Chapitre 2 : le bureau des inscriptions

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Des bâtiments en pierre grisâtre nous entouraient de part et d'autre. Certains plus hauts que d'autres. Cela ressemblait à une ville normale sauf par son caractère désert; nul véhicule, nulle personne dans les environs. Je ne savais pas vraiment à quoi je m'étais attendue mais sûrement pas à quelque chose d'aussi banal. J'en étais presque déçue. Après tout, une majorité de gens rêverait de vivre une aventure hors du commun et cela aurait pû être là l'aventure de ma vie. Mais dans un tel endroit, j'en doutais fortement. Oh, comme je me trompais alors.

Plus loin, j'aperçus notre groupe devant une grande demeure à l'architecture antique qui régnait avec prestance au coin de la rue. Majah la femme bleue nous fit un petit signe de main pour nous enjoindre à la rejoindre. Encourageant mon amie, nous avançâmes vers elle sans jeter un regard en arrière. Sans voir que le portail venait de se refermer. Sans penser qu'il restait encore une personne derrière, à attendre quelqu'un qui ne viendrait jamais...

— Bien. Maintenant que vous êtes tous réunis, je vous emmène dans le bureau des inscriptions.

— Le bureau des inscriptions ? lança Yeux de saphir (je le surnommai ainsi, ne connaissant pas son véritable nom), mais à quoi s'inscrit-on ?

Majah sourit de toutes ses dents.

— Mais, à La Grande Odyssée bien sûr !

Nouveaux regards interrogatoires entre nous. Voyant nos mines surprises, Majah poursuivit :

— Tout vous sera expliqué à l'intérieur : les épreuves, les règles, la récompense, les…

— C'est donc un jeu, c'est ça ? Interrompit la rouquine. Laissez-moi vous dire que ça ne m'intéresse pas du tout. J'aimerai rentrer chez moi !

— Moi non plus, je ne veux pas jouer ! Qu'est-ce qu'on fait ici ? D'ailleurs où est-on exactement ? Pourquoi est-on habillé de cette façon ? Rajouta la fille à la peau cuivrée.

Majah parut décontenancée quelques secondes. Son regard se fit songeur, lointain. Puis, devant le flot de questions elle finit par répondre, comme toujours, avec un sourire :

— Ne vous inquiétez pas, tout se passera bien. Il m'est impossible de vous ramener là d'où vous venez, mais à l'intérieur vous pourrez poser vos questions et vous obtiendrez vos réponses.

Majah se mit à gravir des marches qui menaient à de grandes portes entourées de colonnades délicatement ouvragées malgré la force qui s'en dégageait. Je ne pus m'empêcher d'admirer le travail de sculpture. Nous la suivîmes, en silence à présent.

J'étais restée muette ; je gardai mes interrogations en attendant le bon moment pour les poser. Pourtant, les pensées affluaient dans mon cerveau. Tout cela pour un jeu. Je demeurai perplexe. Comment avaient-ils pu nous effacer la mémoire ? C'était impossible !

Je jetai un dernier coup d'oeil en arrière. Les bâtiments étaient tous construits en cercle autour d'une immense place au centre de laquelle se dressait le portail de téléportation. Celui-ci n'émettait plus aucune lumière. Il ne ressemblait plus qu'à une simple porte de pierre. Sa technologie m'intriguait tout autant que le reste : sa capacité à nous transporter d'un endroit à un autre était fascinante. Rien que pour avoir vécu pareille expérience j'étais satisfaite d'avoir osé traverser. "Il aurait dû venir avec nous au lieu de rester tout seul" pensai-je avant d'être parcourue de frissons. J'avais oublié mon camarade prisonnier derrière le portail ! Vite, je grimpai les marches afin de rattraper Majah, lui pris le bras et la suppliai :

— Non ! Attendez ! Il faut qu'on retourne au portail et que vous l'activiez à nouveau ! Un garçon du groupe a préféré attendre de l'autre côté. Il faut que vous le renvoyiez chez lui ou le rameniez ici, avec nous !

Majah eut l'air vraiment attristé. Elle secoua la tête.

— S'il est resté dans le monde des brumes alors il est perdu. Personne ne pourra le ramener.

— Mais vous avez bien une incantation comme tout à l'heure : on rouvre le portail, on le récupère et on revient ! insistai-je.

— Cela ne marche pas de cette façon. Je suis désolée pour lui. Il a fait son choix.

J'étais effarée.

— Vous ne comprenez pas, je lui ai donné ma parole que quelqu'un le reconduirait chez lui. Il va rester là-bas pour l'éternité alors ?

— Il peut errer longtemps, en effet. Dans le monde des brumes, la notion de temps n'existe pas. Un jour, avec de la chance, il pourra peut-être en sortir. Vous lui avez fait une promesse que vous ne pouviez pas tenir. Vous auriez dû vous en abstenir même si c'était probablement dans un but louable.

Choquée, je m'immobilisai tandis que tous rentraient par la porte, ouverte comme par magie. En voulant le rassurer je l'avais condamné. C'était ma faute. J'aurai dû le convaincre de venir avec nous. Une main se posa sur mon épaule et la voix de Yeux de Saphir me parvint à l'oreille, dans un chuchotement.

— Ne culpabilise pas trop. Il n'aurait jamais traversé, peu importe ce que tu aurais pu lui raconter. Allez viens, notre guide a ouvert ce fameux bureau des inscriptions.

Il avait raison, je le savais mais je ne pouvais m'empêchais de me sentir mal. Pour autant, je le suivis sans rien ajouter. Nous entrâmes à l'intérieur.

Le hall était immense et se composait de cabines de verre placées de façon circulaire, une personne se trouvait à l'intérieur de chacune d'entre elles. Le sol était en marbre ou quelque chose approchant et le plafond, vraiment haut, se terminait par une coupole, en verre elle aussi. La voix de Majah se fit à nouveau entendre.

— À présent, chacun de vous va se diriger vers un des six boxes, il y en a un par personne même si vous n'êtes plus que cinq désormais. Vous suivrez les consignes qui vous seront communiquées à l'intérieur. Je vous rejoindrai plus tard pour vous présenter aux autres.

Aux autres ? pensai-je, alors nous n'étions pas seuls. Je ne savais pas pourquoi mais cela me rassurait. Peut-être en sauraient-ils plus ? Je me dirigeai vers un box au hasard. Une autre femme bleue, plus vieille que Majah, m'y attendait derrière la vitre. Elle leva ses yeux, noirs cette fois, vers moi.

— Votre doigt ici, s'il vous plaît, ordonna-t-elle en me montrant un disque de verre percé d'un trou au centre.

Je tendis ma main sans comprendre. Une piqûre se fit rapidement sentir. Je voulu retirer mes doigts par réflexe mais une force invisible m'en empêchait. Une goutte de sang perla sur une petite boule de cristal transparent et s'y fondit sans laisser de traces, comme aspirée à l'intérieur. Alors que je m'en étonnais, la dame prit ce cristal et l'enserra dans un pendentif de métal doré en forme de losange. Elle me le tendit. Je récupérai ma main.

— Une fois que vous l'aurez mis autour du cou, ne l'enlevez pas. Il vous sera vital jusqu'au bout. Et unique.

— A quoi sert-il ? L'interrogeai-je en examinant le dit-pendentif puis je l’accrochai à mon cou.

— Il contient votre mémoire, votre identité, entre autres.

Je sentais le cristal vibrer sur ma poitrine. Sensation grisante d'être complète malgré ma mémoire, toujours absente.

— Comment un cristal peut-il contenir ma mémoire ? Demandai-je autant intriguée qu'intéressée.

Elle leva les yeux au ciel et prit un air blasé comme si je lui avais posé la même question à plusieurs reprises.

— Toujours les mêmes questions… le cristal de roche est un excellent réceptacle des mémoires et un amplificateur d'énergie. C'est pour cela que nous l'utilisons en de multiples occasions. C'est tout ce que vous avez besoin de savoir, vous découvrirez le reste vous-même. Voici votre badge, ajouta-t-elle en me donnant un morceau de tissu où on pouvait lire l'inscription n°6. C'est votre "nouvelle" identité à Terra Ytris. Appuyez-le contre votre coeur, sur votre tenue.

En l'approchant de ma poitrine, le tissu fut immédiatement absorbé à ma combinaison pour ne faire qu'un. Nulle trace de couture ou de colle.

— Incroyable ! Ne pus-je m'empêcher de crier, comment une telle chose est-elle possible ?

— Beaucoup de choses vous paraitront certainement impossibles mademoiselle n° 6, mais sachez qu'ici tout est possible. Même pour vous, ajouta-t-elle en hésitant. Bien, notre entretien est terminé, je ne saurai répondre aux autres questions qui vous brûlent les lèvres.

Au moment où, pourtant, je m'apprêtai à en poser une ou deux, notamment sur ma nouvelle identification "n°6", la cabine me repoussa à l'extérieur et devint opaque. La dame avait disparu. Je me retrouvai assise sur le sol en marbre du hall, interloquée. Plusieurs de mes camarades m'avait rejoint par terre, dont Yeux de Saphir (dénommé n° 5 apparemment au vu de son badge), rejetés par la même force invisible. Seules quelques cabines étaient encore transparentes. A priori leurs occupants n'avaient pas terminé, eux. Une fois tous réunis, une porte au fond de la salle, que je n'avais pas remarqué jusque là, s'ouvrit alors et une lumière diffuse en émergea. Hypnotisés par celle-ci, nous avançâmes droit vers elle et y entrâmes.

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