Les Chaînes invisibles

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Le royaume de Celeste était, sans l’ombre d’un doute, l’un des plus magnifiques du continent. Entouré de vastes forêts verdoyantes, de montagnes imposantes et de rivières cristallines qui serpentaient à travers les plaines, il semblait être un rêve incarné. À chaque lever de soleil, les murs de son palais se paraient de couleurs dorées et roses, comme si le royaume lui-même était un lieu sacré. Les jardins du palais, où des milliers de fleurs exotiques fleurissaient, embaumaient l’air de leurs parfums doux. La ville, protégée par des murailles imposantes, était vivante, vibrante, avec ses marchés pleins de couleurs et de bruits, ses artisans créant des merveilles, et ses rues pavées accueillant les voyageurs des quatre coins du monde.

Et au cœur de ce royaume, se trouvait une princesse : Isolde, une femme à la beauté légendaire. Ses longs cheveux dorés, ses yeux d’un bleu profond, et son sourire éclatant faisaient tourner les têtes chaque fois qu’elle entrait dans une pièce. Les poètes chantaient sa beauté, les artistes la peignaient sur leurs toiles, et tout le monde admirait sa grâce. Et pourtant, malgré cette beauté qui attirait tous les regards et la cour qui lui rendait hommage, Isolde n’était pas heureuse.

Elle avait tout ce que l’on pouvait rêver d’avoir. Elle vivait dans le plus beau des royaumes, avait un palais digne d’une reine, et était désormais mariée au prince Adrien de Lunaris, l’un des plus beaux et des plus puissants héritiers du continent. Adrien, avec sa silhouette majestueuse, ses cheveux noirs comme l’ébène, et ses yeux d’un vert perçant, était l’homme dont toutes les femmes rêvaient. Il semblait presque irréel, comme une apparition issue d’un conte de fées. Les nobles, les courtisans, et même le peuple tout entier le considéraient comme un prince parfait. Mais Isolde, elle, ne le voyait pas ainsi.

Dès les premières semaines de leur mariage, il était devenu évident qu’Adrien avait des attentes bien précises. Il voulait une épouse parfaite : docile, souriante, et profondément amoureuse de lui. Mais Isolde, bien qu’elle eût tenté au départ de se plier à ce rôle, ne parvenait pas à masquer son désintérêt.

Elle se tenait à ses côtés lors des banquets, écoutant distraitement ses récits de chasse ou ses débats politiques. Quand il lui prenait la main devant la cour, elle la laissait mollement dans la sienne, incapable de feindre une tendresse qu’elle ne ressentait pas. Adrien, malgré son visage toujours maître de lui, commença à lui reprocher son manque d’enthousiasme.

La vérité, c’était qu’elle n’avait jamais été amoureuse de lui. Et cela se voyait. Isolde n’était pas douée pour cacher ses sentiments, encore moins pour faire semblant. Et cela n’échappait à personne. Les rumeurs circulaient dans les couloirs du palais, entre les courtisans et les dames de la cour. « Comment une femme aussi magnifique ne pourrait-elle pas être amoureuse d’un homme comme lui ? » murmuraient-elles. Isolde était loin de l’idéal de ce que devait être une épouse parfaite pour le prince Adrien. Elle ne souriait pas comme les autres, elle ne riait pas à ses blagues comme les autres femmes. Elle n’avait pas cette lueur d’admiration dans les yeux, ce respect fervent que tant de femmes vouaient à Adrien. Non, Isolde ne semblait pas se soucier de lui. Et cela provoquait des critiques acerbes de toutes parts.

"Elle est trop froide, trop distante", disaient les dames de la cour. "Elle ne sait pas apprécier ce qu'elle a." À chaque événement où le prince et la princesse apparaissaient ensemble, il était évident que leur union n’était pas synonyme de bonheur. Elle ne regardait pas Adrien avec amour, elle ne le suivait pas dans ses gestes avec l’admiration qu’une épouse devrait avoir pour son époux. Elle était simplement là, présente, mais pas véritablement là. Comme un spectateur contraint de jouer son rôle sans en avoir le cœur.

Et Adrien lui-même n'était pas en reste. Il était perfectionniste, il savait qu’il représentait la puissance et la beauté du royaume. Mais il attendait de sa femme qu’elle soit à la hauteur de cette image. Ses critiques à l’égard d’Isolde devenaient de plus en plus fréquentes. « Pourquoi ne fais-tu pas plus d'efforts, Isolde ? » lui lançait-il parfois, son regard perçant. « Tout le monde attend de nous que nous soyons un modèle. Ne les déçois pas. » Mais comment pourrait-elle faire semblant, comment pourrait-elle jouer ce rôle de princesse heureuse alors qu’elle était loin d’être amoureuse de l’homme avec qui elle vivait ?

Isolde se sentait étrangère à cette vie qu’on lui avait imposée. Sa beauté, sa richesse, son statut n’étaient que des chaînes d’or qui l’empêchaient de se réaliser pleinement. Elle n’était pas libre. Elle n’avait pas choisi son mari, elle n’avait pas choisi cette vie. Elle était une princesse, une figure décorative, un instrument de pouvoir pour les royaumes. Et pourtant, ce qu’elle désirait au fond, c’était un amour sincère, une véritable connexion avec quelqu’un qui la comprendrait, quelqu’un qui verrait au-delà de son apparence et de son titre.

Isolde, malgré sa beauté et sa place dans la société, se sentait vide. Elle était prisonnière de son propre destin. Et c’était une autre princesse, Eirlys, qui avait capturé son cœur.

Eirlys.

Il y avait une époque où ce nom suffisait à adoucir les brefs instants de joie d’Isolde.

Dans le Royaume voisin de Lunaris, il y avait aussi une princesse. Eirlys. Depuis leur enfance, Isolde et Eirlys avaient été inséparables. Lors des banquets ou des alliances diplomatiques, les deux jeunes filles trouvaient toujours un moment pour s’échapper, riant et courant dans les jardins comme deux âmes libres. Avec le temps, leur amitié s’était transformée en quelque chose de plus profond. Lors de leurs promenades, leurs doigts se frôlaient, et chaque sourire échangé portait un poids qu’aucune n’osait nommer.

La princesse de Lunaris était tout ce qu’Isolde n’était pas. Si Isolde était douce et mesurée, Eirlys était vive et intrépide. Ses cheveux d’un noir jaie brillaient comme la lumière du soir, et ses yeux verts pétillaient d’une malice qui semblait toujours cacher un secret.

Eirlys, était une princesse dont la situation familiale était complexe. Née après la première princesse, mais avant le prince, elle avait toujours été perçue comme une enfant de trop. Sa famille avait espéré un fils comme deuxième enfant, mais c’était une fille. Puis, quand un garçon naquit en troisième position, Eirlys devint encore plus superflue aux yeux de ses parents. Ils ne la considéraient plus vraiment comme une héritière potentielle. Elle vivait dans l’ombre de sa sœur aînée et de son frère cadet, ses rêves étouffés par la froide indifférence de ses parents. Bien que belle et talentueuse, elle n’avait jamais eu l’occasion de briller comme sa sœur ou son frère.

Malgré cela, Eirlys n’avait jamais cessé d’aimer Isolde. Et Isolde, bien que mariée à Adrien, n’avait jamais cessé d’aimer Eirlys. Elles se retrouvaient en secret, échappant aux regards curieux du monde. Elles s’étaient promises que l’amour qu’elles ressentaient était plus fort que tout, qu’il transcenderait les frontières des royaumes et des règles. Mais l’amour entre femmes était impensable à cette époque, et elles savaient qu’il ne pourrait jamais se concrétiser. Et pourtant, elles s’aimaient. En silence, en secret, loin des yeux des autres.

Mais tout bascula un jour.

Alors qu’elles se retrouvaient derrière un buisson, dans un coin isolé du jardin, leurs lèvres se rencontrèrent, effleurant l'interdit. Elles s'embrassèrent dans un élan passionné, oubliant le monde autour d'elles, oubliant les frontières et les règles. Mais elles ne savaient pas qu’elles étaient observées. Les gardes du palais, chargés de surveiller les allées et venues des princesses, avaient vu l’instant furtif. Et en un instant, tout leur monde s’effondrait.

La nouvelle se répandit rapidement dans les couloirs du palais, et bientôt, le royaume entier en fut informé. Le roi et la reine, furieux et dévastés, convoquèrent un conseil extraordinaire. La trahison était trop grande pour être ignorée.

Mais, dans une décision qui bouleversa tout le royaume, ce ne fut pas Isolde qui fut condamnée. Malgré la douleur qu'il ressentait, le roi de Célestia n’envisagea même pas de punir sa fille. Isolde était sa seule héritière. Sa position, son statut, étaient bien trop précieux pour être remis en cause. Et elle était déjà mariée à Adrien, ce qui la plaçait dans une position plus protégée que n’importe quel autre membre de la famille royale. La princesse de Lunaris, en revanche, était un cas différent. Eirlys n’avait pas d’avenir à Lunaris. Elle n’était qu’un fardeau, une princesse inutile. Elle n’était ni héritière ni régente, et bien que son amour pour Isolde fût sincère et pur, elle ne pouvait pas être sauvée.

Le verdict fut rapidement rendu. Isolde, bien que coupable de trahison, ne serait pas exécutée. Son statut de princesse, son mariage, et le fait qu’elle fût la seule héritière de Célestia la protégeaient. Mais la princesse Eirlys, qui n’avait ni statut, ni avenir, ni place dans la succession du trône, ne reçut aucune grâce. Elle serait exécutée, et sa mort serait la punition nécessaire pour restaurer l’honneur du royaume.

Isolde, dévastée, se retrouva à regarder l’exécution de son amour, son cœur brisé en mille morceaux. Elle, la princesse à la beauté divine, et elle, la princesse inutile, étaient deux âmes liées par l’amour, mais séparées par un destin cruel. Et tandis que le couperet de la guillotine tombait sur Eirlys, Isolde pleurait en silence, sachant qu’elle ne pourrait jamais réparer ce qui avait été brisé.

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