Le secret de la princesse
La princesse avait un secret : même la reine ne le connaissait pas. Il s'appelait Eole. Elle l'avait rencontré dans des circonstances particulières, plusieurs années auparavant.
Elle était en train de s'amuser avec des amies, dans un coin du parc du château. Une balle atterrit au milieu des jeunes filles, venant semblait-il de nulle part. La princesse comprit rapidement : cette balle avait passé la muraille haute de plusieurs dizaines de mètres, entourant le château. L'objet venait de la cité, probablement des enfants du peuple qui jouaient à un de leurs jeux. Alizée entendit une voix issue de l'autre côté de la muraille :
- héoh, y'a quelqu'un, j'ai perdu mon ballon !
C'était la voix d'un garçon, une voix enfantine, probablement du même âge qu'Alizée. La jeune fille se demanda si elle pouvait répondre à un garçon du peuple. Puis elle dit :
- Oui, il est là.
- Je vous entends très mal, mademoiselle !
Cela lui faisait drôle de s'entendre appeler ainsi. Mais ça la gênait de reprendre le garçon, et de lui ordonner de la nommer « princesse ». C'étaient pour elle des manières trop brutales. Alors elle répondit simplement, cette fois-ci en criant :
- Oui, il est là !
- Vous pouvez me le renvoyer, s'il vous plait ?
Alizée regarda la hauteur du mur : elle ne voyait pas comment elle pourrait lancer la balle aussi haut. La jeune fille se demanda qui avait pu envoyer cet objet par dessus la muraille. Elle baissa les yeux : ses amies la regardaient, ne sachant quoi faire. Alizée décida de prendre la balle, et de la lancer fort au dessus de la muraille. Mais l'objet ne parcourut pas plus de cinq mètres, et rebondit sur le mur. Elle pensa à appeler le garde, posté non loin d'elles pour intervenir en cas de besoin. Elle le renseigna sur la situation et il lui dit de ne pas s'inquiéter pour une balle d'un enfant du peuple. Mais la princesse insista, alors il prit la balle et essaya de l'envoyer par dessus le haut mur. Lui non plus ne parvint pas à lui faire franchir l'obstacle. La princesse s'étonna qu'un simple garçon ait pu faire preuve d'une telle force. Elle voulut en avoir le cœur net :
- C'est vous qui avez envoyé le ballon ?
- Oui !
C'est à ce moment là qu'elle commença à s'intéresser à cet étrange garçon. Alizée voulait lui rendre service, alors elle alla chercher l'homme réputé le plus fort du royaume : le capitaine des gardes du roi, en personne. Lui réussit à renvoyer la balle, mais il dut s'y reprendre à deux fois. Le garçon intriguait fort la princesse : comment un enfant pouvait il se montrer aussi fort que le capitaine des gardes lui-même ? Elle fut tirée de sa réflexion par une voix :
- Merci, mademoiselle, vous êtes bien gentille et bien forte !
La princesse rit sous cape : il croyait que c'était elle qui avait renvoyé la balle. Cet épisode laissa une trace durable en Alizée. Par la suite, elle chercha à se rendre souvent dans ce coin du parc, pour essayer d'entendre à nouveau le garçon, qui devait sûrement jouer régulièrement à cet endroit. Et comme le garçon cherchait exactement la même chose, ils se retrouvèrent. Alizée savait qu'il ne pouvait l'entendre que si elle criait. Alors, arrivée près du haut mur, quand la voix du garçon lui parvint, elle se mit à crier pour se faire entendre. Ses amies la regardèrent avec étonnement, mais elle persista, et comme elle était la princesse, elles se mirent à crier aussi. Et ainsi, Alizée pouvait entendre la voix du garçon, et lui pouvait écouter la sienne.
Ils passaient régulièrement du temps l'un non loin de l'autre, séparés tout de même par une haute muraille. Mais quand la princesse passait plusieurs jours sans entendre sa voix lointaine, elle s'ennuyait de lui. Elle apprit qu'il s'appelait Eole, et lui confia qu'elle se prénommait Alizée. Elle ne savait s'il avait deviné qu'elle était la princesse. On lui avait dit qu'elle ne devait pas parler aux gens du peuple, mais Alizée ne pouvait rompre le lien avec Eole. Comme la jeune fille se fatiguait rapidement de lui parler en criant, elle avait demandé à son père un objet pour amplifier la voix, et avait été obligée de lui mentir sur l'usage qu'elle en ferait. Alizée pensait souvent à des moyens de parler à Eole face à face, mais comment faire tomber la haute muraille ? Et si elle essayait de creuser un trou dans le mur, les gardes s'en apercevraient immédiatement. D'ailleurs, la jeune fille ne se sentait aucunement de force à creuser dans ce mur. Et si c'était Eole qui s'en chargeait, il serait sûrement arrêté pour tentative d'intrusion dans le château.
Puisqu'ils ne pouvaient se voir, la princesse s'était fait fabriquer par un savant du château un objet, ressemblant à un lance-pierres, mais qui lançait plutôt des boules de papier. Et elle avait pu alors faire parvenir à Eole un dessin la représentant. Il lui avait envoyé en retour une petite effigie de pierre le figurant. Et ils cherchaient constamment des idées pour faciliter leur contact.
Il y avait un grand arbre dans ce coin du parc du château, situé à 15 mètres environ du haut mur, qui dépassait en hauteur la muraille. Alizée apprit par Eole qu'en face de cet arbre, un autre s'élevait de l'autre côté du mur. S'ils pouvaient grimper chacun à chaque arbre, ils pourraient se voir, même si c'était de loin, à environ 10 mètres de distance. On se mit d'accord pour essayer de monter aux deux arbres. Eole y parvint rapidement, grâce à sa force. Mais pour Alizée, ce fut plus difficile. La première fois qu'elle s'y essaya, la jeune fille ne put passer que trois branches. Après elle était trop fatiguée, et avait trop mal aux bras pour poursuivre. Et même elle dut appeler un garde pour venir la récupérer, n'ayant plus assez de forces pour pouvoir redescendre.
Cette première expérience la refroidit nettement. Mais Alizée voulait voir Eole, alors elle chercha un moyen pour pouvoir monter plus haut. Il y avait au château un homme, chargé de l'entrainement physique des soldats. La princesse alla le voir pour lui demander des conseils. Il lui dit qu'elle devait faire des exercices des bras, afin qu'ils deviennent plus forts. Après avoir parlé au roi et à la reine pour obtenir leur accord, il concocta un programme d'entrainement spécial pour la jeune princesse. Chaque jour, elle passait une demie-heure à s'entrainer. C'était le cours qu'Alizée préférait. Elle ne voyait pas l'intérêt d'apprendre la politique ou l'équitation, mais percevait très bien l'utilité d'entrainer ses bras.
Régulièrement, la jeune fille essayait de grimper au grand arbre du parc, et constatait avec satisfaction qu'elle arrivait toujours un peu plus haut. Son record était pour le moment de 5 mètres, alors que l'arbre mesurait environ 30 mètres. A chaque tentative, Alizée appelait Eole, qui pouvait l'entendre de sa maison située près de la muraille, et il l'encourageait. Une nuit, la princesse se réveilla au milieu de l'obscurité. Sa chambre était si tranquille, la lumière de la lune entrait par la fenêtre, et le vent faisait légèrement trembler les volets. Elle pensait à un moyen normalement imparable de monter tout en haut du grand arbre. Puisqu'elle était capable d'atteindre 5 mètres, il lui suffisait de construire une cabane à cette hauteur de l'arbre, pour pouvoir s'y reposer, et même dormir. Ainsi le premier jour, elle grimperait 5 mètres, et se réfugierait dans la cabane. Le deuxième jour, elle monterait 5 autres mètres, et il y aurait une autre cabane, située à 10 mètres de hauteur. A nouveau, elle se reposerait dans le deuxième refuge. Et tous les 5 mètres, dans l'arbre, il y aurait une nouvelle cabane, et ainsi jour après jour, elle l'escaladerait comme on gravit une montagne. Et au bout de 6 jours, Alizée aurait atteint, enfin, le sommet de l'arbre, et la jeune fille verrait Eole, tout près d'elle, comme une récompense à tous ses efforts. Et elle lui sourirait car elle ne serait pas fatiguée. Bien sûr, pour que ce beau rêve puisse survenir, il fallait construire 5 cabanes dans l'arbre. Et c'était là que, selon elle, son rêve ne pouvait se cristalliser en réalité. Car si on accepterait probablement de lui fabriquer une cabane, elle doutait qu'on lui en construise 5, même si elle était la princesse.
Alizée soupira profondément, alla à la fenêtre et l'ouvrit. Elle se tourna dans la direction du coin du parc. La jeune fille pouvait apercevoir la cime du grand arbre, gigotant sous l'action du vent. Elle était la princesse, pouvait obtenir tout ce qu'elle voulait, mais pas voir son ami, comme les autres jeunes filles. Que faisait Eole à cet instant ? Etait il éveillé ? Pensait il à elle, s'imaginant lui aussi perché en haut de son grand arbre, la regardant et lui souriant ? Alizée songea qu'ils étaient tous les deux les seuls éveillés durant cette belle nuit, pendant que toute la ville dormait, et ils rêvaient l'un de l'autre. La jeune fille resta encore quelques temps à rêvasser à la fenêtre, puis elle s'aperçut soudainement qu'elle avait froid, et tremblait. Elle frissonnait, mais étrangement ce n'était pas désagréable. Alizée ferma la fenêtre, et se recoucha. Elle eut du mal à se rendormir cette nuit-là.
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