11/ Toilettes sanglants

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 J’ai beau attendre, rien ne bouge de l’autre côté. Je suis bloquée !

 Une fois l’angoisse passée, je réalise. C’est sans doute la meilleure des situations possibles. J’aurais dû y penser plus tôt ! Ici, je suis en sécurité et au chaud. J’ai même de quoi boire… Sans risquer des représailles, je déverrouille le téléphone. Le temps de me souvenir comment fonctionnent ces appareils, et je compose le 17. La sonnerie retentit. On décroche. Le policier se présente et me demande mes informations et le motif de mon appel. Je lui donne mon nom, mon adresse. Bertrand s’interroge :

— Tu m’as parlé ?

— Il y a un fou qui s’est introduit dans ma maison, il est violent, j’ai peur.

Restez calme, j’envoie une équipe, ils arriveront dans quelques minutes.

— Hey, mais à qui tu parles là ?

Pouvez-vous me le décrire, afin d’éviter toute confusion ?

— Oui, il est assez trapu, plutôt grand, cheveux bruns mi-longs…

— Hey mais attends ! Me dis pas que tu…

— Et il est actuellement nu. Il a une sorte du long tuyau collé au ventre.

— Putain, c’est moi ça ! T’es sérieuse, Janette ?

Je transmets les informations. Ils se mettent en route.

— Faites vite, je vous en prie ! Il m’a entendu, j’ai peur de ce qu’il peut faire…

— Petite salope ! T’appelles la police ? Bordel de merde, et moi qui pensais pouvoir te faire confiance !

Nous faisons aussi vite que possible, tenez bon et essayez de vous cacher ou de vous enfermer dans une pièce.

— C’est fait.

— Vieille pute, sors de là, qu’on en discute en face à face !

Parfait. Vous n’avez plus qu’à patienter, ignorez tout ce qu’il vous dira. Bon courage.

— Je croyais qu’on était une famille réunie, maintenant ! Mais non, tu me balances aux flics ! Bordel, je suis tellement dégoûté, t’as pas idée.

 Le policier raccroche. Je me retrouve seule, seule face à cette porte bruyante et insultante.

— Moi qui pensais que tu me comprenais… Mais t’es comme eux en fait. T’es comme tous les autres !

— Laisse-moi tranquille, Bertrand ! Ça suffit maintenant, j’en ai marre !

— Moi aussi j’en ai plus qu’assez ! Tu m’as foutu le plus gros faux espoir de ma vie !

— Tu t’es montré ignoble, je t’aurais accepté sinon !

— Ben voyons ! Tout comme papa et maman m’ont accepté, c’est ça ?

— Pars, maintenant. La police arrive.

— Je sais bien. Mais je ne vais pas fuir. Je n’ai plus rien à faire, ni personne à voir, hormis toi. Il ne me reste que toi. Et tu m’as refusé. Tu vas en payer les conséquences.

— Dégage !

— Savoir que tu es en vie alors que tu m’as rejeté serait un sentiment insupportable.

— Bordel, t’es taré, tu t’en rends compte, de ça ?

— Oui.

 Je tente de me calmer, je dois l’ignorer, comme a dit le policier au téléphone. Je ne fais que le provoquer, ce n’est pas bon.

— Allez, ouvre cette putain de porte !

 J’entends qu’il donne des coups sur la porte, qu’il fonce dedans pour la briser. Les toilettes vibrent sous moi à chaque impact. Mais le verrou tient bon. Il pousse des cris rageurs en tentant d’accéder à l’autre côté de la barrière. Il s’arrête brièvement, puis prononce ces paroles :

— Je vais devoir te réserver le même sort qu’à papa, qu’à maman, qu’au médecin… Qu’à tous les autres qui se sont mis en travers de ma route, qui m’ont refusé, ou qui n’ont pas voulu me croire.

 Puis, il part. Sans doute un bluff pour me faire sortir de la pièce, mais je n’ai aucune raison de tomber dedans.

 Au bout d’un moment, il revient, et les coups reprennent de plus belle. En plus un peu plus métallique. Il s’est muni d’un outil.

 Je m’agrippe au couteau tandis que les fracas se multiplient. Je me sens de moins en moins en sécurité. Son acharnement est total. S’il a parcouru des milliers de kilomètres puis venir jusqu’ici, ce n’est pas un simple verrou qui viendra à bout de sa patience. Il ne s’arrêtera pas tant qu’il n’aura pas enfoncé la porte…

 Je remarque la poignée qui devient fébrile, les contours qui se tordent, la poussière qui s’extirpent du bois, les gonds qui rebondissent. Soudain, ça y est. La porte s’ouvre dans un grand fracas et vient se claquer contre le mur. Elle dévoile une goule enragée, un marteau dans la main, une folie dans les yeux.

— Je vais bien m’occuper de toi Janette…

 L’abomination s’avance, l’outil brandi au-dessus de sa tête.

— Je vais commencer par t’exploser le crâne comme une chienne.

 Paniquée, je me lève et le menace d’un coup circulaire de mon couteau. Bertrand pâli instantanément et arrête sa marche.

— Non, pas le couteau ! Pas le couteau !

 Il est pris d’un mouvement de recul. J’en profite pour m’approcher de lui. Il est à ma portée. Je suis toutefois aussi à la sienne. Quand je vois son bras qui s’abaisse vers moi, je mets ma menace à exécution et lui envoie ma lame dans son buste. Il hurle de douleur, de manière indécente, comme si la foudre venait de le frapper. Il se tord sur lui-même, convulse, grogne. J’en profite pour lui foncer dedans et m’échapper de ma prison. Prise par l’élan, je trébuche et me cogne contre le radiateur, en face de la porte des WC. Tandis que je me relève avec difficulté, je vois la silhouette distordue et épileptique du monstre au marteau qui se retourne, éclairé de dos par la seule ampoule des toilettes.

— Salope ! Je savais ! Je savais que tu aimais me voir être coupé ! Je l’ai toujours su !

 Avec le peu d’agilité dont je dispose encore, j’effectue une feinte pour le prendre par surprise. Cette fois-ci, je vise son cou. Cependant, la lame n’atteint jamais sa cible.

 Il a arrêté le couteau avec sa main libre. Il referme ses doigts dessus. J’essaye de le tirer vers moi, mais sa force est colossale. Le sang suinte depuis sa paume. Il serre les dents.

— Je vais te crever, pétasse !

 Je fais tout mon possible pour récupérer mon couteau, de cisailler la chair de sa main, malheureusement, je remarque qu’il lève à nouveau le marteau. Je suis contrainte de lâcher mon arme, et m’enfuit vers la cuisine. Je ne me souviens pas de la dernière fois que j’ai courue aussi vite. Il est sur mes talons. Dans la pénombre de la pièce, je remarque une petite lueur rouge. Un voyant « allumé ». Celui de la friteuse. Il ne l’avait jamais débranché. Une idée germe en moi. Je me précipite dessus, l’ouvre, puis la prend. Je n’ai pas à attendre qu’il s’approche plus. Je lui balance tout son contenu, toute la graisse brûlante qui attendait là depuis des heures.

 Le liquide ardent recouvre son corps meurtri. La chose, tel un fantôme, hurle de douleur. Ses genoux flanchent. Cela me laisse le temps de récupérer dans l’armoire le couteau à viande que j’avais rangé. Le macchabée brûlé et découpé rugit, tremble, se remue, s’agite, me regarde et se jette soudainement sur moi. Réflexe. La lame aiguisée le taille, de la base de sa nuque jusqu’à son pectoral droit. Je m’étais baissée pour éviter son attaque. Il semblerait que ça ait fonctionné. La bête mugit, puis s’arrête net. Elle s’écroule sur le sol. Du sang coule de ses plaies et de sa bouche. Ses yeux se révulsent. J’entends un léger râle :

— Ja… nette….

 Il effectue ses derniers mouvements, puis, allongé sur le dos, s’immobilise.

 Immédiatement après le choc de la situation, des larmes se mettent à couler de manière incontrôlable sur mes joues. Tremblotante, je fais tomber le couteau. Le bruit de sa collision contre le carrelage me dévore de l’intérieur. Je regarde fixement la scène.

 Il y a un cadavre chez moi. Un corps sans vie. Un homme mort. Quelqu’un d’inanimé. Et c’est moi qui l’ai tué.

 Les sirènes de la police s’approchent.

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