Chapitre 2

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Il parait qu’une Australienne qui traversait un dépôt-vente de quartier s’arrêta devant un Picasso et en fit l’acquisition pour une bouchée de pain. Quand on la questionna vis-à-vis de la raison de cet achat spécifique, elle ne put trouver les mots. Cette femme était simplement observatrice et sensible à l’art, comme les personnes qui vont à l’opéra une fois dans leur vie, mais ne s’en remettent jamais. Face à la toile, son esprit avait été happé par ce que tous avaient qualifié de croute sans âme, comme des amoureux dont les regards ne peuvent se séparer.

C’est le genre de sentiment qui fit s’arrêter Natalie alors qu’elle allait jeter les poubelles de son restaurant, un soir de 2024. À côté de la benne, une sorte de grosse serpillère aussi blanche que poilue attira son attention. Une centaine de personnes était passée devant, mais avait préféré détourner le regard, estimant que ce ne devait être que quelques chats étranglés, mais pas la jeune femme. Celle-ci eut une de ses absences qui l’obligea à pencher la tête en arrière et à ouvrir la bouche où elle extrapola la nature de cet étrange objet, mais en vain. Finalement, la serveuse le toucha avec un bâton et voyant qu’il n’était pas vivant, décida de s’en saisir. Après quelques hésitations, Natalie identifia ce corps inerte : un manteau de fourrure.

« Soit c’est un faux, soit il a été volé. Peut-être les deux, mais il ne doit pas être ici depuis longtemps, car il est à peine mouillé et même pas sale, à part une tache rouge » furent les premières observations qui se révélèrent à elle. Après quelques secondes de réflexion, Natalie déposa l’objet dans la chaufferie où il pourrait sécher discrètement, jusqu’à la fin de son service. La stratégie semblait cohérente, car si une femme pendant la soirée se présentait et prétendait avoir perdu sa fourrure, Natalie pouvait la lui rendre. Personne ne vint et poussée par ce coup du sort, l’opportuniste décida de ne rien dire à ses collègues et de rentrer chez elle avec sa découverte du soir, qui selon toute vraisemblance avait été simplement jeté à la poubelle.

La jeune femme prit une douche, puis s’installa devant son miroir sur pied, uniquement vêtu de la précieuse peau. Croisant et décroisant les jambes, bombant la poitrine comme une starlette, la pin-up d’un soir se laissa aller à imaginer la vie de celles qui ont les moyens de se faire offrir de tels artifices. « Combien d’innocents animaux étaient morts pour permettre ton existence ? » fut la dernière idée qui lui traversa l’esprit avant qu’épuisée, elle s’effondre à six courtes heures du prochain réveil.

Dès le lendemain matin, la première question que se posa Natalie alors qu’elle buvait son thé fut de savoir ce qu’elle comptait faire de cette fourrure. N’en ayant aucune utilité, elle décida de s’en séparer, mais non sans chercher à se faire un petit billet au passage, comme toute bonne New-yorkaise à qui la vie n’avait pas fait de cadeau. Elle partit donc plus tôt de son appartement, afin de faire expertiser le manteau chez le seul commerçant capable selon elle de réaliser aussi discrètement qu’honnêtement cet exercice : Andy le vieux teinturier. Celui-ci révéla la véritable valeur de sa trouvaille de la veille.

- C’est une belle pièce en peau de lapin, confia le professionnel en lui montrant l’étiquette du styliste.

- Combien coute-t-il ?

- Au moins trente mille dollars, répondit-il en brossant sa fine moustache.

- Vous êtes sûr ? Je l’ai découvert à côté d’une poubelle, lui indiqua Natalie.

- Les femmes ont parfois des réactions extrêmes, surtout quand elles sont trahies. Elles peuvent jeter leurs bijoux par la fenêtre ou planter la voiture de leur mari. On voit de tout dans cette ville.

- Je pensais plutôt à un vol.

- Ce n’est pas à exclure. À votre place, je l’emmènerais aux objets perdus et s’il n’est pas réclamé au bout d’un an, le manteau sera à vous. À ce moment, vous pourrez le récupérer légalement et le vendre si c’est ce que vous voulez. Il y a un numéro de série sur l’étiquette — déclara-t-il en le lui montrant — et sans celui-ci et des papiers qui prouvent que vous en êtes la propriétaire, aucun commerçant honnête ne vous l’achètera.

- Mais vous pourriez…

- Oui, je connais ce genre de personnes, mais je ne vous donnerais pas leur identité. Cependant, laissez-moi vous dire que vous ne semblez pas avoir les épaules pour leur tenir tête, s’ils décidaient de vous le prendre de force, voire pire.

- Comment ça ?

- Vous êtes jeune et jolie, alors que ce sont des porcs et des brutes, voulez-vous que je vous fasse un dessin ?

Face à une telle éventualité, un sentiment d’impuissance traversa l’échine de la charmante serveuse, qui avec ses longs cheveux bruns et ses yeux bleus ne laissait que rarement les clients indifférents. Natalie fit la moue, mais relativisa la mauvaise nouvelle en comprenant la chance qu’elle avait eue de s’adresser à un honnête homme. Après une de ses absences où Natalie se voyait violée et tuée, elle se ressaisit et recentra son esprit sur une préoccupation plus actuelle.

- Au fait, combien cela me couterait-il de faire nettoyer la fourrure ?

- Cent dollars, estima le professionnel après l’avoir inspecté plus minutieusement.

- C’est une somme. Je vais me renseigner auprès des objets trouvés et reviendrait surement vous voir.

- C’est comme vous voudrez, mais plus vous attendrez, plus les taches seront difficiles à retirer, lui conseilla-t-il en montrant celle qui ressemblait à du sang séché.

- Merci pour tout, avoua respectueusement Natalie avant de partir pour son travail avec sa précieuse seconde peaux.

*

À peine arrivée, la jeune femme se figea. Plusieurs policiers se trouvaient à côté des bennes du restaurant et l’un d’eux la fouillait. L’image inhabituelle de ce fonctionnaire pataugeant dans les entrailles de poissons et les emballages graisseux ne fut pas fondamentalement pour déplaire à la serveuse, mais une préoccupation plus urgente s’imposa à elle sous forme d’une de ses absences, où sa tête lui sembla particulièrement lourde. « Si la police examine la poubelle, c’est forcément qu’elle cherche le manteau ; or c’est moi qui le possède. La possibilité d’être reconnue par une des caméras du quartier ou un éventuel témoin, comme Andy le teinturier, va surement m’obliger à renoncer à acquérir légalement la fourrure ». Estimant que son projet était voué à l’échec, Natalie préféra donc se présenter aux forces de l’ordre, afin d’éviter qu’on vienne la chercher.

- Bonjour, c’est cela que vous voulez ? Déclara-t-elle en sortant le vêtement de son sac.

- Qui êtes-vous ? Somma l’officier de police sur un ton impératif.

- Je m’appelle Natalie West et je travaille dans ce restaurant.

- Ne la laisse pas partir, réclama celui qui était dans la benne.

- Je suis venue pour vous présenter le manteau que j’ai déniché hier en jetant les poubelles. Pourquoi m’enfuirais-je ?

Le spéléologue des ordures sortit de son réceptacle et bien que recouvert de divers déchets pointa du doigt la jeune femme qui ne put retenir un sourire en voyant des cafards tomber de son uniforme.

- Vous trouvez ça drôle ? Pourquoi ne pas avoir prévenu la police que ce manteau était en votre possession !

- Je ne savais pas que vous le cherchiez.

- Il coute trente-deux mille dollars, mais surtout on a tué une femme et blessé un homme pour le voler. Ne bougez pas, on a besoin que vous déposiez au commissariat.

- Mais je dois commencer mon boulot dans dix minutes.

- Non, on vous emmène et soyez heureuse que ce ne soit pas avec les menottes, fit remarquer celui qui sentait le poisson.

Natalie eut une de ses absences, mais put se reprendre en quelques secondes, car elle se devait d’obtenir une réponse, afin de ne pas tomber dans une obsédante angoisse.

- Puis-je vous poser une question, avant de vous suivre ?

- Allez-y déclara l’officier qui semblait le plus sociable du groupe.

- Comment avez-vous su qu’il fallait chercher dans cette benne-là ?

- L’équipe cynophile nous l’a désignée.

- Je vois, déclara-t-elle avant de monter dans la voiture de police et de maudire la race canine.

La prise d’empreinte et d’ADN, suivi de l’interrogatoire se passèrent sans problème, surtout que la serveuse omit de préciser la rencontre avec le teinturier, au prétexte logique que cela aurait pu paraitre suspect. Suite à la vérification de son alibi, elle fut officiellement disculpée de tout soupçon et c’est avec exceptionnellement trois heures de retard, que Natalie put enfin se rendre à son travail. Cette peccadille ne lui fut que mollement reprochée étant donné que plusieurs employés avaient été comme elle, placée en garde à vue à fin d’interrogatoire.

En discutant avec ses collègues, Natalie comprit aisément qu’elle avait bien fait de déclarer sa découverte à la police, car le manteau n’aurait pu que lui apporter des problèmes, si elle avait voulu le vendre illégalement. En effet, la fourrure représentait un élément essentiel afin de retrouver le meurtrier d’une femme dont le fils milliardaire avait été également agressé.

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