alors me faites pas chier assholes ». Liam suivit le mouvement et pris sa jambe en guise de fausse guitare électrique. Puis le tour d’Elyne venu, elle s’arrêta, une lueur d’effroi passa dans ses yeux clairs. Elle se mit à tourner avec affolement scrutant le sol et tenant dans sa main son poignet gauche. De là où j’étais je ne pouvais pas vraiment lui venir en aide mais je tentais d’établir une communication avec cette petite furie paniquée :

 -Elyne ! Qu’est ce qui t’arrive ? Viens avec nous, passe le portique moussaillon, rejoins l’équipage, lui dis-je de ma voix la plus douce.

 - Allez Elyne ne fais pas attendre le navire, l’aventure nous attend, continua Phoebe avec entrain.

  Elle se retourna vers Elliot, lui dit quelque chose tout bas que je ne pouvais entendre mais j’aperçus l’incompréhension de mon ami. Il posa une main doucement sur son épaule et lui parla, il semblait chercher à la raisonner et à la rassurer dans un même temps. Mais Elyne rejeta la main amicale en se retournant vers moi. Elle plongea ses deux yeux d’un bleu devenu intense derrière ses verres trop grand pour son visage, un regard où toutes les émotions du monde semblait se mélangées, un regard qu’Elyne n’avait jamais eu et je compris que nous avions changé. Elyne n’était plus la petite fille sage qu’elle avait toujours été, quelque chose venait de se réveiller en elle.

 - Elyne, tout va bien, viens avec moi je t’en pris, calme toi.

  Elle marmonna quelque chose que je ne pouvais entendre.

 - Je ne t’entends pas, viens m’expliquer enfin.

 - Je ne peux pas partir, lâcha-t-elle simplement en captant mon regard. Sam je ne peux pas.

 - Qu’est ce que tu veux dire ? demanda Liam.

 - Personne ne part sans toi. Je sais que c’est dur de tout laisser derrière soi mais on va revenir, on fait ça ensemble. Ta mère comprends ne t’inquiète pas. Viens, lui dis-je pensant bien faire.

 - CA N’A RIEN A VOIR AVEC MA MERE ! JE NE PEUX PAS PARTIR. J’AI PERDU QUELQUE CHOSE, JE NE PEUX PAS PARTIR SANS, se mit-elle à crier avec énervement.

 - Écoutez mademoiselle il va falloir passer, il y a du monde derrière vous, si l’objet en question est si important vous le retrouverez certainement aux objets perdus, affirma le douanier avec fermeté. Maintenant vous passez.

  Elyne se figea, sa lèvre inférieur tremblait, en vérité, l’intégralité de son corps tremblait. Elle semblait prête à réellement exploser mais au lieu de se transformer en bombe elle entreprit le cri le plus long et le plus perçant que je n’avais jamais entendu. Elle était figée, ancrée dans le sol, les yeux perdus dans les miens. Nous nous bouchions tous les oreilles et les voyageurs attendant leur vol avec nous semblait horrifié par la scène. Elliot pris les choses en main et la porta sur son épaule pour la faire passer dans le portique, son cris incessant toujours aussi puissant. Ce fût Phoebe qui la réceptionna en l’attirant par le bras contre elle. Elle enfoui le visage d’Elyne dans son cou pour la faire taire et la calmer. Le corps de notre amie se détendit doucement elle cessa de pousser son terrible hurlement. Je vins la voir pour m’ajouter à ce second câlin de la journée et lui souffla dans l’oreille « Elyne dis-nous ce qui ne va pas, qu’est ce que tu as perdu ? ». Elle releva ses yeux de nouveaux clairs, et je me rendis compte qu’ils n’avaient pas la même teinte que quelques instants auparavant. Mon amie était un mystère. Et c’est ce mystère qui s’apprêtait à me dire quelque chose d’encore plus mystérieux :

 - Je suis désolée Sam, j’ai perdu ton bracelet.

 - Alors c’était ça, le bracelet d’amitié que je leur avais fait en 5ème. Elyne avait égaré un bracelet que nous avions tous déjà perdu.

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