Concept avorté : Le spectre dans l'ombre d'un piètre garçon
La chance d'Ardolon avait tendance à faire contrepoids avec sa poisse ; alors il ne fut pas surpris lorsque sa chute fut amortie.
Pas surpris, mais terrifié par les ténèbres qui l'entouraient : il évoulait dans une caverne sans lumière, sauf celle qui perçait la faille par laquelle il venait de tomber. Le monde d'en haut se reflétait à peine en quelques ombres lointaines, surplombant le garçon. En bas dans le noir, il faisait froid.
Parmi tous les spectres qu'il imaginait l'entourer, Ardolon ressentit une présence rassurante qui lui fit presque oublier toutes les bestioles qui pourraient l'attaquer. C'est vers cette présence qu'il se dirigea, à tâton, tandis que sa gorge sèche et sa cécité inopinée lui donnaient le vertige.
Jamais l'enfant de seize ans n'avait perçu un appel plus urgent. Ignorant même ses blessures, il avançait vers ce qu'il ignorait être une sépulture.
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L'aurore présageait d'une journée tranquille, tandis que la rosée s'évaporait en nuages clairs autour du village. À cette heure matinale, bien peu dormaient encore ; Ardolon étaient de ceux-là. Mais pas Corion, son ami d'enfance, qui avait décidé que la matinée ne serait résolument pas paisible.
Quelques temps auparavant, des cavaliers s'étaient arrêtés à l'étable. Ils avaient pris quelques provisions et pinaillaient sur leur prochaine destination, en quête d'une sorte d'artefact. Bien mal leur en prit, car Corion dormait tout proche et sa curiosité, même bridée par un demi-sommeil, n'avait pas manqué une bribe de leur querelle.
« L'entrée doit se touver près d'une forêt mais il n'y a pas tant d'arbres que ça par ici... Peut-être devrait-on aller plus au nord ?
- Non, non le nord emmène vers les chaînes montagneuses, on devrait déjà chercher tout ce qui ressemble de près ou de loin à une grotte.
- Mais l'artefact est enterré depuis des centaines d'années, quelqu'un a forcément pu fouiller avant nous ! »
De longs échanges les amenèrent à un compromis : certes un trésor qui attend des siècles peut bien attendre encore quelques semaines, mais leur voyage ne devait souffrir d'aucune incertitude. Ils allaient donc devoir fouiller les environs...
Que Corion connaissait bien mieux qu'eux.
Fort de tous les indices que les voyageurs avaient rassemblés (et bêtement partagés), l'enfant attendait avec excitation leur départ. Alors, tandis que l'aurore présageait d'une journée tranquille, Corion avait décidé que la matinée ne serait résolument pas paisible.
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« Rappelle-moi, qu'est-ce qu'on fait là, déjà ? »
Ardolon ne s'était pas réveillé ; une cascade d'interjections l'avait tiré de ses rêves. Sans trop savoir pourquoi, il avait cru bon de s'habiller à la hâte avant de suivre son ami aux explications nébuleuses. D'ailleurs, tout semblait nébuleux.
« On cherche un trésor ! »
Incapable de définir ce trésor, Corion avait fini par dire que c'était comme une surprise : elle a encore plus de valeur si on ne sait pas ce que c'est.
« Parfois les surprises sont de mauvaises surprises, répondit Ardolon en bâillant à nouveau. »
Ils étaient devant une grotte bien connue des habitants : l'Antre du solitaire. Lorsque les villageois campaient trop loin de leurs maisons, ils s'y arrêtaient pour la nuit mais l'abri s'étendait assez profondément. Pendant très longtemps, il avait été le repaire d'un vieil ermite qui avait creusé de nouvelles galeries pour l'aménager et il aurait fallu une journée entière pour l'explorer tout entier.
Mais à force d'y jouer, les enfants du village le connaissaient par cœur et les zones les plus dangereuses y avaient été sécurisées. Trouver un sous-sol allait être une plaie ... Mais s'il y avait un trésor, ce devait forcément être le trésor de l'ermite !
« Bon, il y a la chambre de l'ermite qui a été creusée au fonds de l'aile droite. C'est l'endroit le plus profond, on trouvera sûrement quelque chose ! »
Ardolon était un peu mieux réveillé après le trajet jusqu'à l'Antre du solitaire. Même s'il lui semblait chasser des mirages, la perspective d'un trésor ravivait chez lui une excitation toute irrationnelle. Assez pour oublier toutes les prohibitions, comme il avait l'habitude de le faire.
Les différentes parties de la grotte bénéficiaient toutes de quelques fragments de lumière, produites par des brèches à travers la roche. On n'y voyait pas grand-chose mais les deux enfants avaient un avantage certain sur les étrangers.
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Les cavaliers avaient mis presque aussi longtemps à rejoindre l'Antre du solitaire. Bien loin de se décourager, ils avaient l'habitude de rechercher avec méthode. Au contraire ils furent très agréablement surpris d'enfin trouver une grotte qui correspondait à leurs critères.
Leur quête avait commencé par une tablette aux inscriptions si étranges qu'elle avait été recyclée en pot de fleur, comme s'ils n'étaient que des motifs sans signification. Son propriétaire avait croisé un voyageur qui cherchait depuis des années à comprendre une carte aux motifs très similaires... Ce n'est qu'après les avoir fait traduire, par le troisième d'entre eux, qu'ils purent comprendre que ces motifs étaient des instructions.
Or le prix de cette traduction était le partage de ce qu'ils indiquaient. S'en était suivie une longue odyssée, pimentée par la découverte de quelques vieilleries grâce auxquelles ils en savaient un peu plus. L'héritage qui les obsédait ne leur avait jamais semblé aussi proche. Si bien qu'après avoir attaché les chevaux, le trio se dépêcha d'entrer.
Chacun savait que le partage serait sujet de discorde.
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Le trésor devait se trouver en profondeur. C'est du moins ce qu'avait expliqué Corion, précisant que c'était une sorte de sous-sol "où l'on dort". Il avait répété mot pour mot ce qu'il avait entendu sans vraiment le comprendre, mais tous les deux s'étaient rapidement mis d'accord : il leur faudrait trouver la chambre de l'ermite. Ce ne serait pas bien difficile : c'est la seule zone que les adultes interdisaient formellement.
« Bon, comment est-ce qu'on va trouver un trésor ici, demanda Corion.
- Je sais pas mais on n'y voit pas grand-chose, il faudrait peut-être chercher une torche avant ?
- Si tu as peur du noir, on n'est pas rendus !
- Euh, je n'ai pas peur du noir... Mais plutôt de ce qu'il y a dans le noir... »
Corion voulut se moquer de son ami mais avant de pouvoir rétorquer, il se prit les pieds dans le sol et tomba sur ce qui avait dû servir de lit à l'ermite. Le fou rire d'Ardolon changea son indignation en colère mais les débris de bois semblaient le retenir.
« Eh, aide-moi au lieu de te moquer !
- Oh que non, je veux savoir comment va se relever Corion Le Bigleux ! »
Quelques chamailleries plus tard, les deux enfants entendirent un bruit suspect. Ils s'arrêtèrent net, firent face à la menace et sondèrent les ténèbres. Grâce à l'accoutumance, ils y voyaient assez clair pour distinguer des silhouettes, plus loin...
« Ils nous ont entendus, c'est sûr, murmura Corion.
- Je suis certain qu'ils sont gentils, laisse-moi faire ! »
Trois hommes s'approchaient sans dire mot. Ardolon avait bien tenté d'ouvrir la discussion en précisant qu'ils ne leur feraient pas de mal, mais ce n'était probablement pas la crainte que leur inspirait les deux enfants.
« Nous avons un... Travail à effectuer ici, vous devriez rentrer chez vous.
- Non, répondit Corion, c'est notre repaire !
- Mon ami, répondit un autre adulte, n'a pas dû être assez clair... »
Un bruit sourd trahissait le poids de la masse avec laquelle il venait de s'armer. Ardolon était à côté de Corion qui venait de se relever. Les deux n'en menaient pas large mais il leur semblait impérieux de ne pas céder.
« On peut peut-être... »
La voix de Corion fut coupée par une bousculade de son ami et avant qu'il ne puisse réaliser ce qu'il s'était passé, un craquement le fit paniquer. Son cri se mêla à celui d'Ardolon, dont il put constater n'être plus à ses côtés.
En s'écrasant sur le reste du lit de l'ermite, la masse d'arme avait fait s'écrouler le sol. Par chance, l'autre enfant n'avait pas été touché directement mais il était tombé dans un gouffre duquel remontaient l'écho des pierres qui rebondissaient lourdement. Ainsi que l'écho de la voix de son ami. Le trou était trop petit pour s'y faufiler et de toute évidence, ce n'était pas un passage sûr... Ni sécurisé.
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La chance d'Ardolon avait tendance à faire contrepoids avec sa poisse ; alors il ne fut pas surpris lorsque sa chute fut amortie.
Pas surpris, mais terrifié par les ténèbres qui l'entouraient : il évoulait dans une caverne sans lumière, sauf celle qui perçait la faille par laquelle il venait de tomber. Le monde d'en haut se reflétait à peine en quelques ombres lointaines, surplombant le garçon. En bas dans le noir, il faisait froid.
Parmi tous les spectres qu'il imaginait l'entourer, Ardolon ressentit une présence rassurante qui lui fit presque oublier toutes les bestioles qui pourraient l'attaquer. C'est vers cette présence qu'il se dirigea, à tâton, tandis que sa gorge sèche et sa cécité inopinée lui donnaient le vertige.
Jamais l'enfant de seize ans n'avait perçu un appel plus urgent. Ignorant même ses blessures, il avançait vers ce qu'il ignorait être une sépulture.
« Si tu m'entends, avance encore un peu et cherche la pierre qui sort du mur. »
Hypnotisé par la voix qui dans sa tête ressemblait à un chant, Ardolon palpa le mur jusqu'à sentir un rocher un peu différent. Il écouta les instructions et le tira sur un côté puis, après l'avoir fait bouger, tira dessus pour le faire remonter.
À mesure qu'il réhaussait la pierre servant de levier, il pouvait entendre l'eau couler... Puis d'un coup, le caillou fut comme aspiré par le mur, tandis qu'un pan entier pivotait sur sa droite. Le mécanisme devait utiliser l'eau comme une sorte de verrou.
« Approche, n'aie crainte, ce que tu cherches est devant toi et ce dont tu t'empares sera tiens... »
La promesse semblait malhonnête, mais franchement, comment y résister ?
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Reeeees...Piiiiire...Reeeees...Piiiiire...
Quel est ce bruit ? Quelqu'un serait tombé ? Tant d'années ont dû s'écouler, tellement que ma prison m'a privé de toute notion de temps. Mon dernier hôte n'a pas duré bien longtemps teh heh heh. On dirait que c'est un enfant ? Peut-être que cette fois, je vais pouvoir m'emparer entièrement de son esprit teh heh heh...
Allons, approche, tu seras en sécurité près de moi. C'est si calme ici, laisse-moi te partager ma sérénité. Mais pour ça, tu dois approcher, approche encore. Je vais te protéger, ne t'en fais pas, il faut juste que tu franchisses. Si tu m'entends, avance encore un peu et cherche la pierre qui sort du mur.
Parfait, maintenant, pousse-la vers ta droite. Allez ! Utilise tout ton poids, toute ta force ! Bien, voilà. Maintenant tire-la vers le haut. Pousse avec tes jambes. Inspire à fond, et pousse encore plus fort. Allez ! Encore !
Teh heh heh...
Tu as réussi. Approche, n'aie crainte, ce que tu cherches est devant toi et ce dont tu t'empares sera tiens... Prends ce collier, c'est un trésor inestimable. Plus qu'un trésor... C'est mon âme !
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Les cavaliers avaient trimbalé leur otage avec bien peu de respect. Même si l'un d'eux ne souhaitait pas s'en prendre à un innocent, a fortiori à un enfant, ils comprirent très vite que toute leur aventure pourrait bien être compromise. Ils recherchaient un tombeau qui contiendrait toute la sagesse d'un ancien guerrier.
S'il s'agissait d'un ancêtre de ces ploucs, jamais ne pourraient-ils profaner sa tombe tranquillement !
Les trois hommes étaient ressortis pour mieux réflechir. Un peu plus en aval, une cascade leur permettrait de se rafraîchir et, peut-être, d'extirper quelques informations au petit. Ses pleurs incessants n'aidaient pas, il était incapable d'aligner une phrase cohérente. L'homme à la masse en fut tellement agacé qu'il leva la main, prêt à le talocher...
Mais une explosion les fit tous sursauter.
Plusieurs rochers furent expulsés à travers la cascade, comme un éternuement de la nature, rudement puissant. À leur plus grande surprise, un petit homme fut également éjecté pour plonger en saut de l'ange.
Plusieurs rochers les manquèrent de peu, mais toute leur attention était focalisée sur le garçon.
« Tu... Toi ?
- Non, gronda Ardolon avec un timbre de voix impossible, le gamin est mort. Tout comme vous si vous me cherchez querelle ! »
Face à l'esprit belliqueux, aucun des trois hommes n'osa se dresser. Ils reculèrent d'un pas, puis deux, en tremblant un peu, puis beaucoup.
« Ce... C'était donc vrai... IL EST POSSÉDÉ ! »
Sans demander leur reste, ils s'enfuirent tous les trois en abandonnant leur otage.
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« Fouaaaah, ils y ont vraiment cru... Comme si je pouvais faire quoi que ce soit avec un corps aussi malingre. Enfin, c'est pas contre toi, euh... Tu as un nom peut-être ? Je crois qu'on en donne même aux bêtes, de nos jours. »
Ardolon avait du mal à comprendre ce qu'il ressentait. Quand ils étaient dans la chambre secrète, il avait très vite compris qu'il s'agissait d'une prison et la voix n'avait pas su le convaincre, sauf en lui assurant qu'il pourrait sauver son ami Corion. Pour ça, il devait se laisser "manipuler", mais en vérité il n'en demeurait pas moins libre de ses mouvements... Comme s'il était un pantin qui pouvait à tout instant rompre ses liens.
Dès le moment où il avait porté le collier, il entendait les pensées de son alter ego comme s'il les avait formulées lui-même et c'était plutôt étrange, mais pas insatisfaisant. Il partageait aussi son calme et, inversement, il lui communiquait la rage de vouloir défendre son ami. Pourtant les connaissances de son nouvel hôte ne lui étaient pas accessibles et celui-ci avait été très déçu par les... par l'absence d'aptitudes physiques de son nouveau réceptacle.
« Ah ! Peux-tu seulement soulever ta carcasse avec si peu de muscles ? »
Il y avait quelque chose de pernicieux et de blessant dans son humour, mais guère de malveillance.
« Tu as un nom peut-être ? Je crois qu'on en donne même aux bêtes, de nos jours.
- Appelle-moi Ardolon.
- Quoi ? Tu vas pas bien Ardol ? Tu... T'es pas possédé quand même ? !
- Non je... Enfin si, mais... Ah, je vais te raconter. On ferait mieux de rentrer, y a pas de trésor ici.
- Mais les trois hommes ont dit...
- Ils ne savaient pas ce qu'ils cherchaient... Et il n'y a pas de vents favorables pour qui ne sait pas où il va. »
Perplexe, curieux mais soulagé, Corion se pressa derrière Ardolon. Il avait un peu plus de mille questions à lui poser.
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