Trop de bléssés...
Zoelie détourne le regard.
J'ai toujours admiré sa capacité à dire ce qu'elle pense. N'empêche qu'aujourd'hui, je lâche un soupir de soulagement en constatant qu'elle a retenu ses mots. La connaissant, elle aurait trouvé le moyen de donner son avis sur la Réminiscence à voix haute, devant tous les citoyens. Mais surtout devant Cassius.
Elle savait qu'elle n'avait plus qu'une chance.
J'ai connu Zoélie à l'école primaire.
Elle était l'élève parfaite, talentueuse et studieuse que tout le monde rêvait d'être. Seulement, mon amie n'aimait pas se taire. Très tôt, elle avait compris des choses dont je n'avais même pas idées, des choses qui la révoltaient.
Un jour, Zoélie avait décidé qu'elle n'irait pas à la visite du Gouvernement. J'étais moi-même très excitée à l'idée de cette sortie scolaire. Pour nous, les enfants du troisième étage, nous rendre si haut dans Subterra était une occasion à ne pas rater. J'étais si curieuse que je n'ai pas pu m'empêcher de lui demander pourquoi elle ne voulait pas y aller.
Tu sais, m'avait-elle dit, je n'aime pas Cassius.
C'était une remarque naïve et innocente, qui prouvait pourtant toute sa maturité. Cette fille me fascinait depuis la maternelle. Ce jour-là, j'ai décidé que, moi non plus, je n'aimais pas Cassius. Quand le jour de la fameuse sortie est arrivé, on s'était retrouvée au premier étage. Je n'y étais jamais allé, Maman disait que c'était dangereux. Zoélie et moi y avons passé la journée. Puis nous sommes lentement devenus amies, à force de petites rébellions et de cachotteries.
Elle me complétait, me donnant le courage de faire des choses que je n'aurais jamais osées.
Quant à moi, je la calmais quand elle allait trop loin.
Zoélie était et reste mon modèle.
Je me demande où sont mes parents. Je les cherche du regard dans la salle.
Les yeux bruns de mon père me trouvent en premier, il est de l'autre côté avec ma mère, ma sœur et quelques amis.
C'est moi ou il me fait signe ?
Je plisse les yeux.
Il m'adresse un regard pressant en agitant sa main.
Viens.
Je me tourne vers mes amis. Tristan continue son petit jeu, exagérant chaque parole de Cassius et Zoelie regarde droit devant elle, l'air grave.
Mon père tape sur l'épaule de ma mère et elle lâche un soupir de soulagement en m'apercevant. Ils continuent à me faire des signes pressants, mais discrets. Ce n'est pas comme si c'était la première fois que j'allais à la Réminiscence seule.
Les yeux de Sybil s'écarquillent.
Soudain, c'est le chaos. Une explosion résonne dans mes oreilles. Que se passe-t-il ? Des éclats de pierres volent, écrasant enfants et pauvres innocents.
Je regarde avec horreur la salle de réception se détruire en fracas assourdissants.
Des cris, des pleurs... Je ne comprends plus rien
Je me retourne, les poumons en feu.
J'avance à pas lourds vers mes parents. Je les vois là-bas, ils me semblent si loin. On dirait qu'ils m'attendent. Tristan et Zoelie ont disparu...
La masse de la foule en panique m'emporte et je n'ai plus la force de résister. J'atterris violemment au sol, une douleur aiguë me transperce le bras
L'air sent le soufre, j'ai du mal à respirer. Un gémissement rauque sort de ma gorge.
La dernière chose que j'aperçois avant de sombrer dans le noir, c'est cette lumière. La plus belle chose que j'ai jamais vue de ma vie...
***
J'ouvre faiblement les yeux. Ma bouche est pâteuse.
— Salut !
C'est qui, elle ?! Je viens d'apercevoir une grand-mère allongée dans mon lit, à mes côtés.
— Hum... Bonjour, lançai-je d'un air gêné en me retournant au plus vite.
Je regarde autour de moi. Je reconnais l'infirmerie à ses LEDs au plafond. C'est la salle la mieux éclairée de tout Subterra.
La trentaine de lits croulent sous les blessés, entassés à plusieurs par manque de place, je présume. Ils gémissent en essayant tant bien que mal de se reposer dans des draps imbibés de sang.
— Il paraît qu'ils ont touché les nappes phréatiques.
Je me tourne vers la grand-mère. Elle me sourit.
— Je vais essayer de me rendormir, rajoute-t-elle.
Je repense à ce qu'il vient de se passer. Je n'arrive pas à croire que la salle de réception vient d'exploser en pleine Réminiscence ! Je me demande qui a pu faire ça. Sûrement une personne aussi révoltée que Zoelie. Seulement, mon amie n'aurait jamais causé autant de victimes.
Ma famille et mes amis doivent se trouver quelque part dans l'infirmerie. Je me relève tant bien que mal pour essayer de les trouver. Mon bras me lance... Il est recouvert d'un bandage ensanglanté.
— Toi ! S'écrie une infirmière en me pointant du doigt d'un air victorieux.
Elle s'approche d'un pas vif.
— Tu vas bien, puisque tu arrives à t'assoir ?
Je ne vois pas en quoi s'assoir signifie qu'on va "bien". L'infirmière attend ma réponse en hochant la tête, comme pour m'encourager à répondre par l'affirmative.
— Pas vraiment, j'ai mal au bras et...
— Super, lance la femme. Tu vas pouvoir rentrer chez toi et libérer de la place. N'est-ce pas merveilleux ?
Elle me tire par le bras pour me forcer à y aller. Je me lève douloureusement et entreprends de sortir de l'infirmerie.
La femme ne me lâche pas du regard jusqu'à ce que je sois partie.
Je rentre chez moi. Il me suffit de monter au troisième étage, et je serai de retour dans ma galerie.
Je croise un enfant qui pleure. Il a sûrement perdu ses parents... Il tourne son regard vers moi. Sa petite bouille me fait monter les larmes aux yeux. Je renifle et passe devant lui d'un air indifférent.
Tu es bien trop émotive, Iris.
D'aussi loin que je me souvienne, j'ai toujours été plus sensible que les autres. À l'école, je pouvais éclater en sanglots quand un élève pleurait, sans même en connaître la raison. Tristan se moquait gentiment de moi à ce sujet.
Je pousse la porte de ma galerie. Il fait noir.
— Maman ? Papa ?
Le silence est ma seule réponse.
Je tire sur un bout de ficelle et une petite lampe s'allume.
Posé sur une armoire, je trouve un vieux miroir. Je m'observe dans le reflet. Mes cheveux châtains, plus emmêlés que jamais, tombent devant mes yeux. Ma robe déchirée laisse apercevoir une peau trop claire, parsemée de milliers de taches de rousseurs.
Derrière moi, je croise un regard émeraude.
Un seul problème.
Mes parents n'ont pas les yeux verts.
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