L'ovoïde
Ce fut dans les locaux du Ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, 1 rue Descartes que le conseiller technique, membre du comité, s’adressa à la presse.
« Compte rendu des travaux du haut comité scientifique d’étude de l’ovoïde ! » énonça-t-il.
Aussitôt, la salle se mit à bruire de chuchotements, d’interrogations étouffées, d’interpellations susurrées. Ce n’était bien sûr pas la transformation du comité en haut comité qui intrigua.
« Mesdames, messieurs, s’il vous plaît… les journalistes redevenus attentifs, il commença la lecture du rapport. Dans un premier temps, nous avons utilisé différentes techniques d’imagerie médicale, dans l’espoir d’obtenir des informations nous permettant de déterminer la nature de ce qui nous avait été confié. Primo, scanners et radiographies nous apprirent que la coque est constituée d’une matière suffisamment dense pour être opaque aux rayons X. Secundo, l’absence de résonance magnétique peut s’expliquer par l’absence de molécule d’eau dans l’objet ou par un effet cage de Faraday produit par la carcasse. Tertio, lors d’échographies aucune différence d’impédance acoustique n’a été décelée, mais la densité de l’enveloppe réduisant la profondeur d’exploration ; cette donnée est négligeable. Après un silence, il reprit, enfin, la densité de l’ovoïde étant d’un virgule zéro neuf, alors qu’en considération de l’opacité aux rayons X on doit raisonnablement estimer supérieure à douze celle de l’enveloppe, notre sujet d’étude n’est pas un volume plein formé d’une seule matière !
» Dans un deuxième temps, désireux d’analyser le matériau de surface de l’objet, nous nous efforçâmes d’en prélever une mince épaisseur. Ce fut un échec, comme le furent les tentatives de le percer, de le déformer, de le fondre ou de le briser. Le brouhaha provoqué par ces déclarations fut tel qu’il fallut plus de cinq minutes à l’orateur pour ramener le calme. Nous avons essayé toutes les techniques connues à ce jour, sans réussir à obtenir un échantillon analysable de la carapace. Bien que le matériau qui la compose en possède l’aspect visuel et tactile, ses propriétés mécaniques et sa densité induite excluent qu’il s’agisse d’une coquille d’œuf. L’énarque se racla la gorge, conformément à la mission qui nous a été confiée, nous vous faisons part de nos conclusions, l’objet est sans le moindre doute un ovoïde… Il s’agit très probablement d’une enveloppe ovoïdale vide… Nous avons nommé le matériau inconnu, réfractaire à toutes altérations et analyses, ovoïdium. »
Ce fut la ruée, les chaînes d’infos en continu avaient diffusé l'évènement en direct. Il était 10 h 35, TF1 fit une spéciale de dix minutes, puis incrusta dans ses programmes, jusqu’au "13 heures", une bande passante du texte du communiqué, France Télévisions opta directement pour l’incrustation sur toutes les chaînes du groupe.
Les perturbations des transports en cette dixième semaine de grève perlée étaient prévues pour les jeudi 7 et vendredi 8. En ce lundi 4 juin, ce communiqué fut donc une aubaine pour les journaux télévisés et talk-shows. Pendant deux jours, on vit défiler sur les plateaux, les membres du haut comité justifiant cet ajout par leurs compétences, puis des laborantins et techniciens commentant les expériences auxquelles ils avaient participé. Ce fut lorsque l’un de ces derniers dévoila que l’ovoïde avait chuté, du sommet du portique Soyouz haut de quarante-cinq mètres sur le pas de tir de Kourou – sans autre effet que d’émettre d’un do0 faisant passer La Savoyarde pour une soprano – que le monde réalisa que le trésor national avait voyagé jusqu’en Amérique pendant ces deux mois.
Lors d’une interview, visage flouté et voix déformée, un officier dont ni l’arme, ni le grade, ni la spécialité, ni l’affectation ne furent révélés exposa les mesures de sécurité qui avaient entouré les tentatives mécaniques, chimiques, bactériologiques et radiantes d’altérations, ainsi que les déplacements de l’enveloppe.
L’ornithologue, en qualité de primo-intervenant, revendiqua le droit de nommer le nouvel élément, soulignant sa modestie, il ne souhaitait pas une déclinaison de son patronyme, mais l’adoption de calcique aurifère. Le comte en sa qualité de propriétaire, via une SCI, du lieu de découverte suggéra Fouquetium.
L’animateur d’un talk-show vespéral interrogea ironiquement maître J. Tanttou : « que propose votre client l’A.I.O qui a perdu son e dans l’o ?
— son œuf dans l’eau, corrigea le sniper de l’émission.
— Nous avons modifié la raison sociale de l’association, justifia l’avocat fusillant le pitre du regard.
— Tanttourium ? » s’enquit l’animateur poursuivant son idée.
— Et pourquoi pas ? Il me semblerait inéquitable de choisir le patronyme de l’un des membres au détriment des autres. Le mien les représente tous ! exposa-t-il, avec le plus grand sérieux, à la surprise de l’animateur.
— Disons, t’entourloupes », s’esclaffa le sniper.
Ce qui provoqua le départ impromptu de l’avocat marmonnant le mot diffamation.
À l’instar de ce qu’elle avait fait en avril, invitant les visiteurs de son site internet à voter pour donner un nom à la grève – jugeant les termes « perlée » et « tournante » inadéquats – une chaîne d’infos en continu popularisa le débat sur la dénomination du matériau, en ajoutant des micros-trottoirs aux votes en ligne. Le mercredi treize juin, un journaliste – que l’on ne pouvait suspecter de complaisance envers les grévistes – fut chargé d’un micro-trottoir à la gare Saint-Lazare. À huit heures trente, il interviewait – à portée de voix d’une syndicaliste qui distribuait des tracts – des usagers mécontents de l’annulation du seul TGV prévu à destination de Bordeaux. L’idée lui vint de questionner ces usagers sur le nom qu’ils préféraient pour le fameux matériau. La cheminote s’écria Macronium. Pendant que le cameraman cadrait sur cette dernière, le journaliste lui tendit le micro, lui demandant sarcastique, « vous pensez que le président est aussi solide et inflexible que l’ovoïde ! » La jeune femme guillerette répondit « aussi inflexible peut-être, mais aussi creux, sûrement ! »
« L’enveloppe ovoïdale de Macronium » comme se gaussaient la plupart des gens, n’en restait pas moins l’objet le plus mystérieux de tous les temps. Personne ne savait, ce qu’il était, de quoi il était fait et comment il avait bien pu parvenir là où il fut trouvé. Car enfin, que l’on ne puisse l’analyser était une chose, mais il n’était pas transparent, sa taille et son poids le rendaient difficilement dissimulable. Il n’y avait aucune alternative à l’hypothèse d’une origine extraterrestre. Ceux qui la rejetaient, se contentaient de répondre « nous ignorons comment cette chose est arrivée dans le parc du château de vaux-le-Vicomte ; mais contrairement à vos autres ovnis, aucun radar ne l’a détecté, pourtant il a été démontré qu’il ne présentait pas de caractère de furtivité.
Les congés scolaires érodèrent l’intérêt médiatique et populaire de l’objet. Début juillet, il fut transporté à la cité des sciences et de l’industrie, et exposé au premier niveau dans la zone d’exposition temporaire située entre les espaces « Objectif Terre » et « Mathématiques ». Immédiatement maître J. Tanttou au nom de son client l’Association des Inventeurs de l’Ovoïde, et son confrère représentant la SCI propriétaire du château, réclamèrent conjointement, une part des recettes sur les billets Explora. L’établissement public proposa à chacun des deux demandeurs trente pour cent de la recette marginale sur lesdits billets. La recette marginale étant calculée par rapport à la recette moyenne de deux années. Afin de tenir compte de l’évolution normale du nombre de billets vendus, les années de références retenues furent celle précédant et celle suivant l’exposition de l’ovoïde. Les codemandeurs qualifièrent ce mode de calcul d’ubuesque, soulignant que l’établissement public étant dans l’incapacité de préciser la durée de l’exposition de l’ovoïde, la détermination des recettes soumises à répartition se trouvait reportée sine die. Le débat devenant plus ennuyeux que distrayant, les médias s’en détournèrent.
Les deux premiers mois, des touristes venaient du monde entier pour l’admirer. En septembre, l’affluence diminua. En octobre, hors de la cité des sciences, plus personne ne l’évoquait ni même ne songeait à lui.
En pleine trêve des confiseurs, le dimanche 30 décembre 2018 à 20 h 03 le sommet de l’ovoïde commença à se fendiller.
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NB. Ce texte, publié le 6 avril 2018, utilise le calendrier des débrayages prévus dans le préavis de grève déposé, sans préjuger d’éventuelles évolutions du conflit.
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