L’Œuf.
Le premier avril deux mille dix-huit à dix heures trente-deux, des enfants découvrirent l’œuf.
Ce pourrait être un poisson d’avril, mais cette année-là c'était le dimanche de Pâques. Ce pourrait donc être une découverte parmi des centaines de milliers d’autres. Mais il est ici question de l’Œuf.
Dans les jardins du château de Vaux-le-Vicomte, une dizaine d’enfants, venus pour la traditionnelle chasse aux œufs, s’arrêtèrent stupéfaits dans une contre allée. Là devant, eux à moins de deux mètres, dans la forêt ils observaient un énorme, comme ils n’en avaient jamais vu. Il était de proportions ordinaires, mais haut de soixante-dix centimètres. Ils commencèrent à se chamailler : « je l’ai vu le premier – non c’est moi – etc. ». Des Parents les rejoignirent, mais quand ils remarquèrent la taille de l’œuf et sa couleur dorée, ils se disputèrent à leur tour.
Alerté par l’attroupement et l’agitation qui y régnait, un agent de sécurité décida d’intervenir avant que l’altercation ne dégénère en pugilat. L'arrivée de l’homme en costume de laquais renaissance portant une perruque ramena le calme chez les adultes et fit rire leur progéniture. Professionnel, il contint son étonnement, informa ses interlocuteurs qu’il ne s’agissait pas de l’œuf doré donnant droit à deux places pour les fameuses soirées aux chandelles du château.
Le public s’étant dispersé il s’empressa d’aviser sa hiérarchie de la présence de cet… objet, qui : « n’était pas là lors de la dissémination des œufs destinés aux enfants, il y a moins d’une heure ». L’intendant se précipita pour voir l’œuf, il alerta monsieur le comte. Le bouche-à-oreille faisant son office, il y avait foule pour se selfier devant la chose. À onze heures sept lorsque le comte arriva, les réseaux sociaux avaient diffusé plusieurs milliers de photos et vidéos de l’Œuf.
TF1 et France 2 y consacrèrent l’essentiel de leurs « 13 heures » après avoir expédié la bénédiction urbi et orbi en ouverture. Les spéculations allaient bon train, les traditionnels experts argumentaient, « Encore un cadeau de de Jeff Koons » avançait l’un, « C’est un lancement publicitaire copié sur celui d’Elf au printemps 1967 » répliquait le second, « Ne parlons pas enco… maintenant de miracle » tentait le prêtre invité pour commenté l’intervention papale. Les « 20 heures » continuèrent à spéculer sur les mêmes pistes, y ajoutant celle d’un ufologue qui hésitait entre OVNIS et LGM.
Lundi deux, l’œuf fit la couverture du time, un ornithologue du Muséum national d’histoire naturelle, confirma qu’il s’agissait bien d’un œuf, mais que sa coquille était constituée d’une inédite calcite aurifère. Haut de soixante-neuf centimètres d’un diamètre de cinquante-quatre, il pèse plus d’un quintal. Les stars des 13 et 20 heures avaient interrompu leurs week-ends à rallonge pour animer les débats. La majorité des experts considéraient qu’il s’agissait bien d’un œuf, mais de quoi ? Ils rejetèrent l’oiseau-éléphant de Madagascar dont l’œuf détenu à Londres étant quinze fois plus petit. Ils firent de même pour les dinosaures, l’un envisagea les dragons, d’autres diverses chimères, le dernier affirma qu’il s’agissait de l’expérience d’un savant fou. La minorité se gaussa de la calcite aurifère qui n’existait pas, argumenta sur le second mystère : comment la chose est-elle arrivée là où elle fut découverte, « parce que si c’est un œuf comment se fait-il que personne n’ait vu le gigantesque animal qui l’aurait pondu, et comment un tel animal aurait-il pu s’introduire entre les arbres ? » Certains crièrent à la mystification publicitaire le comte serait complice « quoi que ce soit il a fallu un engin pour le transporter ! » les conspirationnistes affirmèrent que l’œuf n’était pas plus réel que l’alunissage d’Apollo 11, qu’il s’agissait de montage Photoshop à la portée d’un enfant.
Mardi trois, un membre de “the Bangor University Herpetological Society” conclut, également, qu’il s’agissait d’un œuf et confirma la particularité de la coquille. Maître J Tanttou, couru les matinales, les chaînes d’infos en continu, les JTs, il revendique au nom de ses clients regroupés dans « l’association des inventeurs du l’œuf » – dont un de ses collaborateurs a déposé les statuts – la propriété de la moitié de la valeur du trésor qu’ils ont découvert, en vertu de l’article 716 du Code civil. Arguant ses clients, ayant acquitter un droit d’entrée, se trouvait légitimement sur les lieux de leur découverte, qu’ils n’effectuaient aucune tâche pour le compte du propriétaire desdits lieux, et qu’enfin ledit propriétaire des lieux reconnaît tout ignorer du trésor. Ce qui fit bien entendu polémique.
Le mercredi quatre vit naître un sujet de discorde entre scientifiques : que devait-on faire de l’œuf ? Le Muséum national d’histoire naturelle revendiquait sa priorité d’intervention, “the Bangor University Herpetological Society” avançait une forte probabilité de nature reptilienne, de très nombreux organismes dans le monde le réclamaient, jusqu’à la NASA.
En réalité deux sujets de discorde, car que devait-on faire de l’œuf ? Le conserver ou le casser ?
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