De la pluie et du jazz
Quelques notes de piano, enveloppées de la mélancolie d’une trompette fatiguée. Une pluie fine s’écrase doucement sur la tôle, s’écoule lentement dans les gouttières encombrées, perle sur les vitres embuées. Un lieu reculé, sans âge, au fond d’une venelle étroite, remarqué seulement les jours d’ennui. À l’intérieur, il fait bon. L’odeur du bois, du café torréfié et de la bière encore fraîche pénètre dans les narines sitôt entré.
Il n’y a pas foule comme toujours. Quelques artistes anonymes, une poignée d’âmes charitables, deux ou trois hères en quête de rédemption, une femme en robe rouge sirotant un mojito sur le zinc, voilà tout. Entre les longues tables en pin et le comptoir cuivré, un habitué regagne la froide nuit d’hiver. Le café ne paie pas de mine, mais on le quitte toujours à contrecœur.
Ce soir, sur la scène encoignée, le pianiste est d’humeur morose. Son doigté est lourd, ses notes éparpillées. Il digère une rupture amoureuse, que les élans tristounets des cuivres magnifient. Même dans le spleen, des traces de beauté demeurent. Leur mélodie tourbillonne autour de la rampe d’un escalier en vis proche, s’envole vers la mezzanine chargée de livres. Enfoncé dans un fauteuil en cuir, là-haut, un poète compose un nouvel Idéal.
Quelques notes sur un piano, un sonnet dans un carnet, le chant des mouettes dans le lointain. Non, le café ne paie pas de mine, mais l'on s'y plaît à rêver d’univers entiers. Alors sirotez donc un dernier café, avant la fin du blues.
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