13 \ terôF
Je me précipite davantage à l’entente de cette remarque. Elle semblait si proche, comme chuchotée directement à mon oreille. Courir avec les mains liées dans son dos est bien plus difficile que ce que je pensais. Trop concentrée sur le bruissement des feuilles qui se rapproche, je bute sur une pierre que je n’avais pas remarquée. Déstabilisée, je ne parviens pas à reprendre l’équilibre et tombe dans la terre. Sans mes bras, je peine à me relever. Mes genoux me font mal. Seule l’adrénaline, je suppose, me permet de poursuivre ma fuite.
— Arrête de courir, Janette, ça sert à rien. Je t’ai déjà retrouvé à travers le monde entier, je te retrouverai bien dans ce petit bois.
Sa voix est un murmure lointain. Elle provient de nulle part, laissant à la fois un répit bref et une pression étouffante. Mon cœur bat à la chamade, mon souffle s’écourte, l’écorce semble se refermer sur moi, l’obscurité m’envahit. Sans trop comprendre pourquoi, je tombe à nouveau. Me vient alors une idée. Je me glisse derrière un large tronc à deux pas de ma chute. J’attrape comme je peux une branche morte, me redresse en m’appuyant contre l’arbre, et envoie valdinguer le rameau sur le côté aussi loin que je le puisse. Il retentit bruyamment contre un tronc et rebondit sur le sol d’une manière quasi-semblable à des pas.
J’attends un peu, immobile, contrôlant ma respiration. Le froissement des branchages me paraît s’éloigner de ma position. Je jette alors un coup d’œil à ma droite ; je distingue encore quelques légers filets de lumière provenant de la voiture. Je me jette dans cette direction. Mes jambes me font souffrir à chaque pas. Je sens tout leur poids cogner contre le sol et se réverbérer dans mes hanches. Je vais tellement vite que mes principaux efforts se tournent maintenant vers ne pas tomber en avant. Je quitte la forêt. J’entends les bruits revenir vers moi, mais la maison est désormais dans mon champ de vision. C’est la dernière ligne droite.
Je me hâte tant que je n’entends plus que le sang affluer et pulser dans mes tempes. Sans même plus jeter un regard en arrière, j’atteins le seuil. Rien à l’horizon. Je me dépêche tout de même pour rentrer. Quand j’essaie de tourner le verrou intérieur, je me rends compte qu’il ne rentre pas, puis me rappelle que la porte a été défoncée. Mais quelle conne ! La panique m’empêche de réfléchir convenablement. Qu’est-ce que je dois faire ? Bloquer la porte. Comment ? Un meuble. Non, pas le temps, pas la force. Surtout avec les poignées menottées. Il ne me reste plus qu’à me préparer. Je me saisis du couteau baignant toujours dans le sang du cadavre ambulant. Je distingue les pieds immobiles de Jhonattan qui dépassent de l’ouverture du salon. Bordel. Qu’est-ce que je suis censée en faire ? J’arrive à peine à déplacer mes bras d’un angle de 20°… Je n’aurais pas la puissance nécessaire pour le blesser de manière efficace. Les balles n’ont même rien fait sur lui. Putain. Je suis foutue. Je vais mourir. En même temps, c’est pas une si grande perte. Je n’avais plus rien à accomplir. Cependant, une voix inaudible trésaille en moi, une énergie instinctive venue du tréfond de mon organisme. Quitte à crever, autant se battre jusqu’au bout. Tout tenter. Je dois tout faire pour vivre.
Je fixe la porte d’entrée à peine fermée. S’il doit venir, ce sera par là. Dès que je percevrais le moindre mouvement dans l’embrasure, je me jetterais en avant, j’effectuerais un arc de cercle, je le trancherais en deux, une bonne fois pour toute. J’attends, tendue, crispée. La sueur dégouline. Mes dents claquent. Rien ne vient, pas un bruit, pas une ombre, pas une odeur. Soudain, le fracas du verre. Le son provient de la cuisine. Il est rentré par la fenêtre ! Je me dépêche de m’y rendre pour conserver l’effet de surprise.
Mais dans la cuisine, seuls les éclats de verre sont présents. Je ne le trouve nulle part. C’est quand je regarde par la fenêtre que je vois sa silhouette partir vers la gauche. Il m’a dupé. Déjà, j’entends la porte d’entrée se claquer contre le mur, puis un rire sinistre éclater.
— Bon, Janette, finit de s'amuser maintenant, c’est l’heure du trépas. Allez, viens, j’ai encore quelques trucs à te dire.
Dans une tentative désespérée, je me cache derrière la paroi de la cuisine et plonge sur lui quand il rentre dans la pièce. Il m’arrête bien avant que la lame ne le touche, puis me pousse. Je chute lamentablement sur le carrelage poisseux.
— Je suis terriblement déçu. Je pensais vraiment pas devoir en venir là avec toi. J’ai fait exprès de rien te raconter. Papa et maman ont mal réagis quand j’ai tout expliqué. Mais toi… Toi, tu es décidément la pire ! Tu t’es montré violente et désagréable sans même que je dise quoique soit. Je suis terriblement triste.
Je rampe comme je peux pour m’éloigner de lui, mais il me suit, marchant lentement, sans efforts.
— Dire que je t’ai attendu tout ce temps, mais c’est trop tard maintenant. Je vais devoir t’achever, c’est tout ce qu’il me reste.
— Mais qu’est-ce que vous me voulez à la fin ?
— Voyons, tu vouvoies ton propre frère ?
— Vous n’êtes pas mon frère.
— Malheureusement, si. C’est à cause de toi que je suis mort la première fois.
— C’est quoi ces conneries putain ?
Je tente de me relever, mais il pose son pied sur ma cuisse, me forçant à me rétamer. M'obligeant à écouter ses insanités.
— Je vais commencer par te torturer, te planter de tous les côtés, te déchirer la peau, t'arracher les ongles, te couper les membres, te scalper. Je te maintiendrai en vie le plus longtemps possible. La douleur constante t’empêchera de perdre connaissance. Puis, quand ton corps aura finalement lâché, je te découperai en petits morceaux, je répandrai tes organes dans tous les coins, je remplirai cette maison entière de toi, je t’éparpillerai autant que possible. Tu ne seras plus qu’une multitude de monticules de chair en perpétuelle souffrance. Je pataugerais dans tes entrailles. Je vivrai dans ton corps, comme j’en ai toujours rêvé. Je me doucherai dans ton sang, je me recouvrirai de tes tripes méconnaissables, je chierai et pisserai dans tes os, je me masturberai à l’intérieur même de tes morceaux. Puis, petit à petit, je te mangerai. Je ne laisserai aucune miette, aucune goutte. Tu seras en moi, intégralement.
— Stop ! Stop ! Stop !
Je n’ai pas pu retenir ces cris. Les horreurs décrites me mettent malades. Il est impensable que ce sort soit celui qui m’attend.
— Je n’en ai pas encore fini, Janette. Après, je t’expulserai dans les chiottes, je vais tirer la chasse, il n’y aura plus aucune trace de toi. Ce sera ma maison, personne ne pourra dire le contraire.
Je pense immédiatement au pauvre facteur qui viendra me distribuer le courrier, ou aux policiers qui viendront enquêter sur les traces de leurs collègues. J’espère qu’ils me sauveront, mais je sais bien qu’ils y passeront tous. Je dois me sauver d’ici par moi-même. Oui, toutes mes pensées se concentrent à nouveau sur moi. Je ne veux pas de toute cette souffrance.
Un éclair passe devant mes yeux. Une douleur lancinante. Je pousse un hurlement terrible. Je me tords dans tous les sens. Il vient de découper mon talon. Je me sens partir quand je vois mon pied à moitié décroché de ma jambe. Non, décidément, toute cette torture, je ne peux pas, c’est impensable, non, je dois m’en sortir, je dois partir, je dois éviter ce supplice. À tout prix. La souffrance me fouette de part et d’autre quand j’essaye de poser ma semelle sur le sol.
— C’est terminé pour toi, Janette. J’espère que ça, au moins, tu le comprends.
— Mais qu’est-ce que j’ai fait pour mériter ça ? je demande en pleurant.
— Tu m’as refusé. Tu n’as pas accepté de me donner une seconde chance. Comme tous les autres. Pourquoi tu crois que j’ai dû tuer papa et maman ?
— Ils sont morts d’accidents, ce sont des mensonges.
— C’est ce qu’ils ont voulu te faire croire. Pour ne pas t’infliger le poids des horreurs que je leurs ai fait subir. Avec toi, je vais me surpasser plus encore. Tu seras mon œuvre ultime.
Il cisaille le haut de ma cuisse avec le couteau à pain. Je détourne le regard, mais la douleur me suit. Ma vision devient trouble. Je supplie :
— Arrête, je t’en prie, arrête ! Pitié…
— Aucune pitié pour toi. Tu n’en as eu aucune pour moi. On n’est pas encore quittes.
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