Chapitre 4/4
Tout était en place. La nuit arrivait avec son lot d’angoisse. Les deux hommes grignotèrent quelques chips et cacahuètes arrosées d’un apéritif.
– Je t’ai préparé une des chambres d’amis. Celle à côté de la mienne. Ça te va ? On n’allait quand même pas dormir ensemble.
– Non merci. Je tiens à ma réputation, dit-il en riant. La nuit risque d’être longue…
Après quelques verres, ils montèrent se coucher.
Tom vit les heures défiler : minuit, une heure, deux heures, puis s’assoupit. C’est une odeur pestilentielle qui le tira des bras de Morphée. Elle lui piquait le nez et lui arracha des larmes sous ses paupières closes. Il ouvrit les yeux. Là, à dix centimètres de son visage, la face décomposée d’une morte le fixait avec avidité. Un léger rictus se dessinait sur sa bouche. Son haleine était chargée de relents d’œuf pourri et de viande en décomposition. Un gros ver blanc jaillit de son oreille pour retomber avec lourdeur sur l’oreiller. Tom hurla et bondit en arrière. Il dégringola du lit et sa tête frappa la commode en chêne massif. Un million d’étoile dansèrent devant ses yeux. Il entendit quelque chose tomber lourdement à terre de l’autre côté du lit. Tom se cala le dos au meuble en se poussant avec les mains. Le corps de la femme lui apparut au pied du lit. Il rampait sur le sol tel un serpent. Il se contorsionnait de droite à gauche, tête redressée dans un angle improbable, à une vitesse hallucinante, et d’horribles gargouillis ponctuaient ses mouvements. Arrivé à la porte, il bondit sur ses pieds en position accroupie, comme aidé par un ressort invisible, ouvrit la porte, et disparut en un éclair en gardant son improbable posture. Le martèlement des pieds résonna sur le sol à une cadence effrénée. Puis la lumière jaillit et John se précipita vers lui.
– Bon dieu, ça va Tom ? Que se passe-t-il ?
– La créature, bégaya-t-il. C’est la femme morte de la peinture. Elle était là… Allongée à côté de moi.
Il tremblait comme une feuille. Une énorme bosse s’était formée à l’arrière de son crâne.
– Tu aurais vu ça, bordel ! Un démon sorti de l’enfer. Putain !
– J’ai vu une forme courir dans le couloir en sortant de ma chambre. On aurait dit une énorme araignée.
– Elle se déplaçait accroupie bordel ! jura Tom.
L’odeur nauséabonde embaumait encore toute la pièce. John alla ouvrir la fenêtre en se pinçant le nez.
– Il faut descendre et vérifier l'enregistrement. On mettra de la glace sur ton crâne par la même occasion.
John aida son ami à se relever qui avait du mal à tenir debout. Il dut le soutenir.
Le couloir était calme. Les deux compagnons se tenaient l’un à côté de l’autre: l’union fait la force. Ils s’arrêtèrent en haut de l’escalier. La maison était silencieuse. Ils se dirigèrent directement dans le salon la peur au ventre. Arrivés en face du tableau, ils tressautèrent à l’unisson.
– Putain de merde, fit Tom en écarquillant les yeux à se les faire jaillirent de la tête. Où est passée la gamine ?
La toile présentait la dépouille de la mère sur son lit mortuaire, mais la petite fille n’y était plus. John sentit les poils de sa nuque et de ses bras se hérisser. Avant même de pouvoir analyser la situation, un clapotis s’éleva de la salle de bain.
– Oh nom de Dieu, dit John. Elle est dans la salle de bain… dans la baignoire… C’est un putain de cauchemar, merde!
Il saisit un tisonnier près de la cheminée puis tous deux allèrent vers la pièce d’eau.
Le bruit s'intensifia. On tapait joyeusement à la surface de l’eau. La porte était entrouverte. John l’ouvrit en la poussant avec le pied. L’enfant était bel et bien dans l’eau et leur tournait le dos. Elle semblait les ignorer. Ils pénétrèrent en silence dans la pièce en se lançant des regards effrayés.
– Petite ? fit Tom. Eh petite ? Ça va ?
Elle se figea puis sanglota. Un sanglot qui partait très bas et montait doucement vers les aigus. Ils s’approchèrent de la baignoire. Les pleurs se transformaient en une plainte hystérique. Quand ils atteignirent le rebord, elle se retourna avec violence. Les deux amis reculèrent et heurtèrent le mur en tombant sur leurs fesses. Les orbites de la gamine étaient vides et noirs. Elles s’étendaient anormalement vers le front et les joues. La bouche affichait un O démesuré d’un noir abyssal. La fillette jaillit de l’eau comme un singe et s’accroupit sur le bord de la baignoire. Les deux hommes hurlèrent. Elle se retourna et grimpa au mur comme si elle possédait des ventouses. Arrivée sur le plafond, elle continua son manège. Ses cheveux châtains pendaient et gouttaient sur le sol. Ses sanglots se muait en un un rire démoniaque. Elle tournait à une vitesse prodigieuse. De la bave suintait de sa bouche et tombait sur le carrelage. Puis, elle chuta avec grâce et se précipita vers le salon. Aucun des deux hommes ne soufflait mot, Ils étaient tétanisés par la peur. Au bout de deux longues minutes, ils se relevèrent.
– C’est pas croyable fit John. Jamais vu un tel truc.
– Et moi qui avais un doute, fit Tom. Putain, je crois que je me suis pissé dessus, mec.
Son ami ne lui répondit pas. Ils retournèrent vers le salon, angoissés. La petite avait retrouvé sa place dans le tableau. Pas besoin de vérifier la farine sur le sol, totalement piétinée.
– On attend le jour et on la brûle. Au diable mes trois millions, dit John.
Tom acquiesça de la tête.
Ils s’installèrent dans le salon pour examiner les vidéos. Tom avança le film jusqu’aux phénomènes. D’un coup, l’image se distendit et devint neigeuse.
– Là, il se passe quelque chose, constata John. Putain, c’est bien ce que je te disais avec le magnétisme.
La qualité visuelle se dégradait, mais on pouvait voir clairement la petite fille sortir du tableau, tel un fantôme. Elle jetait un regard à la caméra avec un sourire de possédé. Les couvertures du lit se soulevèrent et la mère suivit le même chemin que l’enfant. Elle bondit à pieds joints sur le haut du canapé et tourna la tête comme un animal curieux en regardant également la caméra. Elle sauta à terre et monta vers les chambres.
– Putain, on a notre preuve. Un film comme cela, personne n’en a jamais fait, s’écria Tom.
– T’as raison, mais en ce moment c’est vraiment le dernier de mes soucis. Je m’en cogne complètement de savoir si on va nous croire ou pas. Je veux sortir d’ici au plus vite et me débarrasser de cette abomination, dit-il en pointant le tableau du doigt.
– Pareil pour moi.
– Tu ne veux pas qu’on foute le camp d’ici ? On reviendra à l’aube.
– John, dans à peine trois heures le jour se lèvera. Et je pense que plus rien ne se passera maintenant.
– Oui, je le crois aussi. Et je ne suis pas en état de conduire.
Ils se serrèrent l’un contre l’autre dans l’attente de l'aube.
Vers les sept heures du matin, John se réveilla. Il avait curieusement cédé face à la fatigue. Il se souvint des quatre heures puis plus rien. Comme si le marchand de sable lui en avait envoyé une pleine poignée. Il jeta un œil à son ami qui ronflait doucement. L’horreur de la veille lui revint à l’esprit, en supposant qu’elle ne l’ait quitté. Il regarda le mur où l’œuvre était suspendue.
– Putain de merde ! hurla-t-il faisant sursauter Tom.
– Que… quoi, bredouilla ce dernier.
– Elle a disparu, nom de dieu, elle a disparu !
L’éditeur se releva d’un bond et constata la véracité des propos du milliardaire.
– Oh va chier !
La porte d’entrée était ouverte. Des traces de pas enfarinés, d’adulte et d’enfant, franchissaient le seuil. John se précipita dehors et fouilla les alentours en vain. Le tableau et ses occupants avaient disparu. Il appela son ami.
– Plus rien, plus aucune trace. Ils ont disparu.
Tom était dépité.
– Sur un site, il mentionnait ce phénomène. Il semblerait que l’œuvre se soit volatilisée plusieurs fois au cours de ces dernières années. Bien entendu sans que leurs propriétaires ne déclarent son vol… Tu penses bien.
– Tu m’étonnes, c’est plutôt une bonne nouvelle non ? On est débarrassé de cet enfer.
– Oui c’est clair. De ce que j’ai pu lire et, d’après les interprétations des spécialistes de sciences occultes, la mère et la fille ne trouvant pas le moyen d’éliminer leur propriétaire, sortent de la toile pour l’emporter ailleurs… Bien souvent, un particulier retrouve la peinture dans son grenier, enfouie sous quelques cartons. De là, il la fait expertiser, et l’histoire repart. Dans notre cas, je pense que l’idée de la faire brûler a fait fuir les entités…
– Le cauchemar n’est donc pas fini. D’autres personnes rencontreront ces démons et auront peut-être moins de chance que nous. Il faut lancer une alerte. Que le monde…
Il se tut brutalement reconnaissant la bêtise de ses propos.
– Oui, tu comprends : impossible à expliquer.
– On peut toujours montrer le film ? Des spécialistes pourraient prouver qu’il n’est pas truqué ?
Tom se précipita dans la maison:
– Putain le film !
Bien évidemment, il n’y était plus…
Février 2030, Mr Macormack, qui avait hérité de son grand oncle d’un magnifique tableau la veille dans l’aprés-midi, fut extirpé d’un profond sommeil par des pleurs provenant de son salon. Il alluma la lampe de chevet, puis se dirigea vers le salon…
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