Andromeda
Je crois que, parfois, ton regard déviait subrepticement vers le mien alors que le silence se faisait l’écho du temps qui ne s’écoulait plus. Pendant ces moments de contemplation dont nous avions appris à partager l’insolente et délicieuse chaleur de manière récurrente tout au long de notre voyage, je pense que tu parlais mais je ne t’écoutais pas.
Nous admirions encore ce paysage extraordinaire, léger, captivant. Je ne sais plus si nous nous tenions la main. Mais cette vallée lumineuse, ce panorama à couper le souffle, voilà ce dont je me souviens surtout avant notre première descente vers Andromeda. Incrustée dans cette toile immense, la cité semblait vouloir s’accrocher à la montagne qui lui servait de berceau. La limpidité d’ivoire du sommet des tours en spirales contrastait avec le gris brumeux des ruelles insipides. Et l’horizon tombait, non pas au-delà des montagnes colossales où nous étions perchés, toi et moi, mais dans la gueule insatiable d’un gouffre peint par l’érosion et quelques ténébreuses légendes.
Une impression de vertige récurrente m’incita, comme d’habitude, à lâcher prise. Mon regard rompit le lien. Andromeda restait derrière moi, dans mon dos, alors que je redescendais sur le petit sentier cerné de romarin. Et toi, tu me rattrapas aisément ; bientôt nous arrivâmes au pied de cette villa ombragée, dont l’aile principale demeurait cachée sous une sombre toise de pins parasols. Un mur s’avançait jusqu’à la corniche qui surplombait la vallée et ce paysage prégnant – immense – qui épuisait bien trop souvent notre sens de l’orientation, le son de nos mots, et l’appétence de notre sagacité.
— C’est celle-là, j’en suis certaine ! tempéras-tu en me montrant la balustrade blanche plantée dans la roche ocre crémeuse en haut du mur.
— On dirait comme un chemin de ronde, complétai-je, tu as raison, c’est magnifique.
— Il y a comme une terrasse qui surplombe la vallée ! Regarde ! C’est sublime !
— C’est très calme en tout cas.
— Allez, on entre ! Viens ! décidas-tu subitement, déjà en marche, en me faisant un signe de la main.
— Mais y’a peut être quelqu’un ? protestai-je sans trop y croire.
En guise de conclusion, tu te tournas vers moi rapidement, un sourire malicieux accroché aux lèvres en me lançant un arrogant « Et alors ? » auquel je ne savais jamais quoi répondre.
Sans doute sommes nous entrés par la grande porte rouge de l’aile principale, je ne m’en souviens pas. Je sais que je te suivais à l’étage – tu n’avais pas prêté beaucoup d’attention à la pièce principale, vaste, peu meublée, dont le carrelage en terre cuite me rappelait vaguement quelques résidences dans des régions chaudes.
A un certain moment, tu m’as pris la main.
Je crois que dans notre escalade, j’ai entraperçu l’ombre noire d’un homme ou d’une femme.
La chambre était baignée de lumière ; de grandes baies vitrées attiraient un ciel bleu paisible. On ne voyait plus Andromeda, à peine pouvait on deviner le mur et le chemin de ronde qui menait à la terrasse.
Des draps blancs qui sentaient la lavande. Une douceur lancinante. Ton sourire. Tes lèvres. Tes hanches. Ta peau.
Je crois que, parfois, ton regard déviait subrepticement vers le mien alors que le silence se faisait l’écho du temps qui ne s’écoulait plus. Pendant ces moments de contemplation dont nous avions appris à partager l’insolente et délicieuse chaleur de manière récurrente tout au long de notre voyage, je pense que tu ne parlais pas mais je t’écoutais quand même.
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— Quelqu’un monte. Réveille-toi !
Tu avais enfilé ton pantalon en sautant littéralement dedans, ça je m’en souviens parfaitement ! Pas le temps de boutonner ta petite chemise. De toute façon, tu la nouais toujours sous ta poitrine. Bientôt, nous courûmes vers la terrasse, sur le grand mur, comme de misérables voleurs traqués par je ne sais quel châtelain. Stoppés net par le vide, la vue était incomparable : le gouffre, Andromeda, ta svelte silhouette, ta taille agile, ton nombril à la vue du monde. Je me sentais si léger, mon vertige inhibé par ton cœur et tes courbes ; je bondis alors par-dessus la balustrade ; je me sentais pousser des ailes. Accroupi sur le petit sentier, je n’avais étrangement pas ressenti le poids de mon propre corps lors de l’impact au sol. Peut-être la terrasse n’était-elle pas perchée aussi haut ? Peu importe car toi aussi, à ta manière, tu parvins sans aucun mal à retomber sur tes pieds. Tu t’étais accrochée à une rainure qui serpentait le long du mur puis avais rebondie sur l’arche principale qui dominait le jardins ombragé de la villa. Et ton retour à mes côtés ressemblait à la gracieuse paresse d’un chat dont nul obstacle ne pourrait jamais entraver sa volonté.
Sans un mot, nous nous retrouvâmes finalement au bout du sentier, debout sur une colline gironde dont une faible brise tiède venait chatouiller l’herbe et les fleurs sauvages. Je me souviens avoir posé mes mains sur tes hanches alors que mon regard venait enfin de quitter l’envoûtante cité derrière toi. J’avais posé bien plus que mes yeux sur ton ventre, transi et apaisé, perdu et en sécurité. Le soleil se couchait derrière les montagnes ; Andromeda palpitait au rythme des lueurs perçant les ténèbres en berçant nos aventures ensemble. Tu souriais ; tu m’obligeas, du bout des doigts, à relever la tête, pour y déposer un baiser sur mes lèvres.
Je me souviens de ton odeur, cette mèche de cheveux qui caressait mon cou, la nuit qui faisait grandir les ombres de quelques arbres isolés dont les racines émergeaient vers la vallée.
— On y va ? murmuras-tu simplement, d’un ton qui ne souffrait aucune espèce de choix possible dans la réponse que je devais finalement te formuler.
— Oui, bien sûr, allons-y. Andromeda nous attend.
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