Dernier Acte

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Marion est une jeune actrice pleine de promesses, mais son talent reste encore dissimulé sous son innocence et son manque de confiance. Passionnée, elle est aussi naïve et avide de reconnaissance, prête à tout pour percer.
Ses traits délicats, héritage de ses années de danse classique, révèlent une grâce innée, chaque mouvement empreint de finesse. Brune, aux yeux bleus d’une intensité rare, elle dégage une émotion qui captive ceux qu’elle croise. Sa voix, douce et chargée de sensibilité, parvient à toucher profondément son auditoire. Elle porte une vulnérabilité qu’elle ignore, une fragilité qui la pousse vers des rôles émotionnellement exigeants. Malgré toute son énergie et sa détermination, elle n’a pas encore trouvé sa place sur scène. Elle cherche toujours cette étincelle, ce détail qui la rendra unique.

Quand Marion apprend qu’elle a été sélectionnée pour le rôle principal dans Les Profondeurs de l'Âme, elle est submergée par une vague d’excitation et de crainte. Ce drame psychologique intense, écrit par l'illustre Victor Lemoine, représente une opportunité unique et un défi de taille.

Elle comprend que ce rôle pourrait bouleverser sa vie, l’opportunité qu’elle a toujours rêvé d’obtenir pour prouver qu’elle n’est pas une simple figurante, mais une actrice capable de marquer les esprits. C’est sa chance de se faire enfin une place sous les projecteurs, d’effacer toutes ses incertitudes et de revendiquer la reconnaissance qu’elle mérite. Elle se prépare à tous les sacrifices pour saisir cette occasion et s’imposer dans l’univers du théâtre.

Victor Lemoine, un homme au charisme magnétique, fait une première impression inoubliable. Son charisme envahit l’espace, comme une vague invisible. Son regard pénétrant et inébranlable capte immédiatement l'attention de tous. Il dégage une prestance naturelle, presque intimidante, avec des gestes mesurés qui témoignent d’une maîtrise parfaite de lui-même. L’air qui l’entoure semble vibrer d’une puissance palpable.

Marion ne peut s’empêcher de ressentir un étrange frisson lors de leur entretien. Ce n'est pas seulement son apparence soignée et son visage d'une sérénité inquiétante qui la perturbent, c’est aussi cette capacité qu'il a à la sonder. Il la dévisage, semblant pénétrer les profondeurs de son âme, à la recherche des parts les plus cachées de son être. Ce regard, qui ne semble jamais la quitter, l'enveloppe d'une pression silencieuse, la forçant à se dévoiler sans un mot.

Victor voit une beauté brute, une authenticité qu’il pourra modeler à sa guise. Sa proposition dépasse la simple prestation ; elle incarne une transformation, une ascension vers un sommet presque irréel. Il lui décrit la pièce, lui parle des exigences qu’il aura et de leur ambition commune : créer une œuvre inoubliable. Marion est fascinée et envoûtée par cet homme. Cette quête pourrait bien être plus que ce qu’elle imaginait : un chemin, certes semé d’embûches, mais conduisant à une gloire qu'elle n'a jamais osé espérer.

Le metteur en scène lui promet un avenir radieux. « Avec ce rôle, tu deviendras une légende », lui dit-il d’un ton assuré, presque prophétique. Ces mots résonnent dans l’esprit de Marion comme un appel irrésistible. Tout ce qu’elle a toujours rêvé d’être est à portée de main. Pour cela, elle doit s’abandonner complètement, se dévouer corps et âme à la pièce. Victor la convainc qu’elle a un don unique et qu'elle est destinée à briller. Il lui parle de l’importance de puiser dans ses propres expériences pour incarner Alma, le personnage qu’elle doit devenir. Il s'agit d'une femme tourmentée, brisée par la vie, en proie à des démons intérieurs qu’elle n’ose affronter.

Marion se laisse guider, séduite par l’idée qu’elle pourra enfin toucher la vérité de son art et par cette promesse de renommée. Elle sondera dans ses propres faiblesses pour nourrir ce rôle.

Victor est obsédé par l’idée de laisser une trace indélébile dans l’histoire du théâtre. À ses yeux, Marion n’est qu’un moyen, une matière brute à façonner selon ses désirs artistiques. Elle n’est qu’un instrument pour atteindre son objectif ultime : donner vie à Alma, son chef-d’œuvre. Peu importe ce qu’il devra détruire en elle, son œuvre doit défier le temps. A ses yeux Marion n’existe pas en tant qu’individu. Ses rêves, ses émotions, ses limites n’ont pas d’importance. Il est prêt à gommer toutes les nuances de sa personnalité pour ne garder que l'image qu'il a d’Alma. Marion n’a de valeur que si elle peut devenir le reflet parfait de sa vision artistique et le véhicule de ses ambitions dévorantes.

Ce n’est pas seulement une pièce qu’il crée, c’est un monument. Et Marion, malgré son talent et sa sensibilité, n’est qu’une pierre de cet édifice, destinée à s’effacer sous le poids de son propre génie.

Les répétitions ont débuté, et Victor se comporte sur scène tel un chef d’orchestre implacable, ne cessant de demander toujours plus de Marion. Sous sa direction, elle oscille entre exaltation et terreur, plongée dans des émotions qu’elle n’avait jamais osé explorer. Poussée par son désir insatiable de reconnaissance, elle devient peu à peu dépendante de la vision qu’il a d’elle. Chaque remarque qu’il murmure, chaque regard, qu’il soit approbateur ou critique, prend une importance capitale à ses yeux, dictant ses moindres gestes, nourrissant son doute ou sa fierté. Elle se soumet entièrement à lui, cherchant sans cesse à obtenir la validation de ses gestes et de ses choix, et à répondre à ses exigences constantes.

Victor la pousse au-delà de ses limites. Il lui dit, d’une voix qui se veut douce mais autoritaire : « Tu dois explorer les recoins les plus sombres de ton cœur. Alma n’est pas un rôle, Alma, c’est toi. »

Ces mots, prononcés avec une conviction glaciale, résonnent dans sa tête comme une incantation. Elle accepte de se soumettre à cette vision, pensant que c'est dans cette recherche ineterne que réside l’essence même de l’art.

Elle croit que cette exploration de soi est nécessaire, que c’est par cette souffrance qu’elle parviendra à toucher la vérité et à incarner la pureté du rôle. Chaque conseil de Victor devient une règle qu’elle suit avec dévotion, chaque exercice un pas vers la perfection. Elle se plonge dans des souvenirs personnels et des douleurs enfouies qu’elle n’avait jamais osé affronter.

Alma devient le reflet de ses propres failles. Le rôle la transforme. Alma, la femme torturée qu'elle incarne sur scène, finit par envahir sa propre identité. Elle se perd dans cette douleur qu’elle explore sans relâche, convaincue qu’en la ressentant pleinement, elle deviendra une véritable artiste. Les moments passés à incarner ce personnage l’amène un peu plus près de la part d’elle-même qu’elle ignorait. Le rôle d’Alma absorbe toute son énergie. Elle s’abandonne à cette douleur, à cette perte, comme si c’était la seule chose qui lui permettait de se sentir vivante, de ressentir une émotion brute et sincère. Alma n'est plus qu’un personnage qu’elle joue, mais un état d’être dans lequel elle se perd chaque jour un peu plus.

Dans cette quête de perfection, Marion s’égare. Les longues heures passées à répéter ne sont plus une préparation pour la scène, mais une immersion totale dans la psyché d’Alma. Les frontières entre la fiction et la réalité se brouillent peu à peu. Elle ne sait plus distinguer les émotions qui l’habitent : les siennes ou celles de son rôle. Alma l’envahit, l’efface, jusqu’à ne laisser qu’une silhouette vacillante où Marion et son rôle ne font plus qu’un.

Les jours se suivaient, identiques, emportés dans un tourbillon silencieux. Marion s’éloignait peu à peu, non pas du monde extérieur, mais de ceux qui en faisaient partie. D’abord, ce fut l’indifférence. Les appels de ses amis restaient sans réponse, ses messages livrés à l'oubli, noyés sous une mer d’affiches, de costumes et de répliques à apprendre.

Elle n’avait plus de temps pour ses proches, plus de place dans son esprit pour ces rires partagés, ces repas familiaux où l'on parlait de tout et de rien. Marion ne les voyait plus, ou ne les entendait plus, comme si un voile s'était étendu entre elle et le monde réel. Il n’y avait plus de place pour eux. Alma, elle, exigeait toute son attention. Alma l’occupait, l'envahissait, la noyait.

Les soirées étaient devenues des labyrinthes solitaires où elle se débattait avec ses pensées. Les répliques de son personnage, murmures constants dans son esprit, se bousculaient, emportant tout sur leur passage. Elle se retrouvait seule, dans le vide de son appartement, à fixer les murs comme s’ils étaient les seuls témoins de ce qu’elle devenait. Le téléphone posé sur la table, elle le regardait sans le toucher. Elle n’avait plus de mot à dire, plus de regard à échanger. Il ne lui restait que ce rôle.

Chaque répétition est un tourment sans fin. Le corps de Marion se fatigue, et son esprit se trouble lentement sous la pression. Elle se réveille tous les matins dans un état d’épuisement, le corps lourd et l’esprit embrumé. Les frontières entre son rôle et sa réalité se brouillent de plus en plus. Elle est Alma, mais Alma est aussi en elle. Elle ne sait plus où l’une commence et où l’autre s’arrête. Les gestes et les paroles du personnage s’infiltrent dans ses interactions quotidiennes, dans ses pensées, jusqu’à devenir une extension d’elle-même. Chaque nuit, elle lutte pour trouver le sommeil, les cauchemars l’assaillent. Elle se réveille en sueur, le cœur battant, et pendant quelques secondes, elle ne sait plus qui elle est, si elle rêve ou si elle vit une réalité qui lui échappe.

Ses proches remarquent ce changement étrange. Ses amis, sa famille, ceux qui l’ont toujours soutenue, l’observent avec une inquiétude croissante. Ses parents, surtout, tentent de l’approcher, inquiets, mais Marion les repousse, perdue dans l’obsession de son rôle. Elle leur dit que tout va bien, que cette expérience en vaut la peine, que ces efforts sont nécessaires pour atteindre la perfection. Victor lui a assuré que c'était ainsi qu'elle allait briller. Sa réputation est suffisamment établie pour qu'elle lui accorde une confiance totale.

Elle commence à se couper du monde, perdant petit à petit ses repères. Les scènes deviennent sa seule réalité, son seul refuge. Alma, brisée et dévastée, envahit chaque partie de son être. Elle se laisse immerger dans cette douleur, croyant qu’en devenant Alma, elle deviendra enfin la comédienne qu’elle a toujours rêvé d’être. Les émotions qu’elle incarne ne sont plus les siennes. Alma prend le contrôle de son corps et de son esprit.

Victor, de son côté, l’entraîne sans relâche, lui rappelant qu’il faut se consacrer entièrement. Il la presse d’aller plus au fond d’elle-même, d’atteindre des niveaux de douleur et de vulnérabilité inconnus jusqu’alors. Il n’y a plus de limites, plus de retour en arrière. Marion disparaît dans la pièce, engloutie par ce rôle qu’elle croyait maîtriser. La scène devient son univers unique, elle ne se reconnaît plus dans les regards des autres, dans les mots de ses proches, dans ses propres pensées. L’actrice se fond dans la souffrance du personnage. Elle s’effondre lentement, inexorablement, une partie d’elle laisse place à une autre qu’elle ne désire pas être mais dont elle ne peut empêcher l’émergence. L’étreinte de ce rôle est trop forte, trop envahissante.

La première de la pièce débute enfin. L’atmosphère dans le théâtre est électrique ; une tension palpable flotte dans l’air. Les attentes sont immenses. Les spectateurs impatients s’imaginent déjà vivre un moment historique. Marion est prête. Du moins, elle le prétend, car la vérité est plus complexe. La scène, la pièce, Alma sont devenues son tout.

Ce soir-là, l’héroïne, incapable de redonner un sens à sa vie, doit mettre fin à ses jours, acculée par la douleur, la solitude et un déchirement intérieur que Marion incarne avec une intensité dévastatrice. Le public attend ce moment fatidique, l’apogée du drame. Marion a intégré toute la souffrance de ce rôle et se prépare à la déverser en entier sur scène.

Les mots qu’elle prononce sont un cri, une souffrance qu’elle ressent dans son corps et son âme. Elle est perdue dans cette tragédie, noyée dans cette douleur qu’elle a nourrie si longtemps.

Lorsque la scène finale arrive, l’atmosphère dans la salle se charge d’une tension palpable.

Marion, dans sa quête ultime de gloire, s’abandonne totalement. Ses gestes, d’abord précis, semblent soudainement se déformer, comme si l’acte qu’elle s’apprête à jouer échappait à son contrôle. Son corps est tendu, chaque mouvement d’une violence animale. Alma a pris possession de son corps et joue son propre rôle.

Dans la salle, chaque mouvement d’Alma retient le public. Les regards sont figés, une tension palpable envahit l’assistance. L’air devient lourd, presque étouffant, tant l’intensité de la scène imprègne l’espace. Tous les yeux sont rivés sur Alma, hypnotisés par l’abîme dans laquelle elle se perd. Un silence lourd s’installe, la pièce semble engloutir ses acteurs, tandis que le public retient son souffle, pris dans l’étreinte de l’instant.

Dans les coulisses, Victor observe avec satisfaction le fruit de son travail se déployer sous ses yeux. Il est le maître d’orchestre, et son chef-d’œuvre, enfin réalisé, prend vie sous ses yeux.

Son regard est glacial, presque clinique, tandis qu’il observe Marion se perdre dans la souffrance qu’il a lui-même sculptée. Il jubile, sûr de lui et de sa création. L’humanité n’a pas sa place dans son regard, juste l’orgueil démesuré d’un homme convaincu d’avoir façonné une œuvre magistrale qui marquera l’apogée de sa carrière.

La salle est pétrifiée lorsqu’Alma enfonce le couteau dans son ventre. Un cri de douleur, glaçant et perçant, déchire l'air, alors que le sang se répand lentement sur la scène. Elle aperçoit, satisfaite, l'horreur sur les visages du public, figés, les yeux écarquillés, incapables de détacher leur regard. L'instant semble suspendu, mais lorsque le couteau se retire, le bruit du métal sur le sol résonne comme un coup de tonnerre dans le silence écrasant. La scène, envahie par l’horreur, se transforme en chaos. Des murmures affolés s’élèvent parmi le public, des souffles suspendus, une agitation nerveuse qui se propage dans la salle. Les spectateurs, sidérés, restent cloués à leurs sièges, les yeux rivés sur la scène dévastée. Les visages se crispent, les mains tremblent, une tension électrique traverse l’assemblée. L’air est saturé d’une terreur palpable, et la pièce semble suspendue dans un autre temps.

Alma est morte.

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