Thérapie au salon de coiffure

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J’étais confortablement installée dans l’un des fauteuils du salon de coiffure et patiemment j’attendais mon tour. Il y avait du monde ce jour là. J’avais pourtant attendu le calme de l'après fêtes de fin d’année pour faire une coupe. J’en avais besoin, j’avais eu une année difficile et ce moment à se consacrer du temps pour soi devenait vital.

Sylvie m’avait tendu un magazine de mode, une façon de me dire que j’allais devoir attendre. Je l’avais pris instinctivement mais vite reposé sur mes genoux. Quelques jours seulement avant ce rendez-vous, la France venait de subir les attentats terribles et traumatisants de Charlie Hebdo et deux jours plus tard, de l’épicerie casher.

J’étais encore, comme la plupart des gens, sous le choc.  J'avais ce rendez-vous, cela me semblait étrange d’aller me couper les cheveux alors que des familles entières étaient endeuillées et lire un magazine me paraissait absurde et dérisoire. Je ne voulais pas annuler, c’était nécessaire, un besoin, pourquoi ? Je n’en avais aucune idée.

Peut être parce que la vie doit continuer ou parce que ce lieu me réconfortait. Des souvenirs ressurgissaient, j’avais vécue le traumatisme des attentats du RER de Saint-Michel en 1995, je venais juste de quitter la région parisienne. Mais, il s'agissait de la rame que j'empruntais pour rentrer chez moi lorsque je travaillais dans le 7ème, alors je visualisais l'horreur. Je ne pouvais m’empêcher de faire le parallèle, même s’il s’agissait d'engins explosifs et non de tireurs, l’angoisse était la même. J’avais appelé ma soeur, mon frère… Ma soeur avait pris le train quelques minutes avant mais elle n’avait pas de nouvelles de son fils. Heureusement, personne n’avait été touché dans ma famille.

En 2001, j’avais suivi en direct les images violentes du World Trade Center, que j’avais visité lors de mon séjour à New York. Ma jeune logeuse travaillait au 47ème étage de la tour gauche. Il ne me reste plus que de vieux clichés prouvant que ces personnes et ces deux tours aient un jour existé. J’ai pleuré plusieurs heures, hébétée et paralysée, assise devant ma télévision, croyant à un mauvais film. Me demandant si Maguie était sous les décombres.

Lors des attentats de 2015, même schéma, mon frère était à Vincennes. Il a juste été bloqué pendant quelques heures mais ma famille avait une nouvelle fois été épargnée. Alors, l'esprit encore un peu embrumé, j’observais et j’écoutais les conversations, sans essayer d’y prendre part, comme j’en avais pris l’habitude.

Finalement, moi qui aimais échanger et parler, j’étais devenue muette… 

Et, pour ne plus entendre les conversations, je laissais mon esprit vagabonder.

On ne franchit pas la porte d’un salon de coiffure par hasard, beaucoup de personnes sont souvent déçues du résultat, ce n’est pas celui escompté et repartent, insatisfaites. Bien que de ces déceptions soient dues la plupart du temps à une vision fausse, entre la réalité et le fantasme, mais mettant aussi en cause le langage, à la façon de communiquer, au vocabulaire technique maîtrisé. Les femmes étant les plus souvent contrariées. Un malentendu sur des mots, elles sont déroutées par les différentes techniques de coupes ; effiler, épointer, dégrader, désépaissir ou encore sur la gamme chromatique de coloration. D’où l’importance pour le professionnel de poser les bonnes questions en essayant, à la manière d’un psychologue, d’analyser l’image et la représentation invisible de sa cliente. Et à sa clientèle d’évaluer franchement ce qu’elle souhaite, souvent nous n’osons pas et quittons ce salon pour un autre. Oui, la franchise est la meilleure façon d’être satisfait du résultat, telle une psychothérapie et même si nous sommes gênées, ou anxieuses de laisser notre tête à un inconnu.

Toujours installée dans ce grand fauteuil noir, je me remémorais ma première venue. Cela faisait des années que je venais me faire coiffer dans ce petit salon, Fidèle étant certainement mon deuxième prénom.

Sylvie, la gérante de la boutique, et Laetitia, sa salariée, connaissaient bien leur clientèle, elles étaient là depuis des années. J’étais, sans le savoir à l’époque, une de leurs premières clientes, j’arrivais dans la région. C'est le nom commercial du salon qui m’avait attirée ou interpellée “caractère coiffure”, j’avais ouvert la porte de la boutique un peu anxieuse. 

La clientèle du salon était composée, pour la plupart, d'habituées, tous connaissaient leurs noms respectifs et pour les plus fidèles, chacun s’appelait par son prénom. Sylvie, Laetitia et parfois quelques apprenties, prenaient des nouvelles des enfants, de leur famille, de leur santé, et coiffaient deux générations, voire trois parfois. Tout ce petit monde parlait de tout et de rien, des médias, du monde, de leurs bobos, pendant qu’elles nous shampouinaient. Parfois, lorsque le temps le permettait, avec leurs mains expertes, nous avions un vrai massage relaxant de notre cuir chevelu, alors comme une séance d‘hypnose, on s’enfonçait dans les limbes en fermant les yeux. C’était bon de s’évader, un vrai temps de bien-être, hors du temps, dans la chaleur et les odeurs parfumées du salon.

Puis on passait à la coupe ou la coloration, j’étais toujours stupéfaite de la façon qu’avaient les clients de se dévoiler, homme ou femme.

Était-ce l’ambiance feutrée du salon, les couleurs pastels et pailletées des murs, les odeurs des produits de soins ou le fait de faire une pause, s’asseoir, observer et s’occuper un peu de soi qui nous laissaient aller à la confidence ? Parfois même dire où entendre des choses intimes comme nous les dirions à un psy ou à un ami intime.

Je trouvais singulier de se confier ainsi à des inconnus, et je souriais en pensant à ces deux coiffeuses qui du matin au soir étaient branchées non stop sur les bavardages incessants de leurs clients.

Ce qui me surprenait encore plus, c’est qu’elles avaient l’air de ne pas être blasées. Bien au contraire, elles alimentaient la conversation, en posant des questions, en discutant avec empathie et douceur.

Leur avait-on enseigné à l’école de coiffure à poser des questions, à être dans l’écoute, sans jamais montrer de l’hostilité, de la colère ou même de parti-pris.

J’observais ces deux femmes coiffer, avec des gestes précis tout en les encourageant par un petit sourire, Sylvie me regardait dans le miroir en me demandant si j’allais bien, elle était experte dans l’observation aussi.

Mais cet après-midi là, comme les jours précédents, je n’étais pas bien. La tension était palpable, était-ce pour cela que je n’avais pas lu, que je m’attardais sur les gens et scrutais quelques signes d’alerte sur l’état du moment. L'actualité avait empli toutes les conversations, l'attentat tragique du 07 janvier 2015, bien plus que du 09 d’ailleurs, alimentait les bavardages. J’entendais des réparties fausses et j’avais envie de répondre mais je me taisais, ce n’était pas l’endroit. Certaines paroles compatissantes, d’autres plus radicales, et quelques unes détestables. Je fus stupéfaite de l’empathie et du calme de ces deux coiffeuses essayant de contenir avec subtilité certains propos.

Décidément, j’aimais ce salon, sa chaleur, sa douceur, ses pauses, ses réflexions, ses confidences, aussi coûteuses qu’une séance de psychanalyse sauf que vous ressortez mieux coiffée.          

Moi aussi, je me suis contenue car j’étais encore dans le deuil, dans la tristesse et non dans la colère. Je n’arrivais pas à me résoudre à ne pas faire le parallèle entre une rétrospective de soi-même et la façon dont nous réagissons à travers la parole dans le cocon d’un endroit semblable. Pas plus que des pensées, des paroles, des mots, qui sortent de nos esprits ne sont dénués de sens, même inconscientes, nos conversations les plus banales se révèlent une source de réflexion. Le gel de la pensée deviendrait son immobilité dans ce cas. Comme ce moment, où dans ce salon de coiffure, sans le savoir, nous révélons des tendances non conscientes de notre moi intérieur.

En dehors du fait de changer notre look, peut-on se demander ce que nous attendons de plus en allant chez notre coiffeur ? Est-ce seulement pour faire une coupe, ou se restructurer la tête ? Ne cherchons-nous pas autre chose ?

Peut être alors que ce salon de coiffure, habituellement si calme après les fêtes de fin d’année, avait inconsciemment attiré ce monde en quête de réconfort.


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